tinky
Moche ou Bekheir hamdullah
salam
LE MONDE | 09.04.09 |
PHOENIX (ARIZONA) ENVOYÉ SPÉCIAL
Il n'y a pas de règles pour une rencontre avec Dieu. La foi, le soldat Terry Holdbrooks l'a trouvée à Guantanamo. L'événement qui a changé sa vie a eu lieu une nuit d'hiver, devant la cellule du prisonnier numéro 590. "Il était 0 h 49 lorsque j'ai dit la chahada (profession de foi), j'ai regardé ma montre, se souvient-il. Par contre je n'ai pas fait attention à la date exacte, c'était en décembre 2003." Cette nuit-là, après une énième discussion sur la religion islamique avec Ahmed Rashidi, un prisonnier marocain, Terry Holdbrooks a prononcé les mots : "Il n'y a de dieu que Dieu et Mahomet est son prophète."
Depuis que le 11-Septembre a plongé l'Amérique dans la guerre contre les djihadistes, il est le premier soldat à avoir été converti à l'islam par les prisonniers qu'il avait pour mission de garder. Les détenus de Guantanamo qui ont assisté à cette étonnante conversion à l'islam ont baptisé leur nouvel ami "Mustafa". Lui y a ajouté "Abdullah". Terry "TJ" Holdbrooks, de Phoenix, Arizona, soldat des Etats-Unis, est devenu "Mustafa Abdullah".
Envoyé avec la 463e compagnie de police militaire à Guantanamo en juin 2003, Holdbrooks y est allé avec "l'esprit ouvert", "excité par une nouvelle aventure". Avant de connaître son affectation, il n'avait jamais entendu parler de la prison. A son arrivée, c'est le choc. L'environnement d'abord, "un endroit épouvantable, une terre pour les cactus et les iguanes". Puis le camp, "une prison dans laquelle l'Amérique engloutit tellement d'argent que je me suis demandé : ces gens sont-ils si dangereux que ça ?"
Cette question, cette suspicion, ne surgissent pas de nulle part. Terry Holdbrooks, bien que "très patriote", a toujours eu ancrée en lui une conviction contestataire. Méfiant envers le gouvernement fédéral, il a grandi à Phoenix, au coeur du désert de Sonora, entre alcool et heavy metal, en rupture avec "cette Amérique chrétienne où les seuls repères sont la Budweiser et la musique country, et où il est admis de brûler des Noirs". Le 11 septembre 2001, il a quitté ses amis rivés à leur téléviseur pour aller "jouer au billard et mettre quelques pièces dans un juke-box".
Devenu garde à Guantanamo, le soldat Holdbrooks devient sensible aux idées de certains prisonniers. Non pas les djihadistes les plus radicaux, comme Khaled Cheikh Mohammed et les organisateurs du 11-Septembre, auxquels il n'a pas accès, mais des musulmans qui prétendent défendre un islam tolérant, trahi selon eux par Al-Qaida. Des détenus qui se disent innocents des crimes dont on les accuse.
Terry Holdbrooks se lie avec le détenu 590, Ahmed Rashidi. Marocain, chef cuisinier dans deux restaurants londoniens, Rashidi a toujours affirmé s'être rendu au Pakistan afin de lever des fonds pour que son fils puisse être opéré du coeur, et non pas pour suivre un entraînement avec Al-Qaida. Il dit avoir entendu ses geôliers pakistanais négocier avec des agents américains le montant de la récompense qu'ils recevraient pour le livrer. Holdbrooks parle aussi avec le détenu 239, Shaker Amer, avec Ruhel Ahmed, l'Anglo-Pakistanais des "Trois de Tipton", avec Omar Khadr, l'adolescent canadien.
Holdbrooks tisse des liens forts avec eux. Pour accomplir sa tâche de garde, il apprend des rudiments d'arabe. Il passe des nuits entières devant les grilles de leurs cellules à les écouter parler de l'histoire du Moyen-Orient, de l'Afghanistan, de la Palestine, de l'islam. "Nous avons développé un respect mutuel, dit-il, et le sentiment que nous étions condamnés à vivre ensemble là-bas." Le jeune homme se gratte le crâne et sourit. "Avais-je le choix ? Vous connaissez le niveau intellectuel dans l'armée américaine ?, fait-il mine d'interroger. Les seules activités des gardes de Guantanamo, la nuit, ce sont les films porno et le ping-pong. Impossible d'avoir une conversation intéressante. Avec les détenus, du moins ceux qui parlaient anglais, c'était différent."
Au fil des mois, deux convictions s'affirment : le gouvernement des Etats-Unis manipule la planète, et ces prisonniers-là sont innocents. Et Terry Holdbrooks, le non-croyant, a une révélation : l'islam. "J'ai vu ces gens, vivant dans les pires conditions dans le pire endroit du monde, continuer à avoir la foi, à espérer en l'avenir." Il est séduit. "Je ne croyais pas en Dieu avant Guantanamo, ou alors en un dieu sadique qui nous forçait à vivre dans ce monde corrompu. Avec l'islam, j'ai trouvé la foi. C'est une religion pure. Je suis dorénavant un serviteur de Dieu. L'islam est parfait."
