anonyme321
VIB
un chouia long mais interessant
Au Moyen-Orient, l'Occident a abdiqué sa responsabilité morale
Kenneth Roth
http://www.slate.fr/story/97563/moyen-orient-occident-responsabilite-morale
Traduit par Bérengère Viennot
mis à jour le 06.02.2015 à 7 h 33
Kobané, le 30 janvier 2015. REUTERS/Osman Orsal
Massacres en Egypte, essor de l’Etat islamique, crimes de guerre en Palestine et en Israël: la négligence occidentale face aux violations des droits humains au Moyen-Orient a laissé s’épanouir une culture de la violence et de l’impunité. Par le directeur exécutif de Human Rights Watch.
Le Moyen-Orient, dont le Printemps arabe faisait si récemment encore l’objet de débats optimistes, est aujourd’hui dominé par de nouveaux hommes forts, un conflit violent et des atrocités perpétrées par des extrémistes islamistes et des milices. Dans ces temps difficiles, les leaders occidentaux semblent préférer rester en terrain connu et traiter avec des autocrates plutôt que de devoir affronter l’incertitude que représente un gouvernement par le peuple.
L'irrésistible ascension de l'Etat islamique
Les dirigeants américains et européens qui, dans leur pratique diplomatique, ont minimisé ou abandonné la défense des droits humains, peuvent se justifier en prétendant que les menaces sécuritaires sont aujourd’hui si graves qu’elles doivent passer avant tout le reste.
Moralement indéfendable, ce point de vue est également borné et contreproductif. Sans en être la seule et unique raison, la violation des droits de l’homme a joué un rôle décisif dans la création ou l’aggravation de la plupart des crises actuelles au Moyen-Orient. Protéger les droits humains et permettre aux gens d’avoir leur mot à dire dans la manière dont leurs gouvernements gèrent la myriade de problèmes de leur région sera la clé de leur résolution.
Au cours de l’année passée, aucun défi ne s’est imposé de manière plus spectaculaire que celui que représente l’organisation auto-proclamée Etat islamique. Avec ses exécutions de masse de combattants capturés et de civils, l’asservissement sexuel de femmes et de fillettes yézidies et les décapitations filmées de journalistes et de travailleurs humanitaires, ce groupe extrémiste suscite à juste titre une répugnance et une opposition largement partagées.
Cependant, l’Etat islamique n’est pas sorti de nulle part. En Irak, outre le chaos qui a suivi l’invasion américaine, il doit beaucoup au gouvernement sectaire cruel de l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki et à la conséquente radicalisation de la population sunnite minoritaire. Soutenu par l’Iran, Maliki a personnellement pris la tête des forces de sécurité irakiennes et soutenu la formation des milices chiites, dont beaucoup ont persécuté les sunnites avec une grande brutalité. Les milices ont regroupé et détenu arbitrairement des sunnites en vertu de loi floues et –à l’instar d’unités antiterroristes officielles– en ont sommairement exécuté un grand nombre. Pendant que l’armée de l’air irakienne bombardait à l’aveugle des villes à prédominance sunnite.
Le contexte irakien
La violence des persécutions a nourri la croissance de l’Etat islamique. Le prédécesseur de ce groupe, al-Qaida en Irak, a été vaincu avec l’aide d’une coalition militaire de tribus sunnites de l’ouest de l’Irak appelée Sahwa. Mais nombre de ces tribus ont eu si peur des massacres et des persécutions perpétrés par les forces progouvernementales que, lorsque le conflit a éclaté en 2014, elles ont accueilli l’Etat islamique à bras ouverts. Les gouvernements occidentaux, désireux de faire de leur propre implication militaire en Irak un vieux souvenir, ont largement fermé les yeux devant ce régime sectaire de Bagdad –et lui ont même fourni quantité d’armes.
Aujourd’hui, le fait que cette indifférence aux atrocités commises sous Maliki était une erreur est plus largement reconnu. Haïder al-Abadi, le Premier ministre qui a remplacé Maliki, s’est engagé à gouverner de façon plus inclusive. Il a abandonné les poursuites contre les médias, promis de libérer les prisonniers détenus sans mandat d’arrêt et a fait quelques efforts pour arrêter les bombardements aveugles par les forces aériennes.
Mais le sectarisme violent n’a pas cessé en Irak, où l’aide militaire occidentale continue de se déverser. Maliki est resté l’un des trois vice-présidents irakiens, et le gouvernement faible s’appuie encore davantage qu’avant sur les milices chiites qui restent les principales forces de terrain à combattre l’Etat islamique –et ce malgré les meurtres et les épurations de sunnites qu’elles commettent par villages et quartiers entiers.
Tant que ces atrocités ne cesseront pas, il y a fort à parier que les miliciens chiites contribueront davantage au recrutement pour l’Etat islamique qu’à la défaite du groupe djihadiste sur le champ de bataille.
