Makelloos
VIB
Prendre un traitement en respectant les interdits religieux ou ses convictions végétariennes intimes peut relever du casse-tête.
Du cochon dans les médocs, c’est courant. Le saviez-vous? Les substances animales entrent dans la composition de très nombreux médicaments. Une étude publiée en début d’année dans le Postgraduate Medical Journal montre qu’un quart des patients interrogés en Grande-Bretagne se voient prescrire sans le savoir des médicaments contenant de la gélatine, alors que l’absorption de matière animale est contraire à leur éthique (ils sont végétariens) ou à leur religion.
Alors comment se soigne-t-on quand on est juif ou musulman? Ou quand, par souci de bien-être animal, on s’est fait le serment de ne plus jamais avaler la moindre protéine issue de nos amies les bêtes?
Dans la fabrication de médicaments, «toutes les substances d'origine animale peuvent être utilisées (à l'exclusion de quelques parties animales —les matériels à risques spécifiés comme la tête, la rate et la moelle épinière, NDLR) si elles répondent aux critères européens de sécurité virale», nous précise l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). La plupart des médicaments dits d’urgence vitale utilisent des produits à base d’animaux. Mais des remèdes anti-bobos parmi les plus courants aussi.
De la gélatine à gogo
«Le collagène est extrait des peaux et des os de porcs et de bovins, ainsi que des peaux de poissons ou des os de volailles. La gélatine obtenue est utilisée pour la fabrication des gélules et des capsules ainsi que pour l’enrobage des comprimés», explique l’association des producteurs européens de gélatine. On en trouve également dans les suppositoires, les substituts de plasma sanguin, les implants chirurgicaux, etc.
Certes, ces «matières premières proviennent exclusivement d’animaux qui ont été abattus dans un abattoir agréé et qui ont été jugés propres à la consommation humaine», précisent les producteurs. Il n’empêche, avaler du porc est illicite en islam comme dans la religion juive. Les autres animaux utilisés ne sont a priori ni halal ni casher, et leur présence n’est pas mentionnée sur les notices, encore moins sur les boîtes.
L'ANSM se justifie:
«La réglementation européenne ne prévoit pas ce genre de message. Les informations à faire figurer sur de petits emballages ou notices, nécessaires en termes de sécurité, sont nombreuses et il ne reste souvent plus de place pour rajouter d'autres mentions. De tels messages pourraient par ailleurs être mal interprétés ou ambivalents et noyer l'information essentielle au patient.»
Mais pour ceux qui considèrent justement comme «essentielle» cette information, que faire face à une prescription?
Un principe cardinal: la vie avant tout
«Qu’on soit végétarien ou très pieux, lorsqu’un seul traitement peut vous sauver la vie, il faut transgresser l’interdit. Dans toutes les religions, la vie passe avant tout commandement», explique Isabelle Lévy, auteure de Menaces religieuses sur l’hôpital (Presses de la Renaissance).
«L’illicite dans l’islam n’est pas absolu mais relatif», renchérit Majouhb Abdeddaim, secrétaire général de l’Association médicale Avicenne de France, qui regroupe quelque 300 médecins musulmans. «Etre en bonne santé est nécessaire pour bien pratiquer sa religion. Il faut donc sauver la vie humaine par tous les moyens, quelle que soit l’origine du produit et même s’il contient du porc», explique le médecin, qui réfléchit sur le sujet depuis plusieurs années.
De conférences internationales en colloques, il indique que «à plus de 99%, les savants sont tombés d’accord»: en islam, «l’enveloppe corporelle du porc est tolérée», même si la viande ne l’est pas. Donc prendre un médicament contenant de la gélatine est «halal». Et ce d’autant plus que la gélatine, résultat d’une transformation de la protéine animale, n’a plus grand-chose à voir avec la couenne initiale. Le collagène est bouilli.
«L’impur a été transformé en pur. C’est comme le vinaigre, dérivé du vin et toléré malgré ses 6° d’alcool, car transformé.»
Concernant les autres substances animales, il est du devoir du médecin de «prendre en compte les croyances et exigences de son patient soit en lui trouvant un traitement de substitution sans substances animales soit, en l’absence d’alternative, en le convainquant de se soigner quand même».
Pour les juifs, se soigner est un casse-tête
Se soigner tout en respectant les règles alimentaires du judaïsme est moins aisé. A l’interdit formel de consommer du porc vient s’ajouter celui d’ingérer toute substance animale qui ne respecte pas les règles de la cacherout. Les injections sont en revanche autorisées. «Un interdit doit être pondéré par l’obligation de se soigner», rappelle toutefois le rabbin Israël Abib, secrétaire général du Conseil des rabbins orthodoxes de Paris.
