Comment sauver l'Algérie de la crise pétrolière ? ...........Le Point - Publié le 02/01/2015 à 16:07
Alger doit faire face à la chute vertigineuse du prix du pétrole. Avec la hantise de revivre le scénario du choc pétrolier de 1986.
En six mois, le prix du baril d'or noir est tombé de 115 dollars à moins de 55 dollars. Comment contrecarrer cette chute vertigineuse du prix du pétrole - aubaine des non-producteurs de pétrole et cauchemar des producteurs encore en voie de développement ? La question hante les responsables du tiers-monde dont les pays cumulent plusieurs inconvénients : une importante population (Nigeria, 174 millions d'habitants, Russie, 140 millions, Iran, 79 millions) et une économie déséquilibrée axée exclusivement sur les hydrocarbures (Venezuela, Algérie). Tous se sentent fragilisés.
Ainsi de l'Algérie qui veut réagir. Les hydrocarbures assurent 95 % de ses rentrées en devises et la fiscalité pétrolière, 60 % du budget de l'État. Depuis des années, Alger bâtit son budget sur la base de 37 dollars le prix du baril. Un jackpot très confortable quand le baril dépasse les 100 dollars, le surplus allant à un fonds de régulation des recettes chargé de financer le déficit budgétaire et les programmes de développement. A
vec le retournement de la tendance, le fonds de régulation a diminué, passant de 70 milliards de dollars en 2013 à moins de 55 milliards aujourd'hui. Concrètement, le budget algérien a besoin d'un baril aux environs de 100 dollars pour trouver son point d'équilibre.
Les responsables ont la hantise de revivre le scénario du choc pétrolier de 1986. Le baril d'or noir était tombé, en termes réels, au niveau de prix qui était le sien avant le premier choc de 1973.
Alger avait mis une bonne décennie à se remettre de cette crise qui avait accru son endettement, l'avait obligé à recourir au FMI et n'avait pas été totalement étrangère à l'explosion de colère des jeunes, en octobre 1988, même si le chômage et la "mal-vie", comme l'on dit à Alger, n'étaient pas les seules raisons des manifestations.
Il ne peut être question pour Alger de revivre ce cauchemar, même si les circonstances sont différentes. L'Algérie dispose aujourd'hui d'importantes réserves de change : 193 milliards de dollars en juin 2014, soit trois ans d'importations.
Dans un premier temps, l'Algérie aurait souhaité que les gros producteurs de l'Opep, au premier chef l'Arabie saoudite, consentent à réduire leur production. "L'Opep doit intervenir pour corriger les déséquilibres du marché", déclarait, le 28 décembre, le ministre algérien de l'Énergie, Youcef Yousfi. Il suggérait de réduire l'excédent pétrolier de deux millions de barils par jour, alors que l'actuel niveau de production globale de l'Opep est de 30 millions de barils par jour. "Il n'en est pas question", a répliqué le ministre saoudien du Pétrole, "même si le prix du baril doit tomber à 20 dollars".
Riyad ne voit pas, non plus, la nécessité d'organiser un sommet extraordinaire de l'Opep (la prochaine conférence doit se tenir en juin), comme l'a suggéré Youcef Yousfi.
Le Golf ne veut pas mettre sa prééminence en danger
Pourquoi cette intransigeance de l'Arabie saoudite et des Émirats ? La première raison est de handicaper l'Iran, le principal rival du royaume dans la région. Téhéran soutient financièrement et militairement le Syrien Bachar el-Assad et les chiites au pouvoir à Bagdad contre les sunnites alliés des Saoudiens.
La deuxième est de rendre moins rentable le pétrole de schiste américain, grand concurrent de l'or noir saoudien. Au passage, la chute du prix handicape aussi la Russie, alliée de la Syrie. Mais, au-delà de ces calculs stratégiques, les pays du Golfe soutiennent, non sans raison, que, s'ils baissaient leur production, celle-ci serait immédiatement comblée par les producteurs d'or noir non-membres de l'Opep et les industries américaines de pétrole de schiste. Ce qui n'est pas faux. Or l'Arabie saoudite, l'Iran et les pays africains se disputent le marché asiatique du pétrole (en particulier la Chine). Le Golfe ne veut pas mettre sa prééminence en danger.
