Connaissance de la réalité et médiations

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Ebion

Ça a l'air que je suis l'esclave da quebrada
VIB
Bonjour :timide:

Voilà, pour connaître la réalité objective, l'expérience directe suffit pas.

Je peux, en regardant par la fenêtre ici, constater qu'il fait soleil, mais comment savoir quel temps il fait à Rome ou à Mexico?

Donc la plupart des choses qu'on connaît ou qu'on croit connaître dépendent du témoignages d'autres personnes, nos sources d'information. Par exemple les enseignants, les scientifiques, les journalistes, les youtubeurs, mais aussi nos amis et notre famille, qui ont eu d'autres expériences que nous (du genre @Trackergirl qui est marocologue).

Ce que je dis est d'une grande banalité, mais cela soulève évidemment une question philosophique qui remonte à l'époque de Platon : comment savoir si ce qu'on me dit est vrai? Les gens peuvent nous mentir, exagérer, délirer ou errer.

Un des « tests » consiste à savoir si ce qu'on nous dit est cohérent avec notre expérience directe du monde, actuelle ou passée. Si la météo disait qu'il pleut aujourd'hui dans mon secteur, je verrais bien qu'elle se trompe.

Mais ce test est pas infaillible ni toujours possible. Il peut même nous induire en erreur si on exerce pas notre pensée critique. Par exemple j'ai eu la COVID dernièrement. J'ai pas été tellement atteint : c'était léger. Cependant, cela me donnerait pas le droit de généraliser et de dire que ce virus n'est pas plus grave que cela et qu'on s'est inquiétés pour rien! De même, je peux pas vérifier par moi-même ce qui se passe dans un pays lointain. Que les gens m'en disent une chose ou son contraire, cela sera toujours cohérent avec mon expérience personnelle.

Et c'est là justement qu'il y a eu un « changement de paradigme » dans les dernières années.

Les gens n'acceptent plus beaucoup que leurs idéologies et leur vision du monde soient contredites par des scientifiques, des profs, des journalistes... Il y a maintenant une philosophie du soupçon envers les sources d'information traditionnelle.

Les gens ne font plus confiance à des sources qui contredisent leurs idéologies, même quand elles sont majoritaires. Ils vont accorder une confiance démesurée en leur propre jugement et en des sources « d'information » qui flattent leurs idéologie.

Alors même qu'ils ont pas étudié l'épistémologie, la méthode scientifique, les statistiques, les sophismes. Ces gens-là en sentent pas le besoin, parce qu'ils se fient à leurs « intuitions », à leur « bon sens » et à la parole de leurs gourous. Ce qui bloque toute possibilité de remise en question.

Derrière tout cela il y a une attitude morale, un orgueil radical, opposé à l'humilité qu'exige la recherche scientifique et journalistique de bonne qualité. On retrouve ce même orgueil, pathologiquement exprime, dans la schizophrénie paranoïde.

Voilà ce que je situe à la racine de ce changement : le triomphe de l'orgueil dans les valeurs actuelles.
 
Voilà ce que je situe à la racine de ce changement : le triomphe de l'orgueil dans les valeurs actuelles.
A la notion d'orgueil, j'ajouterais l'hyperindividualisme des sociétés occidentales en particulier, lui-même fruit d'une lente et inexorable disparition de toute idée de vérité objective, par opposition aux vérités subjectives, et elle-même produit d'un effacement tout aussi inexorable du religieux et du sacré.
Un exemple presque caricatural de ce glissement vers un relativisme général, où la vérité n'est plus que subjective, est l'idée qu'un homme n'est un homme que lorsqu'il se sent homme, et qu'une femme n'est une femme que lorsqu'elle se sent femme. Dans cet univers mental, nous ne sommes plus définis que par notre ressenti, y compris dans nos identités les plus fondamentales, et non par une réalité objective.
 
A la notion d'orgueil, j'ajouterais l'hyperindividualisme des sociétés occidentales en particulier, lui-même fruit d'une lente et inexorable disparition de toute idée de vérité objective, par opposition aux vérités subjectives, et elle-même produit d'un effacement tout aussi inexorable du religieux et du sacré.
Un exemple presque caricatural de ce glissement vers un relativisme général, où la vérité n'est plus que subjective, est l'idée qu'un homme n'est un homme que lorsqu'il se sent homme, et qu'une femme n'est une femme que lorsqu'elle se sent femme. Dans cet univers mental, nous ne sommes plus définis que par notre ressenti, y compris dans nos identités les plus fondamentales, et non par une réalité objective.

Il y a cet aspect-là aussi, c'est vrai. L'individualisme a d'ailleurs un lien évident avec l'orgueil. Et ce que tu dis des identités qu'on « choisit » (prétendument) par rapport aux identités qu'on « subit », ces dernières étant de plus en plus contestées.

