samedi 8 novembre 2008 - 07h:30
Alain Gresh
Alain Gresh, 60 ans, est un journaliste spécialiste du Moyen-Orient. Il est directeur adjoint du mensuel français Le Monde Diplomatique et membre du comité éditorial de la revue géostratégique Maghreb-Machrek que dirige Jean-François Daguzan. Il a publié plusieurs ouvrages sur cette région dont Israël, Palestine : vérités sur un conflit et LIslam, la République et le Monde. Avec le philosophe Tariq Ramadan, il a écrit LIslam en questions. Alain Gresh a participé à Alger au colloque « Monde arabe et Occident : choc des civilisations et stratégie dhégémonies », organisé en marge du Salon international du livre dAlger (Sila).
Il y a eu un bombardement américain en Syrie au moment où il y a un retour diplomatique en force. Quel est le but de ce genre dopération ?
Il est difficile de comprendre quil a une signification autre que celle liée à la politique intérieure américaine avec lélection présidentielle. Surtout que John McCain paraît pour une partie de lopinion comme une garantie de sécurité. Il est peut-être positif davoir une situation de tension, mais cela na pas été utilisé durant la campagne. Le raid contre la frontière syrienne avec lIrak correspondait à une stratégie américaine : poursuivre « les terroristes », y compris en violant la souveraineté du pays comme au Pakistan. Je ne sais pas sil faut de limportance à ce raid, mais on annonce la reprise des négociations indirectes israélo-syriennes. M.Olmert a encore trois mois devant lui pour aller jusquau bout de ces pourparlers.
Ces négociations israélo-syriennes ont-elles une chance daboutir ?
Le dossier israélo-syrien lui-même est assez facile, si on le compare à la Palestine. Il y a la question du Golan occupé. En 2000, il y avait eu des négociations très proches dun accord et ce sont les Israéliens, au dernier moment, qui sont revenus sur leurs engagements. Du point de vue israélien, cela peut être intéressant de signer un accord de paix séparé avec la Syrie parce que cela peut entraîner un autre accord avec le Liban. Le prix à payer est le retrait de tout le Golan, cest-à-dire revenir sur la ligne des frontières de juin 1967. Des dirigeants israéliens peuvent être intéressés par cela, mais le système politique israélien est tellement compliqué, avec des petits partis qui pèsent, que ce nest pas sûr que cela aboutisse. Deux points de vue saffrontent : ceux qui privilégient les négociations avec la Syrie et ceux qui veulent un accord de paix plus global. Mais la réalité sur le terrain palestinien est la poursuite de loccupation. Il va de lintérêt dIsraël de signer une paix avec la Syrie. Cela voudrait dire que ce pays aura des accords de paix avec tous ses voisins. Cependant, cela lui laissera, malheureusement, la main libre sur la question palestinienne. Il y aura moins de pression sur cette question.
La Syrie est-elle prête à séloigner de lIran ?
Jai rencontré en juillet dernier le président Bashar Al Assad avant sa visite à Paris. Il mavait déclaré : « LOccident veut quon rompe nos rapports avec lIran, alors que lIran, dans les cinq dernières années, a été le seul pays qui nous a soutenus alors que nous étions dans un isolement total. » La coopération entre les deux pays pourrait être moins importante à lavenir. Cela nira pas plus loin. De toute façon, sil y a paix entre la Syrie et Israël, il y aura paix entre le Liban et Israël. Donc la question du Hezbollah sera réglée (...) Du temps de lAdministration de Clinton et de Bush père, il y avait des négociations étroites avec la Syrie. Après le 11 septembre, Bush fils a mis la Syrie sur « laxe du mal », les conséquences furent négatives. Lassassinat au Liban de Rafic Harriri a amené la France à considérer la Syrie comme responsable de ce meurtre et à sallier aux Américains. La venue dun nouveau président en France et laccord de Doha ont facilité un retournement de la position européenne. En ce moment, la capacité des Américains à faire pression sur leurs alliés a faibli à cause du désastre de la gestion Bush et des élections américaines.