LE MONDE | 09.04.09 |
PHOENIX (ARIZONA) ENVOYÉ SPÉCIAL
Il n'y a pas de règles pour une rencontre avec Dieu. La foi, le soldat Terry Holdbrooks l'a trouvée à Guantanamo. L'événement qui a changé sa vie a eu lieu une nuit d'hiver, devant la cellule du prisonnier numéro 590. "Il était 0 h 49 lorsque j'ai dit la chahada (profession de foi), j'ai regardé ma montre, se souvient-il. Par contre je n'ai pas fait attention à la date exacte, c'était en décembre 2003." Cette nuit-là, après une énième discussion sur la religion islamique avec Ahmed Rashidi, un prisonnier marocain, Terry Holdbrooks a prononcé les mots : "Il n'y a de dieu que Dieu et Mahomet est son prophète."
Depuis que le 11-Septembre a plongé l'Amérique dans la guerre contre les djihadistes, il est le premier soldat à avoir été converti à l'islam par les prisonniers qu'il avait pour mission de garder. Les détenus de Guantanamo qui ont assisté à cette étonnante conversion à l'islam ont baptisé leur nouvel ami "Mustafa". Lui y a ajouté "Abdullah". Terry "TJ" Holdbrooks, de Phoenix, Arizona, soldat des Etats-Unis, est devenu "Mustafa Abdullah".
Envoyé avec la 463e compagnie de police militaire à Guantanamo en juin 2003, Holdbrooks y est allé avec "l'esprit ouvert", "excité par une nouvelle aventure". Avant de connaître son affectation, il n'avait jamais entendu parler de la prison. A son arrivée, c'est le choc. L'environnement d'abord, "un endroit épouvantable, une terre pour les cactus et les iguanes". Puis le camp, "une prison dans laquelle l'Amérique engloutit tellement d'argent que je me suis demandé : ces gens sont-ils si dangereux que ça ?"
Cette question, cette suspicion, ne surgissent pas de nulle part. Terry Holdbrooks, bien que "très patriote", a toujours eu ancrée en lui une conviction contestataire. Méfiant envers le gouvernement fédéral, il a grandi à Phoenix, au coeur du désert de Sonora, entre alcool et heavy metal, en rupture avec "cette Amérique chrétienne où les seuls repères sont la Budweiser et la musique country, et où il est admis de brûler des Noirs". Le 11 septembre 2001, il a quitté ses amis rivés à leur téléviseur pour aller "jouer au billard et mettre quelques pièces dans un juke-box".
Devenu garde à Guantanamo, le soldat Holdbrooks devient sensible aux idées de certains prisonniers. Non pas les djihadistes les plus radicaux, comme Khaled Cheikh Mohammed et les organisateurs du 11-Septembre, auxquels il n'a pas accès, mais des musulmans qui prétendent défendre un islam tolérant, trahi selon eux par Al-Qaida. Des détenus qui se disent innocents des crimes dont on les accuse.
Terry Holdbrooks se lie avec le détenu 590, Ahmed Rashidi. Marocain, chef cuisinier dans deux restaurants londoniens, Rashidi a toujours affirmé s'être rendu au Pakistan afin de lever des fonds pour que son fils puisse être opéré du coeur, et non pas pour suivre un entraînement avec Al-Qaida. Il dit avoir entendu ses geôliers pakistanais négocier avec des agents américains le montant de la récompense qu'ils recevraient pour le livrer. Holdbrooks parle aussi avec le détenu 239, Shaker Amer, avec Ruhel Ahmed, l'Anglo-Pakistanais des "Trois de Tipton", avec Omar Khadr, l'adolescent canadien.
Holdbrooks tisse des liens forts avec eux. Pour accomplir sa tâche de garde, il apprend des rudiments d'arabe. Il passe des nuits entières devant les grilles de leurs cellules à les écouter parler de l'histoire du Moyen-Orient, de l'Afghanistan, de la Palestine, de l'islam. "Nous avons développé un respect mutuel, dit-il, et le sentiment que nous étions condamnés à vivre ensemble là-bas." Le jeune homme se gratte le crâne et sourit. "Avais-je le choix ? Vous connaissez le niveau intellectuel dans l'armée américaine ?, fait-il mine d'interroger. Les seules activités des gardes de Guantanamo, la nuit, ce sont les films porno et le ping-pong. Impossible d'avoir une conversation intéressante. Avec les détenus, du moins ceux qui parlaient anglais, c'était différent."
Au fil des mois, deux convictions s'affirment : le gouvernement des Etats-Unis manipule la planète, et ces prisonniers-là sont innocents. Et Terry Holdbrooks, le non-croyant, a une révélation : l'islam. "J'ai vu ces gens, vivant dans les pires conditions dans le pire endroit du monde, continuer à avoir la foi, à espérer en l'avenir." Il est séduit. "Je ne croyais pas en Dieu avant Guantanamo, ou alors en un dieu sadique qui nous forçait à vivre dans ce monde corrompu. Avec l'islam, j'ai trouvé la foi. C'est une religion pure. Je suis dorénavant un serviteur de Dieu. L'islam est parfait."