L'avènement d'Internet a pu donner à beaucoup de gens l'impression d'avoir le pouvoir exorbitant de se reconstruire, de se créer un personnage, un « avatar », avec son propre pseudo, et avec des réglages et des filtres et du montage et des boutons « ignorer » pour maîtriser soigneusement ce qu'on donne à voir aux autres...

Dans les siècles passés, c'était pas concevable. Les gens étaient souvent liés à un certain village, une paroisse, où tout le monde se connaissait très bien, un lieu que les gens ne quittaient qu'exceptionnellement. Dans ce contexte-là, il est évident qu'on pouvait pas trop simuler ou se créer des identités selon notre fantaisie!! Et si quelqu'un l'avait fait, les autres l'auraient remis à sa place sur-le-champ! Et c'est sans doute ce qui est arrivé à Jésus lui-même quand on nous raconte son passage à Nazareth dans les évangiles. Ses concitoyens n'ont pas reconnu sa nouvelle identité de « prophète » ou « Messie » de Dieu et la prédication de Jésus a échoué.

Pour ce qui est des trans, il y a quand même un paradoxe. Beaucoup de gens diraient qu'il y a beaucoup plus de distance « biologique » entre un homme et une femme qu'entre différentes « races » humaines (le concept même de race humaine étant d'une validité plus que douteuse). Et pourtant les bien-pensants valident sans problème les « changements de sexe », mais seraient peu à l'aise si des Blancs disaient qu'ils se sentaient maintenant « Noirs » ou « autochtones ». Cela serait même perçu comme une nouvelle forme d'impérialisme, de colonisation, d'appropriation culturelle, ce genre de choses.

Pour faire suite à ton idée, je dirais que l'identité « raciale » est encore largement perçue comme « subie » et « immuable », ce qui n'est plus le cas de « l'identité de genre ». Avec tous les débordements qu'on constate actuellement!

Tu parles d'individualisme, mais il y a aussi un autre aspect, également accentué par Internet : le tribalisme. Les gens forment des « clans » ou des « tribus morales » avec un engagement quasiment sectaire, un peu comme des partis politiques ou des religions. Sauf que maintenant les gens se reconnaissent beaucoup plus par leurs valeurs ou leurs positions par rapport à certains enjeux controversés, et deviennent très intolérants, méprisants ou pire envers ceux qui pensent autrement.

Même sur bladi, on distingue nettement un tel « clanisme », des petits noyaux de membres qui se soutiennent mutuellement, pensent de façon très similaire et s'échangent généreusement des « likes » et parfois tolèrent mal les membres qui pensent autrement ou qui ont d'autres valeurs ou une autre interprétation de la réalité!! Mais on pourrait voir la même chose sur d'autres forums ou RS.
 
A la notion d'orgueil, j'ajouterais l'hyperindividualisme des sociétés occidentales en particulier, lui-même fruit d'une lente et inexorable disparition de toute idée de vérité objective, par opposition aux vérités subjectives, et elle-même produit d'un effacement tout aussi inexorable du religieux et du sacré.
Un exemple presque caricatural de ce glissement vers un relativisme général, où la vérité n'est plus que subjective, est l'idée qu'un homme n'est un homme que lorsqu'il se sent homme, et qu'une femme n'est une femme que lorsqu'elle se sent femme. Dans cet univers mental, nous ne sommes plus définis que par notre ressenti, y compris dans nos identités les plus fondamentales, et non par une réalité objective.

Ce que tu dis du relativisme à notre époque est vrai en partie, mais demande à être nuancé.

2023, ce n'est déjà plus 1973...

Il y a un relativisme dans certains choix de vie, c'est-à-dire un éventail (assez large, mais pas trop) de modes de vie jugés légitimes et acceptables. Sans doute davantage qu'autrefois.

Il n'empêche qu'à notre époque de polarisation, de tribalisme moral et d'extrémisme, les gens font pas beaucoup dans la nuance pour ce qui est de leurs jugements moraux et leurs condamnations. Qu'on soit de droite ou de gauche, surtout extrême, l'autre « camp » va sans doute nous sembler moralement répugnant et on aura la conviction que notre camp détient la Vérité morale absolue, intangible et incontestable, posture peu compatible avec le relativisme que croyaient voir JPII et Ratzinger.

Les certitudes morales absolues de notre époque coïncident certes pas toujours avec celles de l'Église, mais si on interrogeait les idéologues, ils douteraient sans doute pas du caractère « objectif » ou « réel » de ce qu'ils soutiennent. C'est pas seulement des opinions personnelles qu'ils soutiennent, sur le mode de préférences esthétiques ou alimentaires, mais des Vérités vraies et importantes que, dit-on, tout le monde « devrait » admettre.