L'EI, recours en Syrie face à Bachar el-Assad
En Syrie, l’Etat islamique se présente comme la force la plus à même de s’opposer au président Bachar el-Assad. Nul ne peut nier l’extraordinaire brutalité d’Assad: depuis que le gouvernement syrien a renoncé à son arsenal chimique, son arme la plus connue est la bombe à baril –un baril, de pétrole ou autre, rempli d’explosifs à grande puissance et de fragments métalliques. L’armée de l’air syrienne jette ces bombes depuis un hélicoptère volant à haute altitude pour éviter les tirs anti-aériens. De leur hauteur, il est impossible de viser avec une quelconque précision. La bombe à baril dégringole tout simplement, émettant son redoutable sifflement tandis que son contenu cahote avant de toucher le sol et d’exploser.
Cette inquiétude sélective est un cadeau aux recruteurs extrémistes qui se présentent comme étant les seuls à vouloir s’opposer aux atrocité d’Assad
Ces barils explosifs sont si imprécis que l’armée syrienne n’ose pas les utiliser près des lignes de front, de peur de toucher ses propres soldats. Elle les lâche à la place sur des zones tenues par des groupes rebelles, sachant pertinemment qu’elles détruiront des immeubles résidentiels, des hôpitaux, des écoles et d’autres institutions civiles. Parmi les civils qui n’ont pas fui le pays, certains ont déplacé leurs familles près des lignes de front, préférant braver les snipers et l’artillerie plutôt que l’horreur des barils explosifs.
Voilà donc le nouveau visage de la banalité du mal. Lorsque le gouvernement syrien a attaqué les civils avec des armes chimiques, le Conseil de sécurité des Nations unies a fait pression sur Assad pour qu’il cesse et lui remette son arsenal. Mais à présent que le gouvernement syrien tue un bien plus grand nombre de civils dans des attaques à l’aveugle avec des armes conventionnelles, le Conseil de sécurité, bloqué par la Russie, observe sans quasiment rien dire. Plusieurs nations ont condamné le massacre sans faire grand-chose d’autre pour mettre la pression et tenter de l’arrêter.
Cette inquiétude sélective est un cadeau aux recruteurs extrémistes qui se présentent comme étant les seuls à vouloir s’opposer aux atrocité d’Assad. Il ne suffit pas de s’attaquer à l’Etat islamique pour le rendre moins attirant –il va falloir se préoccuper davantage de la protection des civils syriens.
Au Moyen-Orient, l'Occident a abdiqué sa responsabilité morale
Kenneth Roth
http://www.slate.fr/story/97563/moyen-orient-occident-responsabilite-morale
Traduit par Bérengère Viennot
mis à jour le 06.02.2015 à 7 h 33
Kobané, le 30 janvier 2015. REUTERS/Osman Orsal
Massacres en Egypte, essor de l’Etat islamique, crimes de guerre en Palestine et en Israël: la négligence occidentale face aux violations des droits humains au Moyen-Orient a laissé s’épanouir une culture de la violence et de l’impunité. Par le directeur exécutif de Human Rights Watch.
Le Moyen-Orient, dont le Printemps arabe faisait si récemment encore l’objet de débats optimistes, est aujourd’hui dominé par de nouveaux hommes forts, un conflit violent et des atrocités perpétrées par des extrémistes islamistes et des milices. Dans ces temps difficiles, les leaders occidentaux semblent préférer rester en terrain connu et traiter avec des autocrates plutôt que de devoir affronter l’incertitude que représente un gouvernement par le peuple.
L'irrésistible ascension de l'Etat islamique
Les dirigeants américains et européens qui, dans leur pratique diplomatique, ont minimisé ou abandonné la défense des droits humains, peuvent se justifier en prétendant que les menaces sécuritaires sont aujourd’hui si graves qu’elles doivent passer avant tout le reste.
Moralement indéfendable, ce point de vue est également borné et contreproductif. Sans en être la seule et unique raison, la violation des droits de l’homme a joué un rôle décisif dans la création ou l’aggravation de la plupart des crises actuelles au Moyen-Orient. Protéger les droits humains et permettre aux gens d’avoir leur mot à dire dans la manière dont leurs gouvernements gèrent la myriade de problèmes de leur région sera la clé de leur résolution.
Au cours de l’année passée, aucun défi ne s’est imposé de manière plus spectaculaire que celui que représente l’organisation auto-proclamée Etat islamique. Avec ses exécutions de masse de combattants capturés et de civils, l’asservissement sexuel de femmes et de fillettes yézidies et les décapitations filmées de journalistes et de travailleurs humanitaires, ce groupe extrémiste suscite à juste titre une répugnance et une opposition largement partagées.
