Ne sommes-nous pas passés de 93 millions de migrants dans le monde en 1960 à 247 millions en 2017 ?
Pour voir s’il y a une accélération des flux migratoires, il faut mettre ces chiffres en rapport à la population mondiale, qui est passée d’environ 3 milliards en 1960 à 7,6 milliards en 2017. En part de la population, on constate ainsi que le niveau relatif des migrations est resté stable, aux alentours de 3 %. De surcroît, les chiffres passés sont sans doute sous-estimés, puisqu’une part importante des migrations n’a pas été recensée depuis longtemps.
Au niveau mondial, on ne peut ainsi pas parler de crise migratoire inédite. En revanche, ce qui a changé, c’est la place de l’Europe. Pendant des siècles, ce continent a été celui des colons et des émigrés. Ce schéma s’est inversé après la Seconde Guerre mondiale avec le recrutement des migrants hors d’Europe. La croissance économique, l’augmentation des niveaux d’éducation, le vieillissement de la population et l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail dans les pays occidentaux ont notamment alimenté la demande de main-d’œuvre. Les Européens ont cessé d’émigrer en masse vers d’autres continents. Cela a changé la composition des migrants, venus de plus en plus de pays non-européens, en particulier du Maghreb et de l’Afrique Occidentale. Il est logique que cela génère un débat politique.
Aussi pour les réfugiés, on observe au niveau des chiffres qu’il peut y avoir des crises ponctuelles liées à des conflits violents, comme la guerre en Ukraine ou la guerre civile en Syrie. Ce fut aussi le cas avec l’invasion soviétique en Afghanistan en 1980 qui a produit 5,8 millions de réfugiés jusqu’au retrait soviétique en 1989, ou avec le génocide rwandais en 1994 qui a provoqué le départ de 2,3 millions de personnes, soit un tiers de la population de ce pays. A long terme, il n’y a pas d’accélération du nombre de réfugiés. Un migrant sur dix dans le monde est un réfugié, soit 0,3 % de la population mondiale, et ce pourcentage est resté remarquablement stable sur le long terme.
Si l’Europe est devenue une terre d’immigration, la France a une immigration relativement faible par rapport à d’autres pays. Les immigrés représentent environ 10 % de la population française, contre 15 à 20 % dans la plupart des pays d’Europe occidentale. C’est partiellement lié au taux de fécondité qui était plus élevé en France, à un taux de chômage également plus élevé, ainsi qu’à un manque de politiques efficaces pour attirer les talents. Les données montrent bien que si le chômage est bas, l’immigration économique augmente, comme on l’a vu en Allemagne ou au Royaume-Uni, pays marqués par une forte augmentation de l’immigration depuis les années 1990.
“La meilleure façon d’intégrer, c’est encourager la participation économique de ces populations”
Certes, mais beaucoup de personnes pensent que l’intégration ne fonctionne plus aujourd’hui…
A long terme, l’intégration fonctionne. Des recherches ont par exemple montré qu’aux Etats-Unis, les enfants d’origine latino ou asiatique apprennent aujourd’hui l’anglais bien plus rapidement que ceux d’origine allemande ou italienne il y a un siècle. En France également, l’intégration de la plupart des groupes de migrants est une réussite.
Les enfants d’immigrés faiblement qualifiés atteignent des niveaux d’éducation bien plus élevés que leurs parents. Mais à court terme, des problèmes existent. En Europe occidentale, on a longtemps considéré – et traité – les immigrés venus d’Afrique ou de Turquie comme des ouvriers, et pas des êtres humains, négligeant ainsi les problèmes dans les quartiers où ils habitent. Il y a eu une négligence des problèmes liés au chômage de longue durée, surtout dans la période de récession des années 1970 et 1980.
Mais à long terme, quand on regarde les évolutions économiques sur la deuxième ou troisième génération, on constate des progrès importants. Une étude récente de l’Ined montre que 33 % des enfants d’immigrés sont titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, contre 5 % chez leurs parents – et 44 % des petits-enfants d’immigrés, soit le même pourcentage que chez les jeunes Français non issus de l’immigration. Les enfants de migrants originaires d’Afrique hors Maghreb et d’Asie sont même plus souvent diplômés du supérieur que les descendants de natifs.
La meilleure façon d’intégrer, c’est encourager la participation économique de ces populations, en favorisant l’accès à l’éducation, au travail et au logement – et surtout de lutter contre la discrimination sur le marché du travail. Une récente étude sur la discrimination à l’embauche dans neuf pays occidentaux a montré que la France avait les taux de discrimination les plus élevés : les candidats "blancs" reçoivent près de deux fois plus de rappels que les candidats issus de l’immigration ayant des qualifications similaires.
Vous semblez critique sur l’idéologie multiculturaliste…