Et comme tout le monde ne les admet pas de facto, on a recours, rarement à des arguments abstraits, mais souvent à des tactiques de violence et d'intimidation (à la fois la droite et la gauche). Encore là, posture peu compatible avec le « relativisme », dont on disait que sa grande vertu était la « tolérance ». On vit pas précisément à une époque « tolérante ». Il y a aussi une pseudo-tolérance à sens unique qui ne veut pas dire grand-chose. On tolère ceux qui sont comme nous ou qui nous semblent meilleurs que nous, mais quel mérite y a-t-il à cela?
 
Ce que tu dis du relativisme à notre époque est vrai en partie, mais demande à être nuancé.

2023, ce n'est déjà plus 1973...

Il y a un relativisme dans certains choix de vie, c'est-à-dire un éventail (assez large, mais pas trop) de modes de vie jugés légitimes et acceptables. Sans doute davantage qu'autrefois.

Il n'empêche qu'à notre époque de polarisation, de tribalisme moral et d'extrémisme, les gens font pas beaucoup dans la nuance pour ce qui est de leurs jugements moraux et leurs condamnations. Qu'on soit de droite ou de gauche, surtout extrême, l'autre « camp » va sans doute nous sembler moralement répugnant et on aura la conviction que notre camp détient la Vérité morale absolue, intangible et incontestable, posture peu compatible avec le relativisme que croyaient voir JPII et Ratzinger.

Les certitudes morales absolues de notre époque coïncident certes pas toujours avec celles de l'Église, mais si on interrogeait les idéologues, ils douteraient sans doute pas du caractère « objectif » ou « réel » de ce qu'ils soutiennent. C'est pas seulement des opinions personnelles qu'ils soutiennent, sur le mode de préférences esthétiques ou alimentaires, mais des Vérités vraies et importantes que, dit-on, tout le monde « devrait » admettre.
Je pense que le relativisme et l'extrémisme ne sont pas vraiment à opposer. Au contraire, il me semble que le premier renforce le second. L'effondrement de la religion (donc de toute idée de vérité absolue) génère du relativisme, qui génère un malaise profond dans les sociétés ; ce malaise alimente le réflexe tribal des individus, qui se réfugient dans des idéologies sectaires afin de retrouver un sens à leur existence. Ils se fabriquent ce qu'on peut appeler des "religions de substitution", pour retrouver du sacré, de la transcendance, du dépassement de soi au profit du collectif, du groupe. L'occident créée des religions de substitutions depuis le 18ème siècle, d'abord avec la révolution française qui tente d'injecter du sacré dans les droits de l'homme universels et la république ; ça continue avec le marxisme et ses dérivés communistes, mais aussi avec le fascisme, le nazisme, et maintenant le wokisme. Ils ont tous en commun de recommencer l'Histoire à zéro, avec leurs dogmes sacrés et intouchables ; tous inventent leur récit du monde, leur vision du bien et du mal. Ils sacralisent la nation, l'Etat, l'ouvrier, l'homme blanc, l'aryen, le dominé racisé, ils font de la propagande et cherchent à se propager. Ils agissent comme toute religion. Tout se passe finalement comme si, en chassant le sacré et la religion par la grande porte, il revenait par la fenêtre. Parce que, et j'en suis persuadé, les êtres humains ne peuvent pas vivre dans un état perpétuel de relativisme général. Et plus le relativisme est puissant, plus le retour du religieux et du sacré se fait de manière violente et sectaire.
 
Pour ce qui est des trans, il y a quand même un paradoxe. Beaucoup de gens diraient qu'il y a beaucoup plus de distance « biologique » entre un homme et une femme qu'entre différentes « races » humaines (le concept même de race humaine étant d'une validité plus que douteuse). Et pourtant les bien-pensants valident sans problème les « changements de sexe », mais seraient peu à l'aise si des Blancs disaient qu'ils se sentaient maintenant « Noirs » ou « autochtones ». Cela serait même perçu comme une nouvelle forme d'impérialisme, de colonisation, d'appropriation culturelle, ce genre de choses.

Pour faire suite à ton idée, je dirais que l'identité « raciale » est encore largement perçue comme « subie » et « immuable », ce qui n'est plus le cas de « l'identité de genre ». Avec tous les débordements qu'on constate actuellement!
C'est une intéressante observation, très vraie. Cela montre les contradictions insurmontables de ce progressisme très radical en vogue dans le monde occidental actuellement, qui nie avec vigueur les déterminismes biologiques pour mieux les affirmer quand il s'agit de la "race" (moi non plus je n'aime pas beaucoup ce terme). On peut aussi faire la même observation concernant l'écologie : ils affirment vouloir préserver la nature telle qu'elle est (c'est une philosophie finalement très conservatrice), mais dès qu'il s'agit du corps humain, qui est pourtant partie intégrante de la nature, ils revendiquent le droit d'en faire ce qu'ils veulent, y compris de le dénaturer.
 
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