Mimount n Serouane: Dame de coeur et As du Rif
Mimunt n Srwan est encore considérée comme ayant été la chanteuse la plus accomplie du Rif. Sa popularité est telle que son nom a un retentissement dans les bourgades les plus reculées. Elle est, malgré sa retraite du monde artistique depuis de nombreuses années, laccompagnatrice de prédilection des fillettes et de leurs aînées. Pour les tâches ménagères comme pour les travaux extérieurs, quil pleuve, quil vente, au puits ou à la rivière, à pieds ou à dos dâne, les adolescentes fredonnent et chantonnent ses mélopées à cur joie. En toute occasion -mariages, baptêmes, circoncisions
-, lombre de Mimunt n Selouane plane toujours et encore au dessus des têtes.
Une prédisposition à la création, à linterprétation de la mémoire collective, ont renforcé sa détermination et ont progressivement favorisé son acceptation relative dans une société. Sa voix, posée et imperturbable, maternante et rassurante, a été indubitablement un avantage majeur pour léclosion douloureuse de son talent. Ces vertus ont vraisemblablement amené cette femme, naguère quune bohémienne aux yeux des plus circonspects, à se métamorphoser en dame de cur et de lamour.
Qui ne connaît pas Lalla Bouya ? Est-il possible d'échapper à lenvoûtement de ses airs légers et ingénus au détour dune vallée ou au bord dune rivière, à une terrasse de café ou dans un souk, et ce, des Monts Iznassen au Mont Tidighine ?
Personne ne peut attester ni la naissance ni le berceau de ce qui est communément considérée comme étant un genre de musique ancien et populaire. On saccorde seulement à dire quil sagit dun jaillissement ou dun ruissellement continu nés dans les montagnes secrètes du Rif et dont on ne se désaltère inlassablement sans jamais atteindre la satiété. On se borne à savourer langoureusement les mélopées aux tonalités et aux cadences agréables, parfois revisitées par des instruments modernes (claviers, boîtes à rythmes, batteries, guitares électriques
), des effets électroniques, empreintes de talents audacieux des quatre coins du globe.
Lamour, sentiment tabou par excellence, et ses déclinaisons (la rencontre, la séduction, la trahison, la rupture, la réconciliation
), restent les sujets qui prédominent symboliquement. Poétesse parmi les poétesses, elle a su retranscrire, selon son génie propre, allusions et métaphores qui vont bon train dans les villages : elle a donné une dimension sentimentale inaccoutumée à des pratiques qui passaient pour vulgaires et prohibées.
Ainsi, notre dame de cur est qualifiée, à juste titre, de précurseur dun style non-conformiste de la poésie chantée. Elle sera relayée, plus tard, par une myriade détoiles dans un ciel sans nuées.Dans « mami le3ziz inu » (« mon amant adoré ») par exemple, Mimunt n Selouane accomplit une démarche moralement non admise : elle dialogue avec un homme qui, de surcroît, se trouve être son soupirant. Ce dernier sest expatrié en Europe et sest, semble-t-il, engagé auprès dune autre femme.
A cet amant elle dit :
« Ô mon amant adoré, de moi tu as médit, du mal tu men as fait.
Comment envisager le mariage, mon père y est opposé et ta mère le désapprouve ;
Ô étoiles ! Vos larmes en sont témoins.
Tu tes exilé et mas laissée dans ma solitude. Toi qui mas délaissée pour une nouvelle conquête.
Ô mon amour, je vais fermer les yeux et me laisser tomber dans le puits. Je récolte la malédiction de ta famille qui ma méprisée... »
Par le biais de cette chanson, l'as du Rif affirme demblée son ouverture à lunivers défendu des murs locales. Elle est convaincue que son acharnement apportera ses fruits :
« Je veux continuer à vivre, a-t-elle avoué. Une femme ne peut rien entreprendre sans être jugée et condamnée. Ce qui mintéresse cest de chanter. Chanter en toutes circonstances. Izlan (poèmes) me sont aussi indispensables que leau ou la nourriture. Izlan sont la pitance de lesprit et de lâme. Dieu a créé les Izlan comme il a conçu la prière ou la méditation. »
Manifestement très affecté également par cette situation quil na pas choisi, lamant, parti sinstaller à lautre bout du monde, lui répond :« Mon cur déborde de chagrin. Te quitter mest amer comme le laurier rose. Il me semble avoir absorbé quantité de chanvre. Tu te présentes à moi dans mes rêves, je ne trouve plus le sommeil.
Donnez-moi de quoi calmer ma douleur
»
Au-delà des textes auxquels elle consacre la majeure partie de son temps, Mimunt n Selouane a un grand souci dans lorchestration de ses compositions. Experte en la matière, elle accorde une place prépondérante aux instruments et à leurs sonorités. Chacun dentre eux est choisi pour ses effets quon ne retrouve pas nécessairement dune chanson à lautre. Il doit accompagner, embellir luvre et lui offrir sa « voix » pour renforcer celle de la chanteuse. Quil soit à vent, à cordes, ou à percussion, il doit, tel un véritable acteur vivant doué de créativité, prolonger limaginaire mélodique du chef dorchestre, vecteur de plaisir et pénétrer dans le corps du spectateur.
A travers « abrid n tumubil », (« le chemin des voitures »), un autre de ses chants monumentaux, Mimunt nous invite dans un microcosme quasi-idyllique, propre à la région du Rif.Ainsi, lintroduction de « mami le3ziz inu » est assurée par un instrument aussi vieux que lorangeraie de Selouane qui luit de sa splendeur : lillustre tamja.Faite artisanalement de bambou, cet instrument à vent, contenant des perforations exécutées à l'aide d'un foret au bout incandescent, n'autorise que quelques notes. Les grands flûtistes parviennent toutefois à composer une panoplie prestigieuse dairs.
Aussi, Mimunt n Selouane a-t-elle fait de tamja une accompagnatrice de choix.
On se plairait, le temps dune évasion, à imaginer notre Mimunt entourée des plus grands virtuoses de tamja, eux-mêmes accompagnant des danseuses sensuelles, aux formes incitantes, se déhanchant au rythme de la musique, à lombre des orangers, dans un tourbillon de couleurs, de légèreté et de fantaisie.
Mimunt n Selouane introduit, à l'occasion de « abrid n tumubil », un instrument nouveau alors de plus en plus en vogue dans la région : le luth.
source : arrif.com