
A Gaza, la contestation contre le Hamas commence à se faire entendre
Des manifestations contre le mouvement islamiste se déroulent depuis mardi dans la bande de Gaza. Un phénomène nouveau qui pourrait prendre de l’ampleur.
Un phénomène nouveau s’est développé dans la bande de Gaza cette semaine : des foules de Gazaouis ont commencé à manifester, d’abord par centaines, puis par milliers, contre la férule du mouvement islamiste Hamas sur le territoire palestinien. Aux cris de « Hamas dehors », « Hamas terroriste » ou encore « Arrêtez la guerre », une première manifestation s’était ainsi déclenchée le 25 mars, selon toute vraisemblance de manière spontanée, dans l’extrême nord du territoire, à Beit Lahia, une petite ville complètement détruite en quinze mois d’intenses bombardements israéliens.
Un correspondant arabophone du journal Haaretz rapportait un résumé radical des propos d’un des chefs tribaux, ayant pris part à la manifestation : « Le Hamas nous a détruits, il nous a apporté la mort. » Un autre interlocuteur interrogé par téléphone par le même quotidien, Mohammed, résumait son état d’esprit : « Nous réprimer ne fonctionnera pas. Nous accuser de trahison non plus. Le Hamas n’a plus rien à offrir, plus rien à concéder pour garantir ne serait-ce que notre survie la plus élémentaire. » Quant à Muna, une jeune femme qui a perdu sous les bombes, à Rafah, son mari et ses deux enfants, elle précisait dans l’émotion : « A ceux qui disent que nous sommes contre la résistance, non, nous ne le sommes pas. Nous sommes contre les dirigeants. »
« Revendications authentiques »
Poète exilé, très actif sur les réseaux sociaux où il poste inlassablement tous les jours des images de morts et blessés, Mosab Abu Toha prenait vite le parti de louer la protestation, évoquant Beit Lahia sur X : « Je suis fier de cette ville qui a pris l’initiative et est descendue dans la rue aujourd’hui pour exiger la fin de la guerre. Je vous le dis, ces gens sont sortis parce qu’ils ont perdu espoir dans le monde, y compris dans les Palestiniens. Quand ils disent “Stop à la guerre”, le message s’adresse à Israël, aux Etats-Unis et au Hamas. Israël est l’occupation, les Etats-Unis sont leur allié et le Hamas ne peut pas protéger un enfant d’une bombe, ni aujourd’hui, ni il y a 37 ans (référence à la date de sa création, NDLR). »Sur un compte X très suivi, le Gazaoui Muhammad Shahada, peu connu pour ses critiques du mouvement islamiste, donnait ce 27 mars dans un sens similaire : « Les revendications sont authentiques ; les gens sont épuisés, désespérés de voir le génocide se terminer à tout prix, et beaucoup souhaitent que le Hamas quitte le gouvernement pour ôter à Israël son prétexte au siège et aux tueries. » Il assortissait cependant son propos de plusieurs bémols dont celui-ci : « Même si le Hamas était renversé par ces manifestations, Israël n’accepterait probablement pas une forme alternative de gouvernance palestinienne, un retrait de l’armée israélienne de Gaza ou la fin de la guerre. Netanyahou conserve un droit de veto sur tout cela, et la dépopulation de Gaza reste la priorité d’Israël. »
« Manifestations courageuses »
Egalement publiée par Haaretz, à Tel-Aviv, une tribune du « droits-de-l’hommiste » israélien Yariv Mohar entendait louer ce 27 mars les manifestants qui « comprennent le rôle central du Hamas dans leur tragédie : que le massacre du 7-Octobre contre des civils israéliens a donné à Israël un prétexte politique pour déchaîner une violence incontrôlée ; que la rétention d’otages par le Hamas sert d’alibi pour la poursuite de l’offensive militaire israélienne ; (…) que le Hamas est un régime autoritaire et brutal qui utilise la population civile à ses propres fins – même au prix de leurs vies. Ces manifestations ne sont pas seulement courageuses. Elles sont profondément émouvantes ».Les manifestants prennent en tout cas des risques évidents. « Critiquer le Hamas par le biais de commentaires en ligne ou de manifestations physiques est également très dangereux à Gaza ; des critiques ont été tués et torturés », rappelle sur le réseau X la chercheuse britannique Monica Marks. Laquelle explique aussi que les sondages avaient déjà montré qu’avant même le 7-Octobre et ses terribles suites pour Gaza, le Hamas se voyait déjà rejeter par deux tiers des personnes sondées, que cela soit pour ses méthodes violentes ou la corruption.