David et Goliath ou le mythe historique inversé
Article écrit par Shlomo Sand
Historien, professeur à luniversité de Tel-Aviv, auteur de Comment le peuple juif fut inventé, Fayard, Paris, 2008. Le Monde Diplomatique Février 2009.
Depuis lorigine de son entreprise de colonisation, il y a à peu près un siècle, le mouvement sioniste, et lEtat dIsraël par la suite, sest vu comme une minorité persécutée et faible, aspirant à se faire une place au soleil. Brandissant la Bible comme droit de propriété et portant en bandoulière le terrible capital de souffrance des pogroms et des massacres nazis, le projet sioniste a réussi au-delà de tout pronostic : il a fondé un « petit Etat juif » au cur et aux dépens dune population arabe infiniment supérieure en nombre.
De nos jours, les historiens savent que, dès la guerre de 1948, le rapport des forces militaires penchait déjà en faveur du jeune Etat, bien au-delà de la représentation que sen firent les premiers Israéliens. Lors des trois guerres suivantes : 1956, 1967 et 1973, la puissance des forces armées israéliennes sétait encore notablement accrue et, à laide darmements fournis par la France puis par les Etats-Unis, elle simposa face aux forces arabes qui lui étaient opposées.
Toutefois, depuis la guerre de Kippour, en 1973, larmée israélienne nest manifestement plus confrontée à une menace militaire sérieuse ; et de même, depuis lors, lexistence dIsraël ne sest plus trouvée en danger. Les pilotes de larmée israélienne ont cessé, depuis longtemps, daccomplir des missions de combat ; à linstar de la majorité des soldats, ils effectuent essentiellement des tâches de police. Force est de reconnaître que les principales missions dévolues à larmée dIsraël, dotée des armes américaines les plus sophistiquées (chasseurs-bombardiers, drones, fusées guidées, tanks, gilets pare balles ) consistent à réprimer la population des territoires occupés qui de temps à autre tente, de façon désespérée et violente, de se révolter contre son triste sort.
« Tout Etat normal a le droit de défendre ses frontières et de répliquer lorsquil subit des bombardements de roquettes », affirment les porte-parole dIsraël dans leurs vibrantes justifications de lagression brutale contre Gaza. « Certes », pourrait répondre le premier contradicteur venu, « mais tout Etat normal sait aussi où sont ses frontières ! ». Or, Israël ne satisfait pas à ce critère de logique politique de base. Depuis 1967, il na pas cessé dimplanter des colonies dans des territoires qui ne sont pas reconnus comme lui appartenant, tout en se gardant, par ailleurs, de les annexer juridiquement afin de ne pas devoir accorder légalité civique à leurs habitants.
Si, jusquen 2002, Israël a pu justifier loccupation de ces territoires au motif que le monde arabe nest pas disposé à reconnaître son existence, cette ligne de défense rhétorique est tombée lorsque la Ligue arabe, incluant lOrganisation de la libération de la Palestine (OLP), a déclaré reconnaître Israël dans les frontières de 1967. LEtat dIsraël na aucunement relevé ce défi diplomatique que tous ses dirigeants ont superbement ignoré. Il sest retranché derrière une haute muraille de béton, tout en continuant de mordre dans les terres palestiniennes, délargir ses colonies et de maintenir son contrôle et sa présence militaires sur toute la Cisjordanie
« Nous sommes sortis de Gaza », affirme Israël. « Alors, pourquoi les Palestiniens continuent-ils de nous attaquer à partir de là ? ». En fait, le retrait israélien de Gaza na constitué ni un geste envers les Palestiniens ni un premier pas vers la paix. Bien au contraire ! Tout comme M. Ehoud Barak a effectué le retrait du Liban sans accord afin de se soustraire à toute discussion sur lévacuation du plateau du Golan, M. Ariel Sharon est sorti de la bande de Gaza pour ne pas avoir à conclure avec les Palestiniens un accord de paix qui aurait également comporté lévacuation complète de la Cisjordanie et la renonciation à la partie arabe de Jérusalem. En fin de compte, les habitants du sud dIsraël qui subissent les bombardements de roquettes paient le prix fort pour préserver lintégralité et la tranquillité des colonies.
