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Ce n’était qu’un adolescent ; un jeune homme noir bien dans ses Nike Shox, plein de vie et de rêves. Comme d’habitude, vacances scolaires oblige, il était sorti passer le temps avec ses amis. Attendu pour un dîner en famille, il n’avait pas prévu de rentrer tard. Il était loin de s’imaginer qu’il vivait ses dernières heures… Poursuivi par la police suite à une accusation de vol, il ne survivra pas, laissant derrière lui tout un quartier en deuil. S’en suivront des nuits de révoltes sans précédent, des incompréhensions, des doutes. De la colère, beaucoup de colère. Ceux-là mêmes qui étaient censés protéger cet adolescent l’ont précipité vers la fin de sa vie. Il ne s’appelait pas Mike Brown mais Bouna Traoré, n’habitait pas Ferguson mais Clichy Sous-Bois (2005, ndlr). Comme celles des 320 morts recensés en moins de cinquante ans, son histoire doit nous rappeler qu’en France aussi, la police tue.
D’une rive à l’autre, si les circonstances de ces drames ne sont jamais exactement les mêmes, elles ont toujours les mêmes causes et donc, les mêmes conséquences. Certes, Bouna Traoré n’a pas été abattu de six balles à bout portant mais sa mort est le résultat d’une pression policière qui vise principalement les habitants des quartiers populaires, d’origine étrangère en grande partie. Et malheureusement, ils sont des centaines, avant et après lui, à avoir été criblés de ces balles républicaines.
Aussi, les interrogations de journalistes et/ou de responsables politiques français sur la possibilité de voir se produire la même chose dans notre pays, résonnent telle une vaste tentative de déni. La France n’est pas exempte de ces dérives.
Depuis 1979 ce même scénario est récurrent: une intervention policière tourne mal, un (jeune) homme est tué ; la police plaide légitime défense ou mort «naturelle» ; les médias relayent la version officielle ; le quartier s’embrase ; la révolte est réprimée ; la famille du défunt se constitue partie civile ; les policiers sont acquittés. La routine assassine.
Si le processus est similaire, c’est le traitement médiatico-politique qui diffère… et c’est cela qu’il convient d’interroger. Lorsqu’il s’agit de couvrir un crime policier aux Etats-Unis, le prisme racial semble évident (même pour nos commentateurs nationaux !) : un policier blanc tue un citoyen noir et cela s’inscrit dans un contexte de racisme structurel et historique. En France, pays historiquement esclavagiste et colonial, et alors même que les médias sont généralement friands de ce genre de détails, on «omet» opportunément la précision. C’est le fameux point d’aveuglement républicain. Pourtant, sur les centaines de morts recensées : plus de 90 % sont des non-Blancs tués par des policiers blancs. Jamais ce point n’a été soulevé, la criminalisation systématique des victimes permettant de museler ces questionnements et de justifier l’injustifiable. Quand pourrons-nous, à notre tour, parler de ces «vieux démons» français qui menacent chaque jour un peu plus notre Nation ?
Que les Français condamnent fermement les agissements de certains policiers aux Etats-Unis est une bonne chose. Mais que personne ne soit dupe : dans le miroir que nous tend Ferguson, la France devrait reconnaître sa trouble silhouette. Elle devrait sentir les corps de ces millions de citoyens qui, à force de contrôles au faciès, d’abus, d’humiliations, cueillent indignés les fruits de la colère. Elle devrait entendre ce sourd bourdonnement, celui de l’émeute silencieuse, le «langage de ceux que l’on n’écoute pas» et qui ne demandent pourtant que justice.
Le Président de la République s’était engagé à pacifier les relations police-citoyens en adoptant justement une procédure plus juste et plus objective lors des contrôles d’identité. Il avait, à l’époque où il était candidat, compris l’importance et la nécessité d’une politique de reçu de contrôle d’identité. Il avait saisi que le contrôle d’identité tel qu’il était pratiqué aujourd’hui était à l’origine de nombreux drames et qu’il ne faisait qu’alimenter le sentiment d’injustice de ceux qui le subissent systématiquement de manière arbitraire. Mais cette mesure a rapidement été enterrée au profit d’une proposition de Manuel Valls. A la possibilité d’institutionnaliser la transparence dans la pratique du contrôle d’identité, le Premier Ministre a préféré généraliser l’arbitraire en décidant d’équiper les policiers de mini-caméras qu’ils peuvent allumer ou éteindre quand bon leur semble. Il n’y avait pas meilleur moyen de signifier son mépris aux millions de citoyens concernés par les contrôles abusifs. Il n’y avait pas meilleur moyen de les pousser à s’organiser pour se protéger et surveiller ceux qui étaient censés le faire.
