Consommation. La vie à crédit: le cas Marocain

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Par Aïcha Akalay
Consommation. La vie à crédit

Plus d’un million de Marocains ont cédé à la tentation du crédit conso. (AFP)


Etre propriétaire de son logement, posséder sa voiture ou encore payer les études de ses enfants : les raisons ne manquent pas pour s’endetter. L’argent, lui, manque souvent pour rembourser.


“Besoin d’argent en un temps record ?”. A cette accroche publicitaire d’une société de financement, Mohamed n’a pas pu résister. Chauffeur de son état, quadragénaire, il s’est rué sur cette offre de crédit à la consommation. Aujourd’hui, il le regrette amèrement : “Je me retrouve avec plusieurs dettes que je ne peux plus honorer, dont un crédit
logement”, explique-t-il déconfit. Avec un salaire de 3000 dirhams, il ne s’en sort plus. Sa femme lui reproche son imprudence, et lui maudit le salon dont sa douce moitié rêvait tant. Salon qu’il a fini par lui offrir, grâce au crédit contracté “en un temps record”. Le cas de Mohamed n’est pas isolé. Nombreux sont les ménages qui se retrouvent criblés de dettes après avoir souscrit plusieurs crédits.

La conso d’abord
A l’heure actuelle, près d’un Marocain sur trois est endetté. “Le recours à l’emprunt n’est plus une pratique exceptionnelle. En contractant des crédits, le Marocain se modernise dans son comportement économique”, affirme Driss Benali, économiste. Ainsi, souscrire à un crédit permet d’accéder à la société de consommation. Equipement, voiture, scolarité des enfants, aïd, ou encore mariage... autant de raisons qui poussent les Marocains à recourir au crédit, la principale restant l’acquisition d’un logement. Selon les derniers chiffres de Bank Al-Maghrib, 56% de la dette bancaire des ménages est constitué d’un prêt à l’habitat. Quant au crédit conso, il représente près de 40% de cette dette. En moyenne, les ménages empruntent 350 000 dirhams pour acquérir un logement, 75 000 pour l’achat d’une voiture et un peu moins de 30 000 pour un crédit personnel. Mais le crédit à la consommation augmente à un rythme plus élevé que celui du crédit à l’habitat, et “représente la principale cause de surendettement”, explique l’économiste Mehdi Lahlou. En effet, contrairement au prêt logement, les conditions d’octroi des crédits conso sont plus souples, et donc plus accessibles à une large proportion de la population. S’il existe une vingtaine de sociétés de financement tout au plus, leurs offres, elles, sont multiples, et leurs publicités marquent les esprits. “Dima maak” (toujours avec toi), promettent certaines. D’autres assurent délivrer un crédit en moins de 24 heures, même à un smigard.

L’engrenage
A ce jour, plus d’un million de Marocains possèdent au moins un crédit à la consommation. D’après une étude menée par l’Association professionnelle des sociétés de financement (APSF), 22% des “endettés” ont plus de deux crédits. Et 41% de ceux qui contractent un troisième, voire un quatrième crédit, le font pour rembourser un autre emprunt. “Une fois que l’engrenage s’enclenche, il est difficile de faire marche arrière. Un ménage qui a recours à plusieurs crédits tombe facilement dans le surendettement”, explique Mehdi Lahlou. La solution ? “Imposer plus de contraintes aux sociétés de financement et mettre en place une loi qui fixe clairement un seuil de surendettement”.
C’est d’autant plus nécessaire que les personnes aux revenus les plus faibles sont les plus endettées. La preuve : 60% des crédits bénéficient à des personnes dont le salaire mensuel est inférieur à 4000 dirhams. Cette tranche de
la population concentre d’ailleurs 40% de l’encours. Quant au taux d’endettement des ménages (rapport entre les crédits contractés par un client et ses revenus déclarés, il s’établit en moyenne à 50% pour la catégorie de revenus inférieurs à 3000 dirhams, contre 11% pour les revenus supérieurs à 20 000 dirhams.
 
Des risques calculés
Quand on aborde la question du surendettement des ménages, les banques et les sociétés de financement montrent patte blanche. “On ne peut plus parler de surendettement depuis que nous avons mis fin au papillonnage (ndlr : le recours à plusieurs organismes de crédits sans limite)“, déclare Mustapha Melsa, directeur délégué de l’APSF. Selon lui, le système d’octroi de crédits est doté aujourd’hui d’outils suffisants pour éviter les cas de surendettement. Depuis le 1er janvier 2009, une centrale des risques a été lancée par Bank Al-Maghrib. Cette nouvelle base de données, mise à la disposition des institutions financières, dresse l’historique de tout emprunteur : nombre de crédits dont il a bénéficié, leurs montants et les habitudes de paiement. Mais aucun chiffre officiel ne permet aujourd’hui d’en évaluer l’efficacité ni de dégager une tendance de comportement des Marocains face au crédit.
“Lorsque les banques et les sociétés de financement octroient des crédits, elles laissent théoriquement au client une réserve de 60 à 70 % de son revenu”, prétend Melsa. Dans les faits, les dépassements restent possibles puisqu’il n’existe aucune loi contraignante. En témoigne l’exemple de Adil : ce salarié confie qu’avec son crédit logement et ses deux crédits conso, il lui reste un peu moins de 30% de son salaire pour vivre. “Ce genre de cas est assez rare, car notre système financier est très frileux et n’a pas la culture du risque pour étendre ce type de pratique”, argue Driss Benali. La preuve : le rapport entre l’encours global des crédits et le PIB s’élève à 7%, “ce qui reste assez faible, comparé à d’autres pays, notamment européens”, analyse Mustapha Melsa. Conclusion : les ménages peuvent encore espérer s’endetter plus.


Informel. Le circuit du pauvre
Malgré l’augmentation, ces dernières années, des crédits contractés auprès des banques et des sociétés de financement, les emprunts dans le circuit informel restent assez conséquents. Les règles prudentielles des établissements de crédits marginalisent une bonne partie de la population. Avec des revenus non réguliers et inférieurs à 2 000 dirhams, certains ménages se jettent dans les bras d’usuriers, de prêteurs sur gage ou bien encore accumulent les dettes auprès de leurs familles ou de leurs épiciers. “Le circuit informel pullule d’offres d’emprunts. Les ménages qui s’endettent via ce circuit sont condamnés à la précarité et à des risques de surendettement très élevés”, estime l’économiste Mehdi Lahlou. Selon lui, le taux d’endettement actuel des ménages ne reflète pas le niveau réel : “Ce taux est beaucoup plus élevé en réalité. Une étude sur l’emprunt informel est nécessaire pour connaître réellement la situation des ménages. Et d’autres paramètres doivent être pris en compte, comme le recours au découvert par exemple”, préconise-t-il. En attendant, la “débrouille” reste la seule solution pour les petites bourses.
 
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