Nest-il pas trop facile daccuser la Syrie dêtre derrière les assassinats au Liban ?
Il y a une commission denquête internationale qui doit rendre les résultats de son investigation. Le Liban est coutumier des assassinats politiques. Il faut laisser les enquêteurs faire leur travail. Mais il est évident que les Américains avaient intérêt à mettre la Syrie au banc des accusés. La Syrie est un pays qui soppose à la politique américaine dans la région (...) Au Proche-Orient, dès quil se passe quelque chose, dix théories du complot émergent pour dire que cest les Israéliens ou les Américains qui sont responsables... Le Liban est un pays divisé sur le plan confessionnel et politique. On ne peut diriger ce pays par 50% contre 50%. Ce pays est utilisé par tous les voisins qui singèrent dans ses affaires internes. La solution est un gouvernement dunion nationale et lespoir que les négociations régionales aboutissent à quelque chose
Faut-il sattendre à des changements après la rencontre Saad Harriri- Hassan Nasrallah ?
Jétais au Liban, la semaine dernière, au moment de cette rencontre. Cest le signe et laccélération de la détente quil y a sur le plan intérieur. Tout le monde sait que cest provisoire. Disons que dans les neuf mois qui viennent, il y aura une détente, pas de guerre civile rampante comme on la vu jusquà présent. Il y a une situation économique qui saméliore. Pour le peuple libanais, cest ce quil y a de mieux. La situation au Liban ne peut pas être séparée de ce qui se passe dans la région. La relance des conflits (Israël-Syrie, Israël-Iran) risque de déstabiliser le Liban. Dans la direction israélienne, il y a différentes tendances. La garantie pour la sécurité dIsraël est la paix dans la région. Il y a ceux qui pensent que la garantie est la déstabilisation, ce sont les interventions militaires musclées contre les voisins. Aller vers le chaos, alimente les forces extrémistes. Cela ne favorise personne ni le monde arabe ni Israël.
Il y a un drame humain dans la bande de Ghaza. Combien de temps cette situation risque-t-elle de durer ?
Cest une situation que les Etats-Unis et lUnion européenne avaient contribué à créer. En 2006, il y a eu des élections en Palestine demandées par les Occidentaux après la mort de Arafat. Ce scrutin fut, sans doute, le plus libre dans le monde arabe. Une fois les résultats connus, la politique des USA et de lUE était de boycotter le gouvernement légitime sorti des urnes. Cétait une erreur et une atteinte à la démocratie. Cela a contribué à défaire la société et les institutions politiques palestiniennes. Aujourdhui, il existe une double autorité, lune à Ghaza et lautre à Ramallah. Les négociations de paix ne peuvent se faire quavec une direction palestinienne unifiée. Un million et demi de Palestiniens vivent une situation insupportable à Ghaza : les étudiants ne peuvent pas aller à létranger, les soins sont rares... Ce type de situation alimente lextrémisme. Le discours occidental sur les droits de lhomme est à double détente. On défend dun côté ces droits et, de lautre, on tolère lasphyxie de toute une population à Ghaza, punie davoir mal voté. Il y a une indifférence aux Etats-Unis, en Europe et, malheureusement, dans le monde arabe. Il existe une médiation égyptienne entre le Hamas et lAutorité palestinienne. Il faut espérer surtout que toutes les forces internationales feront pression. Tout le monde a intérêt à linstauration dun gouvernement dunion nationale en Palestine, le seul qui peut négocier (...) Je ne crois pas que les élections auront lieu en janvier prochain. Le Fatah et le Hamas nont pas la même interprétation et la même date, janvier 2010 pour le premier, janvier 2009 pour le deuxième. Cela risque daggraver la tension. Il existe des documents qui ont fixé le cadre commun palestinien, à limage de laccord de La Mecque. Cest là-dessus quil faut compter pour éviter lescalade.