Il précise que, dans le cas de médicaments dits de confort, «l’interdit de viande, qui comprend aussi la peau et les os (et donc la gélatine, NDLR), est très fort». On prend donc son mal en patience en attendant que le rhume ou les douleurs passent. Si l’on est trop douillet et qu’on avale la gélule interdite, on peut s’exposer à une «réprimande légère» si le rabbin l’apprend.
La situation est différente pour les soins vitaux pour lesquels il n’existerait pas de produit exempt de substances interdites. Dans ce cas, c’est clair, l’interdiction est levée.
Mais pour les soins dits intermédiaires, «tout est dans la nuance»... Une nuance qui confine au casse-tête. Le rabbin Abib s'interroge:
«La capsule à base de gélatine est-elle là simplement pour accompagner le médicament –auquel cas son absence de nécessité médicale poussera à chercher des alternatives– ou a-t-elle été programmée pour faire arriver le médicament au bon endroit dans le corps, auquel cas elle rentre dans le cadre de la médication?»
Aux professionnels de santé de trancher.
Un guide et un logo pour y voir plus clair
Pour les y aider, des médecins juifs et des rabbins (dont le rabbin Abib) éditent chaque année depuis 1997 un guide des médicaments et des produits de santé certifiés casher, le Médiel («Médi» pour médicament et «El», l’un des nombreux noms de Dieu en hébreux). Réservé aux professionnels de santé, il est financé, comme le Vidal, par l’industrie pharmaceutique.
«Il dresse la liste des médicaments que les juifs, mais aussi par extension les musulmans et les végétariens, peuvent consommer sans se poser de question», explique le Dr Gilbert Assuied, responsable du contenu médical du guide.
Il y a quelques années, l’équipe médicale et rabbinique du Médiel avait obtenu des laboratoires pharmaceutiques qu’ils apposent un label «cacherout» sur les boîtes de médicaments listés dans le guide. Mais l’expérience a été de courte durée. «On pouvait garantir une série donnée mais pas toute la production. Car les laboratoires ont le droit de varier beaucoup d’ingrédients du médicament tant que son principe actif est maintenu», explique le rabbin.
Une certification halal des médicaments vient de voir le jour en Belgique et en Australie. Mais le docteur Abdeddaim ne voit pas l’intérêt de mettre en place un tel dispositif ni même de créer le Médiel musulman pour les patients de l’Hexagone.
«Je préfère inclure le patient dans le choix thérapeutique et l’informer de vive voix.»
Pourtant, selon Alain Grimfeld, président de Conseil consultatif national d’éthique et médecin, «inscrire la présence de substances animales sur la boîte de médicament ou au moins sur la notice, permettrait la traçabilité et la transparence. Et cela éviterait à certains de penser que les laboratoires agissent en catimini, aux dépens de comportements éthiques».
L’association végétarienne de France est du même avis. SA porte-parole, Aurélia Greff, explique:
«On aimerait plus de transparence de la part des labos via un logo sur les boîtes. En attendant, chacun se débrouille comme il peut et se renseigne pour ne pas consommer de gélatine de porc.»
Les végan, l’exemple extrême
Parmi les malades les plus avertis figurent les vegan. Ils refusent d’avaler la moindre protéine animale, quelle que soit sa forme. En plus du cuir, de la fourrure et de la soie, ils boycottent bien évidemment les médicaments comprenant les substances animales comme ceux testés sur les animaux.
Mais «il ne s'agit pas de ne pas se soigner du tout», précise Méryl Pinque, écrivain et porte-parole de l’association Vegan France.
«On s'oriente simplement, et autant que faire se peut, vers des médicaments dépourvus de substances animales. Il est en outre possible de guérir la plupart des maux sans gravité avec des plantes.»
Mais si aucun traitement alternatif n'existe (exemple extrême: on doit vous greffer des valves cardiaques de porc car, imaginons, celles de synthèse ne sont pas supportées...), que faites-vous?, lui avons-nous demandé. Voici sa réponse, formulée à titre individuel:
«Considérant les autres animaux comme mes égaux sur le plan moral en ce sens qu'ils sont comme moi possesseurs d'intérêts, à commencer par celui de poursuivre leur existence, je pense que je refuserais qu'on assassine l'un d'eux pour me permettre, à moi, de rester en vie, exactement de la même façon que je refuserais que l'on sacrifie un autre humain pour me sauver.»
