REPORTAGE La plupart sont arrivées du Maghreb avec leurs époux venus travailler en France durant les « trente glorieuses ». Après une vie passée à s’occuper de leur famille, dix-huit d’entre elles ont trouvé, dans le quartier défavorisé de l’Alma, un nouvel ancrage entre « sœurs ».
Si ces briques rouges pouvaient parler, elles bruisseraient d’histoires sur les vies de Katouja, Mimouna et ses amies. C’est au foyer de l’Alma-Fontenoy, entre ces murs typiques de la ville de Roubaix, que cette bande de copines s’est promis de continuer à vieillir ensemble jusqu’à la fin de leurs jours. « Qu’est-ce qu’on est bien ici », répète Zarwa Bouchareb, 83 ans, dont une vingtaine passée dans cet établissement pour personnes âgées.
Algériennes, Marocaines, Tunisiennes, elles sont dix-huit : des chibanias qui ont rejoint, le plus souvent, leurs époux venus travailler en France durant les « trente glorieuses ». Aujourd’hui, elles habitent dans ce lotissement accueillant trente-cinq seniors au cœur du quartier de l’Alma, située au nord de la cité ouvrière. Roubaix, ancienne ville minière et industrielle, a beaucoup eu recours à cette main-d’œuvre : les chibanis seraient environ 5 000, dont de nombreuses femmes.
En ce début d’après-midi de mai, les complices ont quitté leur modeste appartement pour se retrouver, malgré la pluie fine, sur un banc à l’entrée de la résidence, place de la Grand-Mère. Les corps enveloppés dans de longues djellabas, canne à la main, elles peuvent papoter en arabe des heures durant du bled, de leur tension artérielle, des enfants ou du dernier épisode des Feux de l’amour…

Le foyer, c’est leur sanctuaire, leur bien le plus précieux. « On s’y sent en sécurité », assure Mme Bouchareb. Des infirmières présentes la journée en cas de problème, des gardiens vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une montre à disposition qui permet d’envoyer un message de détresse… Sans parler de l’ambiance.
« J’ai deux enfants qui vivent au Maroc, un mari décédé il y a sept ans, mais c’est ici que j’ai découvert ma véritable famille, lance Mimouna Mokadimi, 77 ans dont vingt-six au foyer, et qui est atteinte de la maladie de Parkinson. J’y ai trouvé mon père, ma mère, mes sœurs. Et elles s’occupent de moi comme si j’étais leur enfant. »
Il faut voir comment ces chibanias [« cheveux blancs » en arabe], désormais veuves, veillent les unes sur les autres, et notamment sur les plus malades. Surtout depuis l’apparition de la pandémie de coronavirus en mars 2020. Certaines ont été contaminées par le virus, mais aucune n’en est morte.
Mais elles aiment évoquer le passé, se souvenir de la vie plus joyeuse avant le Covid-19, des balades sur la plage en Belgique, des cours de poterie et de leurs défunts maris. « Le mien a fait la guerre d’Indochine », lance Zarwa. « Mon mari était un bon maçon. Un jour, son patron est venu le chercher en hélicoptère, renchérit Mimouna. Allah y rahmou [Que Dieu bénisse son âme]. »

