Ascenseur social et évolution de la sociabilité

  • Initiateur de la discussion Initiateur de la discussion Alderamin
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Bonjour

Je pense que j’aborde un sujet peut-être un peu délicat et déplacé et j’espère ne pas heurter la sensibilité de certains. Je m’adresse principalement à ceux qui, partis de rien ou pas grand-chose, ont monté les échelons au point de s’être largement distancés des personnes de leur milieu d’origine. Pour les personnes d’extraction maghrébine, les rapports sociaux sont marqués d’une manière générale par une solidarité tirée de la culture arabo-musulmane : la famille élargie, la oumma au sens d’une communauté de personnes ayant vocation à être placée sur un pied d’égalité. Ce lien de solidarité peut-être plus ou moins distendu quand la question de la classe sociale fait son apparition.

Je pense en effet qu’on est d’autant plus enclin à accepter et revendiquer cette proximité- égalité quand on a le même niveau de vie. Les choses se compliquent quand des changements surviennent du point de vue de la richesse.
Comment vivez-vous le décalage qui s’est créé à mesure que vous avez évolué scolairement et/ou professionnellement ? Il y a évidemment plusieurs attitudes possibles mais je pense qu’en pratique, le résultat est à peu près le même: la distanciation. Les différences entre les parcours vers cette fin tiennent, je pense, à la subtilité et le tact dans l’éloignement. Certains couperont purement et simplement les ponts ; d’autres limiteront leurs fréquentations en profitant de ce que leurs obligations pro/scolaire les tiennent à l’écart , rendant ainsi la séparation moins « brutale » - et plus commode.
En ce qui me concerne, sans prétendre à un poste très haut perché , ma progression sociale ne fait presque aucun doute et je commence à bien sentir ses effets sur ma sociabilité. Je ressens d’autant plus les réactions des gens à mon égard que, d’un naturel assez solitaire, j’ai pris pour habitude de raser les murs – le fait de venir d’une famille plutôt défavorisée (parents) y contribuant aussi beaucoup. Cette situation était assez commode au début de mes études parce que les gens, qui n’aperçoivent pas encore le « bout du tunnel », vous laissent plus ou moins tranquille. Quand les perspectives professionnelles se dessinent mieux, vous devenez comme par magie plus attrayant. Et commence alors un jeu assez lassant ; celui de placer des limites à la volonté des gens que vous rencontrez (plus par nécessité que par choix) de se rapprocher de vous - après qu’ils vous aient biensûr témoigné une parfaite indifférence avant de réaliser ce que "vous valiez" (zehma).
 
Est-ce qu’on peut garder ses distances sans être trop snob ? Je pose la question parce que j’ai pu rencontrer des gens assez peu réactifs aux « signes » (diplomates au possible : ) de ma volonté de ne pas me lier à eux et qui ont pu se montrer très envahissants.
Trouvez-vous grave d’éprouver cette répulsion également à l’égard de sa propre famille ?
Se sentir au fil du temps de plus en plus étranger aux gens que vous avez connus tout petits et qui perdent, pour certains, tout intérêt ou considération à vos yeux ? (sans vous avoir causé de tort particulier je précise). Sentir ses proches flairer les possibles rentrées d’argent et presque en exulter puis les voir essayer de se rapprocher de vous. Pour n’avoir jamais eu grand-chose et jamais compté sur ces personnes, j’éprouve une très grandes réticence à leur égard et leur comportement. Je sais pas si c’est un signe d’une radinerie prochaine , mais je suis tenté de rompre assez radicalement avec ce beau monde et ne penser qu’à mes parents, du moins ceux qui m’ont aidé. Mon souci serait la proximité presque incontournable de mes parents avec ces personnes dont je parle plus haut et qui ne manqueront pas de s’approcher d’eux.

Qu’en dites-vous. Jusqu’où poussez-vous la solidarité familiale et comment l'articulez-vous avec vos besoins et vos intérêts personnels?
Comment gérez-vous les personnes qui vous sollicitent et tirent sur la corde famille-islam-générosité-culpabilité?
 
Je vais te donner mon avis:
-je m'en tiens à mes parents.

Ce n'est pas par snobisme ou autre, mais il se trouve que les mauvaises expériences de la vie ont quasi-éliminé mon sens de la famille au point de le restreindre à la famille au sens strict: parents, et bientôt ma propre famille je l'espere.

