Afghanistan : triangulation ou strangulation ?

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La situation en Afghanistan est pire que celle escomptée, et le nouveau président américain découvre aujourd’hui que les chemins vers Kaboul passent par Moscou, écrit Eric Walberg.

Tandis que le président des Etats-Unis Barack Obama se prépare à transférer des troupes depuis l’Irak vers l’Afghanistan, Al-Qaeda et d’autres jihadistes « transfèrent » également leurs troupes, selon le Général Abdel-Rahim Wardak ministre afghan de la Défense, donnant à son pays le privilège discutable de rester le centre de la « guerre contre le terrorisme ».

Jetant le gant à Obama, les Talibans ont avec succès fermé une nouvelle fois le passage de Khyber la semaine passée en faisant sauter un pont et en brûlant 10 camions d’approvisionnement pour faire bonne mesure. L’armée pakistanaise a répondu en bombardant une base insurgée, tuant 52 militants supposés. Les Talibans ont tué environ deux dizaines de personnes suspectées d’espionnage au profit des Etats-Unis ces derniers mois, toutes dans la région frontalière où les avions américains sans pilote ont lancé une série d’attaques par missiles.

Les responsables américains nouvellement installés décrivent la situation sur le terrain en Afghanistan comme bien plus précaire qu’ils ne l’avaient prévu, avec des services gouvernementaux américains mal organisés pour mettre en application le plan présenté la semaine dernière au Conseil National de Sécurité et à l’instance collégiale des Chefs d’état-major. L’envoyé spécial pour l’Afghanistan et le Pakistan, Richard Holbrooke, a déclaré que c’était « une situation où le dysfonctionnement est extraordinaire et où les objectifs mêmes doivent être passés en revue. »

Obama a réagi en retardant le déploiement de toute nouvelle troupe jusqu’à ce que les responsables de la défense aient présenté une « stratégie de sortie » cohérente, bien qu’il puisse difficilement se permettre d’attendre 60 jours les résultats de sa révision de politique pour « l’Afpak » [Afghanistan-Pakistan]. Après seulement quelques semaines dans ses fonctions, Obama s’est de lui-même placé dans un coin sur cette question devenue la pierre angulaire de sa politique extérieure.

En dépit des discours sur le changement et du dégoût et de la méfiance que leur inspire à lui-même et au vice-président Joe Biden, le Président afghan Hamid Karzai, il apparait qu’Obama en est réduit à poursuivre la politique mal inspirée de Bush consistant à bombarder l’Afghanistan et le Pakistan, à soutenir un régime de fantoches et à espérer que les indigènes martyrisés par les obus et mourants de faim éprouvent de la reconnaissance.

Une innovation des derniers jours du régime de Bush et qui heureusement semble mort-né, avait été proposée par le général Bantz John Craddock — premier commandant des forces alliées pour l’Europe [Supreme Allied Commander for Europe], dirigeant le commandement européen des Etats-Unis [Commander of the US European Command] et chef de l’ISAF [International Security Assistance Force], « la force de maintien de la paix » en Afghanistan. Il avait préconisé de donner aux troupes un permis de tuer tous les fermiers suspectés de cultiver le pavot, ce qui revenait à ordonner l’exécution en masse de dizaines de milliers de civils.

Cette stratégie génocidaire à la Pol Pot a provoqué un mouvement de révolte parmi les officiers de l’OTAN et il semble que Craddock va finir par devoir démissionner, mais c’est sûrement un signe des temps. En décembre 2008 la doctrine militaire des Etats-Unis a été modifiée pour permettre le bombardement des laboratoires de drogue si les renseignements obtenus suggéraient que pas plus de 10 civils seraient tués. Le mois dernier le secrétaire de la défense Robert Gates a statué sur cette question : « si nous avons la certitude que les laboratoires de drogue et les parrains de la drogue soutiennent les Talibans, alors ce sont de justes actions. » Sera-t-il également forcé de démissionner ? Ou le génocide deviendra-t-il la politique officielle des Etats-unis en Afghanistan ?

Le dernier problème pour Obama est la perte de la base aérienne américaine au Kyrgyzstan. Le Président kirghize Kumanbek Bakiyev a fait connaître la décision lors d’une conférence de presse tenue à Moscou après des entretiens avec le président russe Dimitri Medvedev. Il assistait à la réunion d’organisation du Traité de sécurité commune qui a mis en place une force de réaction rapide régionale incluant la Russie, l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakstan, le Kyrgizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbekistan.