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Alain Gresh
Alain Gresh, 60 ans, est un journaliste spécialiste du Moyen-Orient. Il est directeur adjoint du mensuel français Le Monde Diplomatique et membre du comité éditorial de la revue géostratégique Maghreb-Machrek que dirige Jean-François Daguzan. Il a publié plusieurs ouvrages sur cette région dont Israël, Palestine : vérités sur un conflit et LIslam, la République et le Monde. Avec le philosophe Tariq Ramadan, il a écrit LIslam en questions. Alain Gresh a participé à Alger au colloque « Monde arabe et Occident : choc des civilisations et stratégie dhégémonies », organisé en marge du Salon international du livre dAlger (Sila).
Il y a eu un bombardement américain en Syrie au moment où il y a un retour diplomatique en force. Quel est le but de ce genre dopération ?
Il est difficile de comprendre quil a une signification autre que celle liée à la politique intérieure américaine avec lélection présidentielle. Surtout que John McCain paraît pour une partie de lopinion comme une garantie de sécurité. Il est peut-être positif davoir une situation de tension, mais cela na pas été utilisé durant la campagne. Le raid contre la frontière syrienne avec lIrak correspondait à une stratégie américaine : poursuivre « les terroristes », y compris en violant la souveraineté du pays comme au Pakistan. Je ne sais pas sil faut de limportance à ce raid, mais on annonce la reprise des négociations indirectes israélo-syriennes. M.Olmert a encore trois mois devant lui pour aller jusquau bout de ces pourparlers.
Ces négociations israélo-syriennes ont-elles une chance daboutir ?
Le dossier israélo-syrien lui-même est assez facile, si on le compare à la Palestine. Il y a la question du Golan occupé. En 2000, il y avait eu des négociations très proches dun accord et ce sont les Israéliens, au dernier moment, qui sont revenus sur leurs engagements. Du point de vue israélien, cela peut être intéressant de signer un accord de paix séparé avec la Syrie parce que cela peut entraîner un autre accord avec le Liban. Le prix à payer est le retrait de tout le Golan, cest-à-dire revenir sur la ligne des frontières de juin 1967. Des dirigeants israéliens peuvent être intéressés par cela, mais le système politique israélien est tellement compliqué, avec des petits partis qui pèsent, que ce nest pas sûr que cela aboutisse. Deux points de vue saffrontent : ceux qui privilégient les négociations avec la Syrie et ceux qui veulent un accord de paix plus global. Mais la réalité sur le terrain palestinien est la poursuite de loccupation. Il va de lintérêt dIsraël de signer une paix avec la Syrie. Cela voudrait dire que ce pays aura des accords de paix avec tous ses voisins. Cependant, cela lui laissera, malheureusement, la main libre sur la question palestinienne. Il y aura moins de pression sur cette question.
La Syrie est-elle prête à séloigner de lIran ?
Jai rencontré en juillet dernier le président Bashar Al Assad avant sa visite à Paris. Il mavait déclaré : « LOccident veut quon rompe nos rapports avec lIran, alors que lIran, dans les cinq dernières années, a été le seul pays qui nous a soutenus alors que nous étions dans un isolement total. » La coopération entre les deux pays pourrait être moins importante à lavenir. Cela nira pas plus loin. De toute façon, sil y a paix entre la Syrie et Israël, il y aura paix entre le Liban et Israël. Donc la question du Hezbollah sera réglée (...) Du temps de lAdministration de Clinton et de Bush père, il y avait des négociations étroites avec la Syrie. Après le 11 septembre, Bush fils a mis la Syrie sur « laxe du mal », les conséquences furent négatives. Lassassinat au Liban de Rafic Harriri a amené la France à considérer la Syrie comme responsable de ce meurtre et à sallier aux Américains. La venue dun nouveau président en France et laccord de Doha ont facilité un retournement de la position européenne. En ce moment, la capacité des Américains à faire pression sur leurs alliés a faibli à cause du désastre de la gestion Bush et des élections américaines.