Je ne prends pas les gens de haut du fait de mes études, je trouve ça bête et je ne crains pas pour mon argent, je me protege des attaques.


En ce qui te concerne, si tu vois que des gens de ta famille essaient de faire ami ami alors qu'avant tu n'étais que du vent, écarte toi d'eux, ce n'est pas une perte.
Pour le reste, je ne saurais te conseiller, mais ne sois pas arrogant du fait de ton ascension sociale...les études et les diplômes ne font pas la personne humainement parlant, ils font son avenir professionnel, that's all!
 
Je pense que c est grave ce que tu dis mais en meme temps ca temoigne d un phenomene que j avais cru apercevoir :

Beaucoup de gens ,et moi le premier,fustigeons l hexis corporelle (la maniere de se tenir,de se mouvoir et j irai plus loin en disant ''de se comporter'') de ceux ayant ''reussi'' ou en train de reussir (suivant les criteres subjectifs de la reussite tels que spontanement reconnus de nos jours).
En reaction l on entend qu il s agit ,dans cette aversion ,uniquement de jalousie de ne pas avoir soi-meme reussi.

Dans un sens je dirai que oui au fond il doit y avoir une certaine part de jalousie car l humain est tel qu il lui est difficile de ne pas avoir d atomes de jalousie dans son coeur lorsqu il percoit le succes des autres dans des entreprises dans lesquelles il a lui meme echoue.

Maintenant je pense que c est une reaction plus complexe qu une simple crise de jalousie.C est,a mon avis, aussi un rejet du a un sentiment que c est anormal de consubstantialiser la reussite,l honneur,le respect que l on doit obtenir avec un c.v
C est le sentiment d etre devalorise par rapport a ceux ayant reussi la ou l on a echoue et aussi le sentiment d etre injustement percu,juge et classifie fonction de mauvais criteres (dans le sens pas ceux qui devraient normalement entrer en compte dans la perception que les gens devraient se faire a notre egard).


Au fond ces gens la (dont l on apprecie pas l hexis) symbolisent toute l injustice,toute la violence symbolique de la vie sociale qui classe les individus sur du superficielle en en excluant et en honorant d autres non sur ce que devrait etre reellement un merite mais sur des merites qui sont illusoires

Certes il y a la de la rancoeur,de la jalousie mais au fond c est plutot une reaction a une societe qui semble marcher sur la tete et que ces personnes illustrent (dont l on apprecie pas l hexis).

Au fond la reussite telle qu elle a ete construite socialement est particulierement propice a attiser des rancoeurs,a diviser les gens et a brouiller les reperes du reel merite
 
Pour ce qui est de la famille,quelles que soient leurs reactions,je trouve qu il est completement inenvisageable de s eloigner voir carrement de couper les ponts par flair du rapprochement de profit de certains de ses membres.

Quand bien meme une personne vient a nous par pur profit,je pense qu il est de notre devoir de ne pas la snobber et de se comporter au mieux avec elle.Si son attitude n est mue que par le profit alors ce sera elle qui sera la grande perdante mais notre generosite ne pourra que temoigner d une sagesse qui nous caracterise et au final nous faire ressortir victorieux de cette relation car malgre les intentions de l autre,l on aura su se faire violence et garder un comportement aimable et genereux.

De la meme facon que celui qui persiste a la gentillesse face a la mechancete est le grand gagnant.


Qui plus est,l argent,une haute place dans l ascenceur social ne signifient rien et ne temoignent pas de notre valeur personnelle.Il est donc important de garder les pieds sur terre et de ne pas s imaginer sur un piedestale d ou l on pourrait choisir d exercer ou non notre clemence sur ceux venant mendier a notre trone.

La reussite sociale,a l instar du pouvoir,est un trompe l oeil et celui qui n y prend garde et qui ne peut se remettre suffisamment en question risque de s egarer dans un narcisisme et dans une consideration biaisee sur sa personne car au final le meilleur d entre nous,le plus utile,le plus important,celui qui merite le plus de respect et qui est vraiment en haut de l echelle,c est le plus pieux et pas celui qui a la meilleure situation professionnelle .
 