Il a expliqué cette annulation en disant que la mission des États-Unis dans la « guerre contre le terrorisme » était terminée, et qu’en outre les Etats-Unis ne rémunéraient pas suffisament [leur présence] et avaient sorti du pays un soldat américain accusé de meurtre. Concernant la fermeture de cette précieuse base américaine, le ministre russe des affaires étrangères Sergei Lavrov a déclaré que c’était une décision souveraine des autorités kirghizes, quoique influencée par le prêt par la Russie de 2 milliards de dollars et un cadeau 150 millions de dollars au profit du Kyrgyzstan, autrefois le chéri des néos-libéraux américains et le théatre d’une révolution des « tulipes » commanditée par les Etats-Unis, mais à présent un état en faillite de plus et au bord de la banqueroute.

Mettre un terme à la présence militaire des Etats-Unis au Kyrgyzstan place la dernière pièce dans le contrôle russe des itinéraires d’approvisionnement vers l’Afghanistan à travers « ses voisins de proximité ». C’est un coup sérieux au plan d’Obama pour augmenter la mise en Afghanistan. Le passage de Khyber n’est plus fiable et le seul autre accès pour des approvisionnements — indépendamment de l’Iran — est maintenant à travers la Russie. Pleinement conscient de ce dilemme, le Kremlin s’est placé en retrait en montrant à Washington qu’il était prêt à satisfaire les besoins de transport des Etats-Unis. Lavrov a expliqué : « Nous nous attendons à ce que le côté américain envoie une demande donnant la quantité et la nature des approvisionnements. Nous donnerons alors une autorisation appropriée. »

Mais pour que les Etats-unis bénéficent de la bonne volonté russe, ils devront abandonner les projets de missiles placés en Europe de l’Est et jeter au panier leurs invitations à l’Ukraine et à la Géorgie de se joindre à l’OTAN. Les USA risqueront-ils d’abandonner leurs circuits d’approvisionnement des 60 000 soldats en Afghanistan juste pour placer leurs pions en Europe de l’Est et inviter leurs « amis » ukrainiens et géorgiens dans leur club privé ? Après les joyeuses années 90 où la politique russe se faisait à Washington, la politique des Etats-Unis se ferait-elle maintenant à Moscou ? Délicieuse ironie...

Signe du vent qui tourne, dans un éditorial récent du New York Times le professeur Karl Kaiser d’Harvard écarte avec assurance tout nouveau plan pour agrandir l’OTAN et inclure la Géorgie et l’Ukraine, arguant du fait que la dernière guerre inconsidérée contre la Russie prouve combien facilement l’OTAN pourrait être entraînée dans une guerre insensée alors qu’elle était bien trop divisée sur la question. Si l’OTAN étaient forcée d’entreprendre une guerre conventionnelle en Europe alors que ses membres n’en veulent pas, elle se révélerait comme un tigre de papier, menant ainsi à son propre effondrement. Hmmm. Peut-être que laisser le joker géorgien en dehors de ce club privé n’est pas une si mauvaise idée après tout.

Comme une pensée après-coup, Kaiser ajoute que ce serait plus dommageable pour les relations déjà si mauvaises avec la Russie et il suggère en conséquence à l’administration Obama de pousser à un nouvel accord avec la Russie incluant une limitation des armements stratégiques, une politique de non-prolifération, une nouvelle « architecture de sécurité », et qui rétablirait le Traité sur les forces conventionnelles en Europe. Toutes ces questions exigeront un sérieux compromis de la part des Etats-Unis, ce qui serait merveilleux, mais jusqu’où et à quel ryhtme Obama peut-il aller sans provoquer la colère des faucons américains ? La réponse dépend infiniment du succès ou non d’Obama dans les 12 mois qui viennent dans le lointain Afghanistan. Ce qui dépend des Russes... Obama se voit ici aussi acculé dans un coin, cette fois russo-afghan.
 
La ligne habituelle dans des médias occidentaux est de mettre en garde contre « l’expansionisme russe », comme si la Russie n’avait aucun droit à exiger que ses frontières soient sûres et que ses voisins n’installent pas chez eux des missiles nucléaires pointés dans sa direction. À la Conférence sur la Sécurité la semaine dernière à Munich (MSC), le vice-président américain Joe Biden a tenté de prévenir [ses interlocuteurs] face à la notion de zone d’influence de la Russie (lire : il accepte cette notion à contrecoeur, et ne le dites à personne), promettant que le nouveau gouvernement du président Barack Obama continuerait à pousser l’OTAN à rechercher « une coopération approfondie » avec les pays qui nous sont proches (lire : l’Ukraine et la Géorgie ne recevront pas des invitations à se joindre à l’OTAN). Il a également dit que l’administration d’Obama souhaitait poursuivre le projet de système de défense de missiles, « en consultation avec nos alliés de l’OTAN et la Russie » et fournir la technologie nécessaire si elle n’est pas trop coûteuse (lire : « Peut-être que nous le ferons, ou peut-être pas. Je vous mets au défi de placer vos missiles à Kaliningrad [pointe avancée de la Russie sur l’Europe du nord] »).