Nest-il pas trop facile daccuser la Syrie dêtre derrière les assassinats au Liban ?
Il y a une commission denquête internationale qui doit rendre les résultats de son investigation. Le Liban est coutumier des assassinats politiques. Il faut laisser les enquêteurs faire leur travail. Mais il est évident que les Américains avaient intérêt à mettre la Syrie au banc des accusés. La Syrie est un pays qui soppose à la politique américaine dans la région (...) Au Proche-Orient, dès quil se passe quelque chose, dix théories du complot émergent pour dire que cest les Israéliens ou les Américains qui sont responsables... Le Liban est un pays divisé sur le plan confessionnel et politique. On ne peut diriger ce pays par 50% contre 50%. Ce pays est utilisé par tous les voisins qui singèrent dans ses affaires internes. La solution est un gouvernement dunion nationale et lespoir que les négociations régionales aboutissent à quelque chose
Faut-il sattendre à des changements après la rencontre Saad Harriri- Hassan Nasrallah ?
Jétais au Liban, la semaine dernière, au moment de cette rencontre. Cest le signe et laccélération de la détente quil y a sur le plan intérieur. Tout le monde sait que cest provisoire. Disons que dans les neuf mois qui viennent, il y aura une détente, pas de guerre civile rampante comme on la vu jusquà présent. Il y a une situation économique qui saméliore. Pour le peuple libanais, cest ce quil y a de mieux. La situation au Liban ne peut pas être séparée de ce qui se passe dans la région. La relance des conflits (Israël-Syrie, Israël-Iran) risque de déstabiliser le Liban. Dans la direction israélienne, il y a différentes tendances. La garantie pour la sécurité dIsraël est la paix dans la région. Il y a ceux qui pensent que la garantie est la déstabilisation, ce sont les interventions militaires musclées contre les voisins. Aller vers le chaos, alimente les forces extrémistes. Cela ne favorise personne ni le monde arabe ni Israël.
Il y a un drame humain dans la bande de Ghaza. Combien de temps cette situation risque-t-elle de durer ?
Cest une situation que les Etats-Unis et lUnion européenne avaient contribué à créer. En 2006, il y a eu des élections en Palestine demandées par les Occidentaux après la mort de Arafat. Ce scrutin fut, sans doute, le plus libre dans le monde arabe. Une fois les résultats connus, la politique des USA et de lUE était de boycotter le gouvernement légitime sorti des urnes. Cétait une erreur et une atteinte à la démocratie. Cela a contribué à défaire la société et les institutions politiques palestiniennes. Aujourdhui, il existe une double autorité, lune à Ghaza et lautre à Ramallah. Les négociations de paix ne peuvent se faire quavec une direction palestinienne unifiée. Un million et demi de Palestiniens vivent une situation insupportable à Ghaza : les étudiants ne peuvent pas aller à létranger, les soins sont rares... Ce type de situation alimente lextrémisme. Le discours occidental sur les droits de lhomme est à double détente. On défend dun côté ces droits et, de lautre, on tolère lasphyxie de toute une population à Ghaza, punie davoir mal voté. Il y a une indifférence aux Etats-Unis, en Europe et, malheureusement, dans le monde arabe. Il existe une médiation égyptienne entre le Hamas et lAutorité palestinienne. Il faut espérer surtout que toutes les forces internationales feront pression. Tout le monde a intérêt à linstauration dun gouvernement dunion nationale en Palestine, le seul qui peut négocier (...) Je ne crois pas que les élections auront lieu en janvier prochain. Le Fatah et le Hamas nont pas la même interprétation et la même date, janvier 2010 pour le premier, janvier 2009 pour le deuxième. Cela risque daggraver la tension. Il existe des documents qui ont fixé le cadre commun palestinien, à limage de laccord de La Mecque. Cest là-dessus quil faut compter pour éviter lescalade.
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