Je suis pas très d’accord avec toi sur ce que t’appelles hexis sociale de celui qui « réussit ». Oui, certains se montent la tête quand ils changent de statut, ont un comportement arrogant parce qu’ils se croient placés, du seul fait de leur promotion, dans un rapport de supériorité.
Le problème c’est que tu raisonnes en générale : « nous fustigeons l’hexis corporelle de ceux ayant réussi ou en train de réussir » (selon les critères etc.). Tu fais aucune distinction entre les gens qui sont dans cette situation et tu leurs colle à tous cette hexis corporelle.
Je pense que c’est un signe de la réaction que tu appelles d’abord jalousie et que tu tentes ensuites d’expliquer différemment. On est tous à peu près d’accord que le mérite ne se mesure pas seulement au nombre de diplomes, à l’argent qu’on peut faire grâce à son entreprise qui a connu la chance et le succès. Mais j’ai un scoop, des personnes comme ça qui ont de l’humilité, ça existe. Et parfois, elles ont beau faire tous les efforts du monde pour ménager ceux qui ne peuvent se prévaloir de succès comparables, ces derniers (certains) ne seront toujours pas satisfaits. Ils trouveront de l’arrogance partout dans ce que dis où fait la personne, aussi neutre que celle-ci puisse être dans son comportement. Peut-être que toi tu en es quand tu fustiges a priori les personnes ayant réussi au sens des critères « matériels » que la société a construit en qualités.

Pour en revenir à mon post principal, il est pas question de rompre parce qu’on a seulement réussi mais parce qu’on s’est trop éloigné des gens qui n’ont pas suivi un parcours comme le notre. Les choix qu’on fait nous amènent à construire notre personnalité de telle sorte que des chemins parfois très différents apportent les changements et les différences en conséquence. Je me permet de penser que quand on a de l’ambition, qu’on sacrifie son temps à la rigueur et au travail – à l’honnêteté intellectuelle aussi – on developpe une sensibilité toute différente que si on avait fait le choix d’études courtes (ou d’aucune études) ou de s’amuser d’abord, de ne pas lire de livres, de s’en tenir de près à une tradition dont est convaincu de la perfection et de la fixité etc. Ce sentiment d’éloignement peut amener à se sentir étranger dans le groupe comme j’ai pu le dire plus haut.

Et c’est sur la manière gérer ce sentiment que je m’interroge et que j’interroge les gens de ce forum.
Ce qui m’interresse le plus, ce sont les gens qui font le « grand écart » . Ceux qui partent de rien et qui se singularisent par rapport aux membres de leur groupe d’origine, surtout du point de vue intellectuel en fait. Une réussite « seulement » matérielle (chef entreprise) peut n’entraîner que peu de changements au niveau des valeurs – et c’est commode pour rester intégré. Un diplôme en philosophie, en littérature, en droit etc. a une capacité bien plus puissante de désagrégation – même s’il ne l’entraîne pas systématiquement. Le problème a bien sûr moins d'intérêt quand il s'agit d'une famille qui compte beaucoup de réussites du genre.
 
Concernant ton premier paragraphe,je pense qu il n a vraiment pas lieu d etre car bien evidemment je parlais en general au vue de ce que j ai pu constater et cela ne signifie pas que je range dogmatiquement dans la meme case TOUTES ces personnes la mais que je degage une moyenne.Je n ai pas precise car je pensais que c etait un truisme que de l enoncer mais alors je te re-precise que bien entendu il n y a pas ,dans mon discours,une accusation a l encontre de TOUTES ces personnes la.

Concernant le reste,je pense qu il ne faut en aucun cas oublier d ou l on vient,son milieu d origine.Quel que soit notre parcours,qu il nous amene ou non dans d autres spheres,il me parait important de ne pas s eloigner du milieu qui nous a vu nous construire pour suivre la voie qui est la notre actuellement.Apres c est un avis personnel comme toi tu as le tien et sur ce plan la il ne peut y avoir de debat.

Peut-etre cette divergence nait aussi de notre conception differente de ce qu est l ambition,du moins la bonne ambition.Pour toi c est peut-etre de reussir du mieux possible professionnellement avec la consequence qui est la reussite financiere ou une reussite intellectuelle .Pour moi la bonne ambition c est de construire une famille unie,avoir des enfants bien eleves,reussir a faire le bien autour de soi,tenter de garder une foi a toutes epreuves et une piete exemplaire.En somme pour moi la bonne ambition,c est d oeuvrer pour avoir le moins de griefs possible le jour du jugement dernier.