Cependant, l’Etat islamique n’est pas sorti de nulle part. En Irak, outre le chaos qui a suivi l’invasion américaine, il doit beaucoup au gouvernement sectaire cruel de l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki et à la conséquente radicalisation de la population sunnite minoritaire. Soutenu par l’Iran, Maliki a personnellement pris la tête des forces de sécurité irakiennes et soutenu la formation des milices chiites, dont beaucoup ont persécuté les sunnites avec une grande brutalité. Les milices ont regroupé et détenu arbitrairement des sunnites en vertu de loi floues et –à l’instar d’unités antiterroristes officielles– en ont sommairement exécuté un grand nombre. Pendant que l’armée de l’air irakienne bombardait à l’aveugle des villes à prédominance sunnite.
Le contexte irakien
La violence des persécutions a nourri la croissance de l’Etat islamique. Le prédécesseur de ce groupe, al-Qaida en Irak, a été vaincu avec l’aide d’une coalition militaire de tribus sunnites de l’ouest de l’Irak appelée Sahwa. Mais nombre de ces tribus ont eu si peur des massacres et des persécutions perpétrés par les forces progouvernementales que, lorsque le conflit a éclaté en 2014, elles ont accueilli l’Etat islamique à bras ouverts. Les gouvernements occidentaux, désireux de faire de leur propre implication militaire en Irak un vieux souvenir, ont largement fermé les yeux devant ce régime sectaire de Bagdad –et lui ont même fourni quantité d’armes.
Aujourd’hui, le fait que cette indifférence aux atrocités commises sous Maliki était une erreur est plus largement reconnu. Haïder al-Abadi, le Premier ministre qui a remplacé Maliki, s’est engagé à gouverner de façon plus inclusive. Il a abandonné les poursuites contre les médias, promis de libérer les prisonniers détenus sans mandat d’arrêt et a fait quelques efforts pour arrêter les bombardements aveugles par les forces aériennes.
Mais le sectarisme violent n’a pas cessé en Irak, où l’aide militaire occidentale continue de se déverser. Maliki est resté l’un des trois vice-présidents irakiens, et le gouvernement faible s’appuie encore davantage qu’avant sur les milices chiites qui restent les principales forces de terrain à combattre l’Etat islamique –et ce malgré les meurtres et les épurations de sunnites qu’elles commettent par villages et quartiers entiers.
Tant que ces atrocités ne cesseront pas, il y a fort à parier que les miliciens chiites contribueront davantage au recrutement pour l’Etat islamique qu’à la défaite du groupe djihadiste sur le champ de bataille.
L'EI, recours en Syrie face à Bachar el-Assad
En Syrie, l’Etat islamique se présente comme la force la plus à même de s’opposer au président Bachar el-Assad. Nul ne peut nier l’extraordinaire brutalité d’Assad: depuis que le gouvernement syrien a renoncé à son arsenal chimique, son arme la plus connue est la bombe à baril –un baril, de pétrole ou autre, rempli d’explosifs à grande puissance et de fragments métalliques. L’armée de l’air syrienne jette ces bombes depuis un hélicoptère volant à haute altitude pour éviter les tirs anti-aériens. De leur hauteur, il est impossible de viser avec une quelconque précision. La bombe à baril dégringole tout simplement, émettant son redoutable sifflement tandis que son contenu cahote avant de toucher le sol et d’exploser.
Cette inquiétude sélective est un cadeau aux recruteurs extrémistes qui se présentent comme étant les seuls à vouloir s’opposer aux atrocité d’Assad
Ces barils explosifs sont si imprécis que l’armée syrienne n’ose pas les utiliser près des lignes de front, de peur de toucher ses propres soldats. Elle les lâche à la place sur des zones tenues par des groupes rebelles, sachant pertinemment qu’elles détruiront des immeubles résidentiels, des hôpitaux, des écoles et d’autres institutions civiles. Parmi les civils qui n’ont pas fui le pays, certains ont déplacé leurs familles près des lignes de front, préférant braver les snipers et l’artillerie plutôt que l’horreur des barils explosifs.
Voilà donc le nouveau visage de la banalité du mal. Lorsque le gouvernement syrien a attaqué les civils avec des armes chimiques, le Conseil de sécurité des Nations unies a fait pression sur Assad pour qu’il cesse et lui remette son arsenal. Mais à présent que le gouvernement syrien tue un bien plus grand nombre de civils dans des attaques à l’aveugle avec des armes conventionnelles, le Conseil de sécurité, bloqué par la Russie, observe sans quasiment rien dire. Plusieurs nations ont condamné le massacre sans faire grand-chose d’autre pour mettre la pression et tenter de l’arrêter.
Cette inquiétude sélective est un cadeau aux recruteurs extrémistes qui se présentent comme étant les seuls à vouloir s’opposer aux atrocité d’Assad. Il ne suffit pas de s’attaquer à l’Etat islamique pour le rendre moins attirant –il va falloir se préoccuper davantage de la protection des civils syriens.