Article écrit par Shlomo Sand
Historien, professeur à luniversité de Tel-Aviv, auteur de Comment le peuple juif fut inventé, Fayard, Paris, 2008. Le Monde Diplomatique Février 2009.
Depuis lorigine de son entreprise de colonisation, il y a à peu près un siècle, le mouvement sioniste, et lEtat dIsraël par la suite, sest vu comme une minorité persécutée et faible, aspirant à se faire une place au soleil. Brandissant la Bible comme droit de propriété et portant en bandoulière le terrible capital de souffrance des pogroms et des massacres nazis, le projet sioniste a réussi au-delà de tout pronostic : il a fondé un « petit Etat juif » au cur et aux dépens dune population arabe infiniment supérieure en nombre.
De nos jours, les historiens savent que, dès la guerre de 1948, le rapport des forces militaires penchait déjà en faveur du jeune Etat, bien au-delà de la représentation que sen firent les premiers Israéliens. Lors des trois guerres suivantes : 1956, 1967 et 1973, la puissance des forces armées israéliennes sétait encore notablement accrue et, à laide darmements fournis par la France puis par les Etats-Unis, elle simposa face aux forces arabes qui lui étaient opposées.
Toutefois, depuis la guerre de Kippour, en 1973, larmée israélienne nest manifestement plus confrontée à une menace militaire sérieuse ; et de même, depuis lors, lexistence dIsraël ne sest plus trouvée en danger. Les pilotes de larmée israélienne ont cessé, depuis longtemps, daccomplir des missions de combat ; à linstar de la majorité des soldats, ils effectuent essentiellement des tâches de police. Force est de reconnaître que les principales missions dévolues à larmée dIsraël, dotée des armes américaines les plus sophistiquées (chasseurs-bombardiers, drones, fusées guidées, tanks, gilets pare balles ) consistent à réprimer la population des territoires occupés qui de temps à autre tente, de façon désespérée et violente, de se révolter contre son triste sort.
« Tout Etat normal a le droit de défendre ses frontières et de répliquer lorsquil subit des bombardements de roquettes », affirment les porte-parole dIsraël dans leurs vibrantes justifications de lagression brutale contre Gaza. « Certes », pourrait répondre le premier contradicteur venu, « mais tout Etat normal sait aussi où sont ses frontières ! ». Or, Israël ne satisfait pas à ce critère de logique politique de base. Depuis 1967, il na pas cessé dimplanter des colonies dans des territoires qui ne sont pas reconnus comme lui appartenant, tout en se gardant, par ailleurs, de les annexer juridiquement afin de ne pas devoir accorder légalité civique à leurs habitants.
Si, jusquen 2002, Israël a pu justifier loccupation de ces territoires au motif que le monde arabe nest pas disposé à reconnaître son existence, cette ligne de défense rhétorique est tombée lorsque la Ligue arabe, incluant lOrganisation de la libération de la Palestine (OLP), a déclaré reconnaître Israël dans les frontières de 1967. LEtat dIsraël na aucunement relevé ce défi diplomatique que tous ses dirigeants ont superbement ignoré. Il sest retranché derrière une haute muraille de béton, tout en continuant de mordre dans les terres palestiniennes, délargir ses colonies et de maintenir son contrôle et sa présence militaires sur toute la Cisjordanie
« Nous sommes sortis de Gaza », affirme Israël. « Alors, pourquoi les Palestiniens continuent-ils de nous attaquer à partir de là ? ». En fait, le retrait israélien de Gaza na constitué ni un geste envers les Palestiniens ni un premier pas vers la paix. Bien au contraire ! Tout comme M. Ehoud Barak a effectué le retrait du Liban sans accord afin de se soustraire à toute discussion sur lévacuation du plateau du Golan, M. Ariel Sharon est sorti de la bande de Gaza pour ne pas avoir à conclure avec les Palestiniens un accord de paix qui aurait également comporté lévacuation complète de la Cisjordanie et la renonciation à la partie arabe de Jérusalem. En fin de compte, les habitants du sud dIsraël qui subissent les bombardements de roquettes paient le prix fort pour préserver lintégralité et la tranquillité des colonies.