Un cochon pourrait s’en dédire. Pas un vegan.
Alexandra Bogaert
Du cochon dans les médocs, c’est courant. Le saviez-vous? Les substances animales entrent dans la composition de très nombreux médicaments. Une étude publiée en début d’année dans le Postgraduate Medical Journal montre qu’un quart des patients interrogés en Grande-Bretagne se voient prescrire sans le savoir des médicaments contenant de la gélatine, alors que l’absorption de matière animale est contraire à leur éthique (ils sont végétariens) ou à leur religion.
Alors comment se soigne-t-on quand on est juif ou musulman? Ou quand, par souci de bien-être animal, on s’est fait le serment de ne plus jamais avaler la moindre protéine issue de nos amies les bêtes?
Dans la fabrication de médicaments, «toutes les substances d'origine animale peuvent être utilisées (à l'exclusion de quelques parties animales —les matériels à risques spécifiés comme la tête, la rate et la moelle épinière, NDLR) si elles répondent aux critères européens de sécurité virale», nous précise l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). La plupart des médicaments dits d’urgence vitale utilisent des produits à base d’animaux. Mais des remèdes anti-bobos parmi les plus courants aussi.
De la gélatine à gogo
«Le collagène est extrait des peaux et des os de porcs et de bovins, ainsi que des peaux de poissons ou des os de volailles. La gélatine obtenue est utilisée pour la fabrication des gélules et des capsules ainsi que pour l’enrobage des comprimés», explique l’association des producteurs européens de gélatine. On en trouve également dans les suppositoires, les substituts de plasma sanguin, les implants chirurgicaux, etc.
Certes, ces «matières premières proviennent exclusivement d’animaux qui ont été abattus dans un abattoir agréé et qui ont été jugés propres à la consommation humaine», précisent les producteurs. Il n’empêche, avaler du porc est illicite en islam comme dans la religion juive. Les autres animaux utilisés ne sont a priori ni halal ni casher, et leur présence n’est pas mentionnée sur les notices, encore moins sur les boîtes.
L'ANSM se justifie:
«La réglementation européenne ne prévoit pas ce genre de message. Les informations à faire figurer sur de petits emballages ou notices, nécessaires en termes de sécurité, sont nombreuses et il ne reste souvent plus de place pour rajouter d'autres mentions. De tels messages pourraient par ailleurs être mal interprétés ou ambivalents et noyer l'information essentielle au patient.»
Mais pour ceux qui considèrent justement comme «essentielle» cette information, que faire face à une prescription?
Un principe cardinal: la vie avant tout
«Qu’on soit végétarien ou très pieux, lorsqu’un seul traitement peut vous sauver la vie, il faut transgresser l’interdit. Dans toutes les religions, la vie passe avant tout commandement», explique Isabelle Lévy, auteure de Menaces religieuses sur l’hôpital (Presses de la Renaissance).
«L’illicite dans l’islam n’est pas absolu mais relatif», renchérit Majouhb Abdeddaim, secrétaire général de l’Association médicale Avicenne de France, qui regroupe quelque 300 médecins musulmans. «Etre en bonne santé est nécessaire pour bien pratiquer sa religion. Il faut donc sauver la vie humaine par tous les moyens, quelle que soit l’origine du produit et même s’il contient du porc», explique le médecin, qui réfléchit sur le sujet depuis plusieurs années.
De conférences internationales en colloques, il indique que «à plus de 99%, les savants sont tombés d’accord»: en islam, «l’enveloppe corporelle du porc est tolérée», même si la viande ne l’est pas. Donc prendre un médicament contenant de la gélatine est «halal». Et ce d’autant plus que la gélatine, résultat d’une transformation de la protéine animale, n’a plus grand-chose à voir avec la couenne initiale. Le collagène est bouilli.
«L’impur a été transformé en pur. C’est comme le vinaigre, dérivé du vin et toléré malgré ses 6° d’alcool, car transformé.»
Concernant les autres substances animales, il est du devoir du médecin de «prendre en compte les croyances et exigences de son patient soit en lui trouvant un traitement de substitution sans substances animales soit, en l’absence d’alternative, en le convainquant de se soigner quand même».
Pour les juifs, se soigner est un casse-tête
Se soigner tout en respectant les règles alimentaires du judaïsme est moins aisé. A l’interdit formel de consommer du porc vient s’ajouter celui d’ingérer toute substance animale qui ne respecte pas les règles de la cacherout. Les injections sont en revanche autorisées. «Un interdit doit être pondéré par l’obligation de se soigner», rappelle toutefois le rabbin Israël Abib, secrétaire général du Conseil des rabbins orthodoxes de Paris.