Ce que je ressens quand je te lis (peut-etre que je me trompe),c est le sentiment de vouloir s eloigner d un monde que tu estimes ''inferieur'' car moins intellectuel,moins ambitieux (selon ta conception de l ambition),moins travailleur.En somme j ai l impression que tu deprecies le milieu d ou tu viens tout en valorisant celui ou tu aimerais etre et ou tu vas aller histoire de te rassurer sur la valeur de celui-ci et ainsi te satisfaire et te feliciter du parcours que tu as choisi .Je ressens comme une volonte de ne plus se comparer a des individus ''inferieurs'',moins interessants dont il faut s emanciper.

Je connais des gens qui ont excellement reussi professionnellement et qui pour autant en dehors du travail viennent a la petite mosquee du quartier puis ensuite trainent avec des jeunes de ce meme quartier qui,pour la plupart,sont au chomage et ont une mentalite completement differente de celle du milieu qu ils cotoient.Tout en trouvant ces jeunes plus interessants que leurs collegues.Avoir un metier valorise,lire des livres,se cultiver,travailler ses meninges ne doit pas pour autant nous pousser a nous



Enfin bon je te dis comment je vois les choses donc ne le prends pas mal.
 
Mon premier paragraphe répondait simplement à ta phrase qui veut dire ce qu’elle veut dire : « Beaucoup de gens ,et moi le premier,fustigeons l hexis corporelle de ceux ayant ''réussi'' ou en train de réussir ». A ce moment, tu ne fais pas de distinction ; c’est après coup que tu apportes de la nuance – mais mieux vaut tard que jamais..

Ensuite tu te poses en moraliste tout en reconnaissant qu’on puisse avoir des vues différentes : « selon moi, on doit faire ça et pas ça , mais chacun son avis .» C’est commode comme manière de débattre. Un discours injonctif qui se veut ouvert. Pourquoi pas, on est sur un forum de musulmans et je me suis risqué à demander l’avis des gens. Je m’attendais bien à une intervention de ce genre.

Pour le reste, tu marches sur un fil les yeux bandés. Tu devrais y aller mollo sur tes impressions. L’intuition sur la base d’à peu près rien du tout, sauf de la chance, ça donne rarement quelque chose de pertinent.

Mais ta manière de raisonner est assez interessante parce qu’elle révèle les ressorts des procédés d’identification et d’assignation dont sont (très) souvent l’objet les « arabes français ».
Tu es d’origine arabe. Considérant ce fait, je me permet de te faire la morale; en effet, ta «condition » te prescrit plusieurs devoirs, qui s’articulent autour de la religion de tes congénères : tu dois être un bon père de famille et surtout un bon croyant ; et comme tel – et je l’ai relevé dans mon tout premier message – tu ne dois surtout pas te singulariser par rapport au reste des croyants.

Si tu t’y risques, tu as forcément tort. La seule explication de ton comportement, c’est ton arrogance : tu te crois supérieur – et tu as encore tort. J’ai particulièrement apprécié le passage sur ma peur présumée d’adopter un pseudo nouveau mode de vie au détriment de celui que je devrais suivre – peur que j’essaye de conjurer par l’idée sa supériorité.

Pour être franc, la chose inconfortable qui me vient à l’esprit, c’est au contraire mon incapacité à être comme les gens comme toi voudraient que je sois ; sincèrement, et c’est pas faute de l’avoir voulu. Je me sens pas supérieur mais différent, crois le ou pas.
Pardon de décevoir tes certitudes sur moi, mais c’est pas comme si j’étais d’une certaine nature à l’origine et que par la suite, je me sois renié - en raison de de mon éducation, de l’acquisition de la culture occidentale pernicieuse etc. Je crois que dès l’origine, je me suis toujours senti à côté de la plaque. Je vois des gens qui se conforment à des règles parfois spontanément, parfois artificiellement, et moi j’y arrive pas, même quand je pense savoir en lire le sens et les enjeux.

Comme quoi le conditionnement – ou bourrage de crâne pour faire un peu de mauvais esprit - a foiré quelque part.

Je finirai sur ton type de la mosquée avec ses petits potes de quartiers. Il a seulement la valeur d’un exemple pour moi…
 
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