Il est certainement souhaitable de voir Barack Obama réussir à mettre en place un système de couverture maladie plus ou moins universel aux Etats-Unis : cinquante millions de personnes sans assurance santé au pays de Pfizer, de Merck et de Johnson & Johnson, c'est un peu si comme vingt pour cent des Gaulois étaient privés de camembert et de roquefort.
L'hostilité farouche d'une très grande partie de l'opinion américaine à ce projet est pourtant plus complexe qu'on ne l'imagine ici. Et les « rednecks » abrutis par le mauvais whisky qui affirment lutter contre la propagation du communisme en refusant la réforme ne sont, au bout du compte, pas plus représentatifs du débat en cours qu'un Besancenot ne l'est de la réflexion française sur la réglementation des marchés financiers
Difficile, pour autant, de comprendre ce qui peut motiver des gens qui ont tout à gagner du changement à le refuser avec autant d'énergie. Ces ouvriers, ces employés, ces « précaires » qui, bien qu'ayant parfois voté pour Obama, s'inquiètent de la création d'une énorme administration fédérale dont le but affiché est -qui en douterait ? - « l'amélioration de leur bien-être ».
Le « socialisme » vu par une nation de pionniers
Au-delà des arguments concrets popularisés par la droite républicaine (les pays européens bénéficiant d'une CMU n'ont pas réglé les problèmes d'égalité dans l'accès aux soins ; leurs systèmes de santé sont tous déficitaires ; la concurrence entre acteurs de santé est le moteur de l'innovation, etc.), on peut se demander si ce n'est pas la nature profondément individualiste des Américains, cette manière de se concevoir comme une nation de pionniers, de défricheurs ne comptant que sur leurs propres forces qui est à l'uvre, plus qu'une réflexion pratique sur les forces et faiblesses d'un système de santé géré depuis Washington.
L'Amérique actuelle n'est pas plus un pays de chercheurs d'or et de conquérants de l'Ouest sauvage que l'Italie moderne n'est un empire régnant sur la quasi-totalité du monde connu. A la différence des riverains du Tibre, toutefois, ceux du Colorado continuent de s'accrocher à leur histoire et à leur mythologie. Et c'est, finalement, la même croyance quasi-religieuse en l'idée que l'individu est à la base de la société, qu'il n'a pas à se soumettre à elle et qu'il reste ultimement le maître de son propre destin, qui continue de prévaloir. Clairement, les Américains ne sont pas des social-démocrates.
Des démocrates, sans aucun doute, et Tocqueville nous avait déjà montré à quel point ils nous devancent dans l'organisation de l'expression citoyenne, mais des Suédois confiant leur existence à l'Etat, du berceau à la tombe ou, plus thématiquement, de la crèche collective municipale à la maison de retraite gérée par la DDASS, certainement pas.
Moi-même, admirateur des bienfaits du « nanny-state » à la scandinave, j'ai tendance à préférer vivre dans un système qui m'assure que mon cancer, ma pneumonie, ma sclérose en plaque, ma leucémie et, « last but not least », ma grippe A, seront soignés quel que soit le niveau de mon compte en banque. Ce qui ne m'empêche pas d'avoir un certain respect pour le « rugged individual » à chapeau de cowboy lisant « Self-Reliance » de Ralph Waldo Emerson à l'heure du bivouac et à la lueur de son feu de camp.
Mais à en croire l'appel lancé ce matin par Libération, via lequel une tripotée d'intellectuels, de scientifiques et de politiques (dont Besancenot ! ) s'inquiètent des menaces sur les libertés individuelles que font peser les mesures gouvernementales anti-grippe, je me demande si les mangeurs de fromage n'ont pas, eux aussi, de temps en temps, le désir de partir à la conquête l'Ouest
http://www.rue89.com/tribune-vatici...dobama-et-si-les-americains-nen-voulaient-pas