La rentrée s’annonce sous le signe de vives tensions aux Etats-Unis, sur fond de débats sur l’institution policière ; en l’absence de volonté politique d’endiguer les violences policières, les tensions seront tout aussi vives en France.
libération
D’une rive à l’autre, si les circonstances de ces drames ne sont jamais exactement les mêmes, elles ont toujours les mêmes causes et donc, les mêmes conséquences. Certes, Bouna Traoré n’a pas été abattu de six balles à bout portant mais sa mort est le résultat d’une pression policière qui vise principalement les habitants des quartiers populaires, d’origine étrangère en grande partie. Et malheureusement, ils sont des centaines, avant et après lui, à avoir été criblés de ces balles républicaines.
Aussi, les interrogations de journalistes et/ou de responsables politiques français sur la possibilité de voir se produire la même chose dans notre pays, résonnent telle une vaste tentative de déni. La France n’est pas exempte de ces dérives.
Depuis 1979 ce même scénario est récurrent: une intervention policière tourne mal, un (jeune) homme est tué ; la police plaide légitime défense ou mort «naturelle» ; les médias relayent la version officielle ; le quartier s’embrase ; la révolte est réprimée ; la famille du défunt se constitue partie civile ; les policiers sont acquittés. La routine assassine.
Si le processus est similaire, c’est le traitement médiatico-politique qui diffère… et c’est cela qu’il convient d’interroger. Lorsqu’il s’agit de couvrir un crime policier aux Etats-Unis, le prisme racial semble évident (même pour nos commentateurs nationaux !) : un policier blanc tue un citoyen noir et cela s’inscrit dans un contexte de racisme structurel et historique. En France, pays historiquement esclavagiste et colonial, et alors même que les médias sont généralement friands de ce genre de détails, on «omet» opportunément la précision. C’est le fameux point d’aveuglement républicain. Pourtant, sur les centaines de morts recensées : plus de 90 % sont des non-Blancs tués par des policiers blancs. Jamais ce point n’a été soulevé, la criminalisation systématique des victimes permettant de museler ces questionnements et de justifier l’injustifiable. Quand pourrons-nous, à notre tour, parler de ces «vieux démons» français qui menacent chaque jour un peu plus notre Nation ?
Que les Français condamnent fermement les agissements de certains policiers aux Etats-Unis est une bonne chose. Mais que personne ne soit dupe : dans le miroir que nous tend Ferguson, la France devrait reconnaître sa trouble silhouette. Elle devrait sentir les corps de ces millions de citoyens qui, à force de contrôles au faciès, d’abus, d’humiliations, cueillent indignés les fruits de la colère. Elle devrait entendre ce sourd bourdonnement, celui de l’émeute silencieuse, le «langage de ceux que l’on n’écoute pas» et qui ne demandent pourtant que justice.
Le Président de la République s’était engagé à pacifier les relations police-citoyens en adoptant justement une procédure plus juste et plus objective lors des contrôles d’identité. Il avait, à l’époque où il était candidat, compris l’importance et la nécessité d’une politique de reçu de contrôle d’identité. Il avait saisi que le contrôle d’identité tel qu’il était pratiqué aujourd’hui était à l’origine de nombreux drames et qu’il ne faisait qu’alimenter le sentiment d’injustice de ceux qui le subissent systématiquement de manière arbitraire. Mais cette mesure a rapidement été enterrée au profit d’une proposition de Manuel Valls. A la possibilité d’institutionnaliser la transparence dans la pratique du contrôle d’identité, le Premier Ministre a préféré généraliser l’arbitraire en décidant d’équiper les policiers de mini-caméras qu’ils peuvent allumer ou éteindre quand bon leur semble. Il n’y avait pas meilleur moyen de signifier son mépris aux millions de citoyens concernés par les contrôles abusifs. Il n’y avait pas meilleur moyen de les pousser à s’organiser pour se protéger et surveiller ceux qui étaient censés le faire.
La rentrée s’annonce sous le signe de vives tensions aux Etats-Unis, sur fond de débats sur l’institution policière ; en l’absence de volonté politique d’endiguer les violences policières, les tensions seront tout aussi vives en France.
libération