L'Algérie est donc convaincue que le baril d'or noir à bas prix risque de durer plusieurs années. Même si Youcef Yousfi se veut relativement optimiste : "Le prix sera entre 60 et 70 dollars en 2015 et ira vers les 80 dollars en 2016", a-t-il estimé. Pour se sortir de cette mauvaise passe, Alger met deux fers au feu.
Le premier : le gouvernement serre les boulons. Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a adressé une feuille de route aux ministres, walis (préfets) et directeurs des sociétés nationales pour les inciter aux économies, y compris en freinant les importations. Les sociétés algériennes devront être privilégiées par rapport aux sociétés étrangères, les appels d'offres préférés aux contrats de gré à gré...
Il a aussi été décidé de "geler les recrutements dans la fonction publique, de réduire les dépenses de fonctionnement et de retarder les dépenses d'équipements non commencés ou non nécessaires".
La construction de l'autoroute des Hauts Plateaux ou les lignes de tramways des grandes villes seront retardées. Seules les subventions aux produits de première nécessité vont échapper au coup de rabot. Y mettre frein serait politiquement explosif.
Énormes réserves de gaz de schiste
Second axe : lancer l'exploitation du gaz de schiste plus rapidement que prévu. Le Sahara dispose d'énormes réserves récupérables de gaz de schiste. Le département américain de l'Énergie a estimé les réserves algériennes à 19 800 milliards de mètres cubes, soit cinq fois le volume des réserves prouvées de gaz naturel du pays (4 000 milliards de mètres cubes).
L'Algérie disait vouloir les garder pour les générations futures après 2050. Aujourd'hui, la Sonatrach estime que cette exploitation pourrait commencer dès 2022.
Peut-être faudrait-il qu'Alger se demande s'il ne serait pas plus judicieux de se lancer dans des réformes structurelles de son économie (industrie, agriculture, banques...) pour donner du travail à sa jeunesse. Sinon, le gaz de schiste sera aussi néfaste pour les Algériens que les hydrocarbures conventionnels. Mais là, c'est un chantier de très longue haleine.
SOURCE : http://www.lepoint.fr/editos-du-poi...a-crise-petroliere-02-01-2015-1893609_239.php
Alger doit faire face à la chute vertigineuse du prix du pétrole. Avec la hantise de revivre le scénario du choc pétrolier de 1986.
En six mois, le prix du baril d'or noir est tombé de 115 dollars à moins de 55 dollars. Comment contrecarrer cette chute vertigineuse du prix du pétrole - aubaine des non-producteurs de pétrole et cauchemar des producteurs encore en voie de développement ? La question hante les responsables du tiers-monde dont les pays cumulent plusieurs inconvénients : une importante population (Nigeria, 174 millions d'habitants, Russie, 140 millions, Iran, 79 millions) et une économie déséquilibrée axée exclusivement sur les hydrocarbures (Venezuela, Algérie). Tous se sentent fragilisés.
Ainsi de l'Algérie qui veut réagir. Les hydrocarbures assurent 95 % de ses rentrées en devises et la fiscalité pétrolière, 60 % du budget de l'État. Depuis des années, Alger bâtit son budget sur la base de 37 dollars le prix du baril. Un jackpot très confortable quand le baril dépasse les 100 dollars, le surplus allant à un fonds de régulation des recettes chargé de financer le déficit budgétaire et les programmes de développement. A
vec le retournement de la tendance, le fonds de régulation a diminué, passant de 70 milliards de dollars en 2013 à moins de 55 milliards aujourd'hui. Concrètement, le budget algérien a besoin d'un baril aux environs de 100 dollars pour trouver son point d'équilibre.
Les responsables ont la hantise de revivre le scénario du choc pétrolier de 1986. Le baril d'or noir était tombé, en termes réels, au niveau de prix qui était le sien avant le premier choc de 1973.
Alger avait mis une bonne décennie à se remettre de cette crise qui avait accru son endettement, l'avait obligé à recourir au FMI et n'avait pas été totalement étrangère à l'explosion de colère des jeunes, en octobre 1988, même si le chômage et la "mal-vie", comme l'on dit à Alger, n'étaient pas les seules raisons des manifestations.