Le quartier de l'Alma, en cours de rénovation, le 6 mai à Roubaix. LUCIE PASTUREAU / HANS LUCAS POUR « LE MONDE »
Tout, de la façade des logements sociaux parfois murés aux rues cabossées qu’elles affectionnent, leur rappelle leur ancienne vie. Car depuis leur arrivée en France il y a trente, quarante ou cinquante ans, la plupart de ces femmes n’ont connu que ce coin de Roubaix et n’en sortent (presque) jamais. « C’est notre quartier, nos commerces. Ailleurs, on serait perdu », assure Mme Bouchareb.
Et tant pis si elles doivent enjamber des cartouches pour siphon (remplies de protoxyde d’azote utilisées par les jeunes comme gaz hilarant) avec leur déambulateur ou croiser des dealers sur le chemin des courses… « On s’est habitué à cet endroit. On a toujours vécu là », enchaîne Fatma Beyyoudh, 98 ans, la doyenne des lieux.
Si ces briques rouges pouvaient parler, elles bruisseraient d’histoires sur les vies de Katouja, Mimouna et ses amies. C’est au foyer de l’Alma-Fontenoy, entre ces murs typiques de la ville de Roubaix, que cette bande de copines s’est promis de continuer à vieillir ensemble jusqu’à la fin de leurs jours. « Qu’est-ce qu’on est bien ici », répète Zarwa Bouchareb, 83 ans, dont une vingtaine passée dans cet établissement pour personnes âgées.
Algériennes, Marocaines, Tunisiennes, elles sont dix-huit : des chibanias qui ont rejoint, le plus souvent, leurs époux venus travailler en France durant les « trente glorieuses ». Aujourd’hui, elles habitent dans ce lotissement accueillant trente-cinq seniors au cœur du quartier de l’Alma, située au nord de la cité ouvrière. Roubaix, ancienne ville minière et industrielle, a beaucoup eu recours à cette main-d’œuvre : les chibanis seraient environ 5 000, dont de nombreuses femmes.
En ce début d’après-midi de mai, les complices ont quitté leur modeste appartement pour se retrouver, malgré la pluie fine, sur un banc à l’entrée de la résidence, place de la Grand-Mère. Les corps enveloppés dans de longues djellabas, canne à la main, elles peuvent papoter en arabe des heures durant du bled, de leur tension artérielle, des enfants ou du dernier épisode des Feux de l’amour…

Le foyer, c’est leur sanctuaire, leur bien le plus précieux. « On s’y sent en sécurité », assure Mme Bouchareb. Des infirmières présentes la journée en cas de problème, des gardiens vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une montre à disposition qui permet d’envoyer un message de détresse… Sans parler de l’ambiance.
« J’ai deux enfants qui vivent au Maroc, un mari décédé il y a sept ans, mais c’est ici que j’ai découvert ma véritable famille, lance Mimouna Mokadimi, 77 ans dont vingt-six au foyer, et qui est atteinte de la maladie de Parkinson. J’y ai trouvé mon père, ma mère, mes sœurs. Et elles s’occupent de moi comme si j’étais leur enfant. »
Il faut voir comment ces chibanias [« cheveux blancs » en arabe], désormais veuves, veillent les unes sur les autres, et notamment sur les plus malades. Surtout depuis l’apparition de la pandémie de coronavirus en mars 2020. Certaines ont été contaminées par le virus, mais aucune n’en est morte.
« Ailleurs, on serait perdu »
Cet après-midi-là, deux chibanias reçoivent la visite de leurs enfants qui, par chance, vivent tout près. Pour les autres, c’est plus compliqué : on vient moins les voir à cause du protocole sanitaire. Ces dames restent pudiques sur leur quotidien qu’elles traversent avec une petite retraite (jusqu’à 600 euros) ou grâce aux aides sociales.Mais elles aiment évoquer le passé, se souvenir de la vie plus joyeuse avant le Covid-19, des balades sur la plage en Belgique, des cours de poterie et de leurs défunts maris. « Le mien a fait la guerre d’Indochine », lance Zarwa. « Mon mari était un bon maçon. Un jour, son patron est venu le chercher en hélicoptère, renchérit Mimouna. Allah y rahmou [Que Dieu bénisse son âme]. »

Le quartier de l'Alma, en cours de rénovation, le 6 mai à Roubaix. LUCIE PASTUREAU / HANS LUCAS POUR « LE MONDE »
Tout, de la façade des logements sociaux parfois murés aux rues cabossées qu’elles affectionnent, leur rappelle leur ancienne vie. Car depuis leur arrivée en France il y a trente, quarante ou cinquante ans, la plupart de ces femmes n’ont connu que ce coin de Roubaix et n’en sortent (presque) jamais. « C’est notre quartier, nos commerces. Ailleurs, on serait perdu », assure Mme Bouchareb.
Et tant pis si elles doivent enjamber des cartouches pour siphon (remplies de protoxyde d’azote utilisées par les jeunes comme gaz hilarant) avec leur déambulateur ou croiser des dealers sur le chemin des courses… « On s’est habitué à cet endroit. On a toujours vécu là », enchaîne Fatma Beyyoudh, 98 ans, la doyenne des lieux.
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