Affaire Moussa Kraouche :
LE MINISTERE de l'Intérieur se serait bien passé de ce retour sur une affaire peu glorieuse, vieille de bientôt sept ans. L'ordonnance de non-lieu délivrée par le juge parisien Roger Le Loire au bénéfice de Moussa Kraouche, un Algérien de 40 ans qui représente le Front islamique du salut (FIS) en France, place la hiérarchie policière dans l'embarras. En cinq pages percutantes, dont des extraits ont été révélés hier par « Libération », ce magistrat à la réputation flatteuse, explique que le militant islamiste, interpellé le 9 novembre 1993 et incarcéré pendant un mois, aurait été poursuivi sur la base « d'une construction de preuves pure et simple des services de police ».
Poursuivant sur sa lancée, le juge affirme ensuite que la hiérarchie policière, au premier rang de laquelle figure Roger Marion, actuel numéro deux de la PJ et alors chef de l'antiterrorisme, « a délibérément trompé la justice ».
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Le dossier Kraouche date des débuts de la lutte contre les islamistes en France. Fin 1993, tandis qu'en Algérie le GIA (Groupe islamique armé) multiplie les exactions contre les ressortissants français, Charles Pasqua, alors ministre de l'Intérieur, lance l'opération Chrysanthème. Il s'agit de démanteler les réseaux de soutien aux rebelles algériens dans l'Hexagone. Près d'une centaine de cibles sont définies dont Moussa Kraouche, responsable de la Fraternité algérienne en France (FAF). Le 9 novembre à 6 heures du matin, des inspecteurs de la PJ de Versailles, accompagnés d'hommes de la Direction de la surveillance du territoire (DST) et des renseignements généraux parisiens débarquent dans l'appartement de Kraouche, à Taverny, dans le Val-d'Oise. A l'issue d'une rapide perquisition, Kraouche est placé en garde à vue à l'hôtel de police de Versailles. L'inspecteur Patrick Robert, de la section antiterroriste dirigée par Roger Marion, interroge le suspect et prend connaissance des pièces à conviction, trois documents photocopiés regroupés dans le scellé numéro 40 : la revendication, par le GIA, de l'assassinat de deux géomètres français, la lettre d'un chef islamiste à une Française dont l'époux a été enlevé, et un communiqué du Conseil suprême des forces armées islamiques.
« Il y a eu une erreur, il n'y a pas eu de coup monté »
Paniqué, Kraouche explique qu'il a reçu ces documents par fax. Très vite, le policier flaire une embrouille : la revendication du GIA est rédigée en français, ce qui est inhabituel, et Kraouche explique avoir reçu ces feuillets il y a deux semaines alors que l'un d'eux est daté de la veille. Robert s'aperçoit ensuite que ces documents sont identiques à ceux qui figuraient dans le dossier remis aux officiers de police mobilisés pour l'opération. L'un d'eux, en poste à Versailles, signalera plus tard qu'il a perdu ce dossier. En dépit de ces bizarreries, Kraouche est mis en examen et incarcéré par le juge Le Loire. L'inspecteur Robert connaît bien le magistrat. Ce dernier est un ancien policier, ils ont travaillé ensemble. Robert va le voir et lui confie ses doutes. Le 29 novembre, le commissaire Muller, adjoint de Roger Marion, s'en prend à Patrick Robert. Il lui interdit de revoir le magistrat en l'accusant de « se tromper de cible ». Excédé, Roger Marion demande la mutation de ses deux collaborateurs. Robert est expédié à Nanterre, dans un service d'archivage où il végétera jusqu'à ce qu'un cancer l'emporte, le 12 novembre 1997. Muller, lui, est envoyé se refaire une santé à la police judiciaire de Lille. Dès janvier 1994, Charles Pasqua rend public un rapport de l'inspection générale de la police nationale qui reconnaît que les documents saisis chez Kraouche ne lui appartiennent pas et qu'il y a eu « confusion lors de la mise sous scellés ». Une version défendue aujourd'hui par le ministère de l'Intérieur. « L'opération Chrysanthème était un grand bordel, explique un haut fonctionnaire qui a participé à cet épisode confus. Dans la pagaille, on a confondu des documents de police avec ceux trouvés chez Kraouche. Il y a eu une erreur, il n'y a pas eu de coup monté. » Roger Le Loire ne croit pas à cette thèse, il estime qu'« il aurait été facile pour le ministère de l'Intérieur de réparer cette erreur. » L'avocat de Moussa Kraouche, Philippe Pétillault, entend enfoncer le clou. « Ces documents ont permis de placer mon client en détention. Je veux savoir s'ils sont arrivés là par hasard ou par la volonté de la hiérarchie policière. L'attitude des supérieurs de Patrick Robert laisse penser qu'il y a eu manipulation. » L'avocat entend porter plainte contre X pour relancer cette nébuleuse et embarrassante affaire.
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