Il ne peut être question pour Alger de revivre ce cauchemar, même si les circonstances sont différentes. L'Algérie dispose aujourd'hui d'importantes réserves de change : 193 milliards de dollars en juin 2014, soit trois ans d'importations.
Dans un premier temps, l'Algérie aurait souhaité que les gros producteurs de l'Opep, au premier chef l'Arabie saoudite, consentent à réduire leur production. "L'Opep doit intervenir pour corriger les déséquilibres du marché", déclarait, le 28 décembre, le ministre algérien de l'Énergie, Youcef Yousfi. Il suggérait de réduire l'excédent pétrolier de deux millions de barils par jour, alors que l'actuel niveau de production globale de l'Opep est de 30 millions de barils par jour. "Il n'en est pas question", a répliqué le ministre saoudien du Pétrole, "même si le prix du baril doit tomber à 20 dollars".
Riyad ne voit pas, non plus, la nécessité d'organiser un sommet extraordinaire de l'Opep (la prochaine conférence doit se tenir en juin), comme l'a suggéré Youcef Yousfi.
Le Golf ne veut pas mettre sa prééminence en danger
Pourquoi cette intransigeance de l'Arabie saoudite et des Émirats ? La première raison est de handicaper l'Iran, le principal rival du royaume dans la région. Téhéran soutient financièrement et militairement le Syrien Bachar el-Assad et les chiites au pouvoir à Bagdad contre les sunnites alliés des Saoudiens.
La deuxième est de rendre moins rentable le pétrole de schiste américain, grand concurrent de l'or noir saoudien. Au passage, la chute du prix handicape aussi la Russie, alliée de la Syrie. Mais, au-delà de ces calculs stratégiques, les pays du Golfe soutiennent, non sans raison, que, s'ils baissaient leur production, celle-ci serait immédiatement comblée par les producteurs d'or noir non-membres de l'Opep et les industries américaines de pétrole de schiste. Ce qui n'est pas faux. Or l'Arabie saoudite, l'Iran et les pays africains se disputent le marché asiatique du pétrole (en particulier la Chine). Le Golfe ne veut pas mettre sa prééminence en danger.
L'Algérie est donc convaincue que le baril d'or noir à bas prix risque de durer plusieurs années. Même si Youcef Yousfi se veut relativement optimiste : "Le prix sera entre 60 et 70 dollars en 2015 et ira vers les 80 dollars en 2016", a-t-il estimé. Pour se sortir de cette mauvaise passe, Alger met deux fers au feu.
Le premier : le gouvernement serre les boulons. Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a adressé une feuille de route aux ministres, walis (préfets) et directeurs des sociétés nationales pour les inciter aux économies, y compris en freinant les importations. Les sociétés algériennes devront être privilégiées par rapport aux sociétés étrangères, les appels d'offres préférés aux contrats de gré à gré...
Il a aussi été décidé de "geler les recrutements dans la fonction publique, de réduire les dépenses de fonctionnement et de retarder les dépenses d'équipements non commencés ou non nécessaires".
La construction de l'autoroute des Hauts Plateaux ou les lignes de tramways des grandes villes seront retardées. Seules les subventions aux produits de première nécessité vont échapper au coup de rabot. Y mettre frein serait politiquement explosif.
Énormes réserves de gaz de schiste
Second axe : lancer l'exploitation du gaz de schiste plus rapidement que prévu. Le Sahara dispose d'énormes réserves récupérables de gaz de schiste. Le département américain de l'Énergie a estimé les réserves algériennes à 19 800 milliards de mètres cubes, soit cinq fois le volume des réserves prouvées de gaz naturel du pays (4 000 milliards de mètres cubes).
L'Algérie disait vouloir les garder pour les générations futures après 2050. Aujourd'hui, la Sonatrach estime que cette exploitation pourrait commencer dès 2022.
Peut-être faudrait-il qu'Alger se demande s'il ne serait pas plus judicieux de se lancer dans des réformes structurelles de son économie (industrie, agriculture, banques...) pour donner du travail à sa jeunesse. Sinon, le gaz de schiste sera aussi néfaste pour les Algériens que les hydrocarbures conventionnels. Mais là, c'est un chantier de très longue haleine.
SOURCE : http://www.lepoint.fr/editos-du-poi...a-crise-petroliere-02-01-2015-1893609_239.php