Canada: Charkaoui et Abdelrazik sont-ils aussi innocents qu’ils le disent?

Adil Charkaoui et Abousfian Abdelrazik demandent chacun plus de 20 millions de dollars au gouvernement du Canada pour les avoir injustement considérés comme des terroristes. Les affaires les impliquant ont été relancées la semaine dernière lorsque La Presse a publié une note du Service canadien du renseignement de sécurité au ministère fédéral des Transports datant de 2004 relatant une conversation entre les deux hommes.

Le document, coté secret, signale que Charkaoui et Abdelrazik auraient discuté en 2000 de faire sauter un avion assurant la liaison entre Montréal et Paris. Les deux hommes nient l'allégation avec véhémence. Les avocats qui les représentent croient que la fuite est liée à leurs poursuites contre le gouvernement du Canada.

Charkaoui, un marocain d'origine résident permanent du Canada, a réussi à faire annuler en 2009 le certificat de sécurité émis contre lui. Un tel certificat autorise l'État à emprisonner des non-citoyens sans porter des accusations contre eux et sans rendre publique la preuve qui justifie leur incarcération. Il a passé 21 mois en prison et une fois libéré en 2005, il a été obligé de porter un bracelet GPS jusqu'en 2009.

Abdelrazik, un citoyen canadien d'origine soudanaise est ciblé par la GRC et le SCRS depuis les années 90 pour ses accointances avec des terroristes. Il figure aussi sur la liste noire des membres d'organisation terroriste établie par le Conseil de sécurité des Nations-Unies. Il pense que la publication de la note du SCRS pourrait aussi être une tentative de saboter ses démarches pour que son nom soit retiré de la liste de l'ONU.

Personnellement, je ne pense pas qu'il s'agisse d'un sombre complot des services secrets. La fuite semble venir du ministère des Transports plutôt que du SCRS. Un fonctionnaire des Transports, qui n'avait pas les deux hommes dans son cœur, a simplement fait état du vieux document dans une conversation avec un journaliste et ce dernier a manifesté son intérêt pour l'obtenir. On voit mal pourquoi quelqu'un se serait donné la peine d'inventer de toutes pièces une telle histoire, onze ans après les faits alors que les autorités ont renoncé à les poursuivre. La note semble donc être authentique, même si les informations qu'elle contient sont peut-être erronées.

Les services spéciaux fédéraux avaient-ils raison de cibler les deux hommes au début des années 2000? Les renseignements obtenus de sources étrangères à leur sujet étaient troublants.
 
Adil Charkaoui était soupçonné de s'être entrainé dans des camps d'Al-Qaïda en Afghanistan en 1998. On le liait également aux auteurs des attentats meurtriers de Casablanca et de Madrid à qui il aurait fourni de l'argent et un ordinateur.

On reprochait aussi à Abousfian Abdelrazik de s'être entraîné avec Al-Qaïda en Afghanistan et, en plus, d'avoir aidé Ahmed Ressam à s'y rendre. Montréalais d'origine algérienne, Ressam a été condamné pour avoir tenté commettre un attentat à l'explosif à l'aéroport de Los Angeles en décembre 1999, le fameux attentat du Millénaire.

Une telle accumulation de renseignements fautifs et de mauvaises interprétations dans les deux cas est-elle possible? Ce serait surprenant.

On verra bien au procès si l'État préfère leur donner des millions de dollars plutôt que de rendre publiques certaines des preuves qu'il possède contre eux, s'il en a bien sûr. Une simple décision ministérielle suffit pour lever le sceau du secret. Mais de toute façon, il est sûr que les avocats du gouvernement vont poser à Charkaoui et à Abdelrazik des questions qui risquent d'être fort embarrassantes pour eux, s'ils ne sont pas aussi innocents qu'ils le disent. S'ils le sont, ils auront l'occasion de se laver à jamais des allégations qui pèsent contre eux.

L'enquête sur la fuite, demandée par Charkaoui et Abdelrazik, n'est pas nécessaire.


Par Normand Lester
 
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