Il précise que, dans le cas de médicaments dits de confort, «l’interdit de viande, qui comprend aussi la peau et les os (et donc la gélatine, NDLR), est très fort». On prend donc son mal en patience en attendant que le rhume ou les douleurs passent. Si l’on est trop douillet et qu’on avale la gélule interdite, on peut s’exposer à une «réprimande légère» si le rabbin l’apprend.
La situation est différente pour les soins vitaux pour lesquels il n’existerait pas de produit exempt de substances interdites. Dans ce cas, c’est clair, l’interdiction est levée.
Mais pour les soins dits intermédiaires, «tout est dans la nuance»... Une nuance qui confine au casse-tête. Le rabbin Abib s'interroge:
«La capsule à base de gélatine est-elle là simplement pour accompagner le médicament –auquel cas son absence de nécessité médicale poussera à chercher des alternatives– ou a-t-elle été programmée pour faire arriver le médicament au bon endroit dans le corps, auquel cas elle rentre dans le cadre de la médication?»
Aux professionnels de santé de trancher.
Un guide et un logo pour y voir plus clair
Pour les y aider, des médecins juifs et des rabbins (dont le rabbin Abib) éditent chaque année depuis 1997 un guide des médicaments et des produits de santé certifiés casher, le Médiel («Médi» pour médicament et «El», l’un des nombreux noms de Dieu en hébreux). Réservé aux professionnels de santé, il est financé, comme le Vidal, par l’industrie pharmaceutique.
«Il dresse la liste des médicaments que les juifs, mais aussi par extension les musulmans et les végétariens, peuvent consommer sans se poser de question», explique le Dr Gilbert Assuied, responsable du contenu médical du guide.
Il y a quelques années, l’équipe médicale et rabbinique du Médiel avait obtenu des laboratoires pharmaceutiques qu’ils apposent un label «cacherout» sur les boîtes de médicaments listés dans le guide. Mais l’expérience a été de courte durée. «On pouvait garantir une série donnée mais pas toute la production. Car les laboratoires ont le droit de varier beaucoup d’ingrédients du médicament tant que son principe actif est maintenu», explique le rabbin.
Une certification halal des médicaments vient de voir le jour en Belgique et en Australie. Mais le docteur Abdeddaim ne voit pas l’intérêt de mettre en place un tel dispositif ni même de créer le Médiel musulman pour les patients de l’Hexagone.
«Je préfère inclure le patient dans le choix thérapeutique et l’informer de vive voix.»
Pourtant, selon Alain Grimfeld, président de Conseil consultatif national d’éthique et médecin, «inscrire la présence de substances animales sur la boîte de médicament ou au moins sur la notice, permettrait la traçabilité et la transparence. Et cela éviterait à certains de penser que les laboratoires agissent en catimini, aux dépens de comportements éthiques».
L’association végétarienne de France est du même avis. SA porte-parole, Aurélia Greff, explique:
«On aimerait plus de transparence de la part des labos via un logo sur les boîtes. En attendant, chacun se débrouille comme il peut et se renseigne pour ne pas consommer de gélatine de porc.»
Les végan, l’exemple extrême
Parmi les malades les plus avertis figurent les vegan. Ils refusent d’avaler la moindre protéine animale, quelle que soit sa forme. En plus du cuir, de la fourrure et de la soie, ils boycottent bien évidemment les médicaments comprenant les substances animales comme ceux testés sur les animaux.
Mais «il ne s'agit pas de ne pas se soigner du tout», précise Méryl Pinque, écrivain et porte-parole de l’association Vegan France.
«On s'oriente simplement, et autant que faire se peut, vers des médicaments dépourvus de substances animales. Il est en outre possible de guérir la plupart des maux sans gravité avec des plantes.»
Mais si aucun traitement alternatif n'existe (exemple extrême: on doit vous greffer des valves cardiaques de porc car, imaginons, celles de synthèse ne sont pas supportées...), que faites-vous?, lui avons-nous demandé. Voici sa réponse, formulée à titre individuel:
«Considérant les autres animaux comme mes égaux sur le plan moral en ce sens qu'ils sont comme moi possesseurs d'intérêts, à commencer par celui de poursuivre leur existence, je pense que je refuserais qu'on assassine l'un d'eux pour me permettre, à moi, de rester en vie, exactement de la même façon que je refuserais que l'on sacrifie un autre humain pour me sauver.»
Un cochon pourrait s’en dédire. Pas un vegan.
Alexandra Bogaert