Le Nord-Est syrien est essentiellement tributaire de l’Euphrate pour son approvisionnement en eau. Malgré un accord international, la Turquie qui le contrôle en amont en limite le débit, avec des conséquences dramatiques pour la population.
« Voilà comment la guerre continue. » Au bout d’un pont détruit, Ahmed Alheriri, le jeune comaire de Raqqa, désigne l’Euphrate. Le fleuve biblique a fondu des trois quarts, laissant apparaître sur ses berges sèches des touffes d’herbe et des croûtes de poussière blanche. Baigneurs, bergers et troupeaux peuvent traverser par endroits – des scènes inédites. En ce mois de juin, le fleuve emblème du Croissant fertile paraît comme asséché. « La Turquie utilise l’eau à la manière d’une arme contre les populations de la région. Elle essaie d’étrangler notre expérience démocratique. »
Depuis fin janvier, le débit de l’Euphrate est d’environ 250 mètres cubes par seconde, ce qui est très bas pour le fleuve. La Turquie est accusée de le réduire en amont par des retenues sur ses nombreux barrages. « C’est du jamais-vu depuis que les relevés existent », atteste Nicolas Guibert, le responsable du secteur « eau et assainissement » pour la coordination des ONG du Nord-Est syrien. « Même pendant la terrible sécheresse de 2018, le fleuve n’atteignait pas ce niveau. » Pourtant, un accord de 1987 avec la Syrie impose à la Turquie de laisser passer au moins 500 mètres cubes. « L’Euphrate est la source d’eau quasi exclusive des populations de Kobané jusqu’à Deir Ez-Zor », souligne Nicolas Guibert. Soit près de 3 millions de personnes. « La moitié des 126 stations de potabilisation ne peuvent plus fonctionner correctement à cause des niveaux trop bas. » Problème : il n’y a pas de solution alternative, parce que « les eaux souterraines sont souvent non potables car trop salines ».
« L’impact sur les populations est catastrophique », dénonce Ahmed Alheriri. Les maladies diarrhéiques augmentent, particulièrement chez les enfants. Les camions-citernes qui viennent en appoint aux populations assoiffées sont rarement désinfectés. Les puits creusés artisanalement font remonter de l’eau non potable. Le secteur agricole, dont dépend 70 % de la population de la région, est également très touché : les cultures basées sur l’irrigation sont menacées, et la sécheresse majeure qui s’abat depuis des mois a déjà entraîné une perte de rendement de 75 % des cultures non irriguées. En guise de cercle vicieux, les deux barrages hydroélectriques de Tishrin et Tabqa, sources d’électricité principales de 3 millions de personnes, ont dû réduire leur puissance, tombée à 125 mégawatts au lieu des 400 habituels. Ce qui entraîne des coupures massives pour les habitants et menace aussi le fonctionnement des stations de potabilisation, de l’irrigation, des hôpitaux, etc. Si le débit continuait de diminuer, les turbines devraient s’arrêter, ce qui pourrait endommager durablement les barrages.