« Aussi comment peut Obama peut-il concilier les deux objectifs comme renforcer la présence américaine en Afghanistan tout en limitant l’expansionism russe ? » demande l’analyste en stratégie George Friedman dans un autre éditorial du New York Times. Sa réponse (et je ne l’invente pas) est de « moins compter sur des troupes, et plus sur des opérations secrètes comme celles de la CIA. »

Les réalisateurs d’opérations secrètes agissent sans beaucoup de difficultés, comme nous le savons des films de James Bond, et ils peuvent repérer des camps d’entraînement de terroristes des Ben Laden, faire leur rapport à Scotty et — Boum ! Mission accomplie. Friedman, prenant une feuille parmi les gribouillis de Rumsfeld, explique que cela exigerait peu de forces et résoudrait le casse-tête des voies d’approvisionnements. Il remarque de façon justifiée que l’approche conventionnelle d’Obama de placer plus de troupes au sol est condamnée, mais plus de bombardements, d’espionnage et autres activités secrètes est difficilement une option crédible.

La seule véritable alternative au bourbier militaire actuel est de négocier avec les Talibans, ce qui sera probablement la nouvelle politique — en essayant de reproduire le « succès » irakien avec les Conseils du Réveil Sunnite. L’idée est d’offrir aux Talibans une part de pouvoir s’ils déposent les armes, permettant aux Etats-Unis de se concentrer sur l’élimination de leurs amis dans les « camps de terroristes » le long de la frontière du Pakistan. Ceci est décrié par les tenants d’une ligne dure comme une reculade. En tous cas, il est peu probable que les Talibans acceptent soudainement de s’entendre avec le détesté Karzai et les envahisseurs païens. De telles « coalitions » ne durent jamais longtemps sans qu’un des côtés ne soit éliminé. La comparaison avec l’Irak est celles des pommes et avec des oranges. Et les zones tribales ingouvernables à la frontière pakistanaise resteront ce qu’elle sont.

Les plans pour attaquer l’Iran paraissent risibles dans ce contexte. Circulent déjà des rumeurs selon lesquelles l’Iran commence à regarder d’un œil plus favorable les Talibans, ce qui signifie que les plans américains en Afghanistan dépendront de l’Iran aussi bien que la Russie. A propos de l’Iran, Biden a indiqué au MSC : « Nous utiliserons tous les éléments en notre pouvoir — militaires et diplomatiques, secrets et légaux, économiques et culturels. » Ali Larijani, porte-parole du parlement iranien, a pris bonne note du ton plus conciliant employé par Biden et a qualifié la décision d’Obama d’envoyer George Mitchell comme délégué au Moyen-Orient de « signal positif ». L’Iran attend maintenant un signal positif dans sa direction. Obama est là aussi acculé dans un coin. Cette fois-ci irano-afghan.

En dépit de toutes les marques de sympathie qu’Obama a reçue du monde entier, il est difficile d’interpréter n’importe laquelle d’entre elles comme un soutien aux politiques américaines, que ce soit de la part de ses alliés ou de ses ennemis. Rien n’a vraiment changé, si ce n’est que les problèmes existants ont empiré sur les fronts militaires comme économiques. Même la perspective de négociations sérieuses avec les Talibans, l’Iran et la Russie suscitent peu d’espoir. Les Etats-Unis vont devoir en rabattre sur tant de problèmes épineux que peu de gens escomptent que [ces négociations] aient lieu.

Tout ceci ressemble vaguement à la situation qui prévalait en 1961 lorsque le Président John F. Kennedy est arrivé au pouvoir. La conviction de beaucoup est qu’après avoir initialement proposé une escalade de la guerre au Vietnam, l’intelligent Kennedy ait bientôt réalisé son inutilité et devait inverser sa position et rapidement décider d’un retrait — jusqu’à son assassinat.

Beaucoup d’Américains appellent l’Afghanistan une guerre perdue et même Obama demande aujourd’hui une stratégie de sortie avant que plus de troupes ne soient envoyées, tout comme les Démocrates le faisaient dans les années 60. La seule porte de sortie de son dilemme avec les Russes, les Iraniens et les Afghans est de revenir sur son engagement imprudent et d’en finir immédiatement avec la guerre.

Trompez-moi une fois, la honte sur vous ! Trompez-moi deux fois, la honte sur moi !
 
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