Les limites de la politique dintégration des personnes immigrantes dans la province canadienne
Partant du cas de Nacer, Québécois dorigine marocaine, Alykhanhthi Linhiavu, anthropologue, membre du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), à Montréal, analyse le phénomène.
samedi 21 mars 2009
En raison des besoins de main duvre et des nombreux départs à la retraite, le gouvernement du Québec a prévu 700 000 emplois à pourvoir en 2011. Lancé dans cette perspective, le « Pacte pour lemploi » est destiné à inciter les chômeurs et les prestataires de laide sociale à acquérir une nouvelle formation et à retourner sur le marché du travail. Sa visée est aussi de « lever les obstacles à lembauche des nouveaux arrivants », le Québec comptant augmenter le seuil dimmigration de 45 000 à 55 000 en 2010. Lenjeu est de taille. Lannonce pourrait réjouir plus dun candidat à limmigration. Mais dores et déjà on peut relever un obstacle majeur : les dimensions de la xénophobie et du racisme dans lemploi.
Le calvaire de Nacer
Le cas récent de Nacer X., un Québécois dorigine marocaine qui réside à Montréal depuis 20 ans, est emblématique. Il montre les incohérences dun système qui narrive pas à intégrer ses immigrants. Car les chiffres sont éloquents : au sein de la population québécoise, la proportion du chômage chez les Maghrébins dorigine et les Noirs est de 29 %, comparativement à un taux général de 7 %.
Père de famille, Nacer X. a 50 ans. Prestataire de laide sociale, il sest inscrit en septembre 2008 dans un programme de formation de deux mois dagent de sécurité privée subventionné par Emploi-Québec, lagence gouvernementale qui offre des services en insertion professionnelle. Il se retrouve à la fin de son programme de formation sans stage, le stage non rémunéré de deux semaines faisant partie de la formation. Dans les faits, les 6 étudiants noirs et les 3 étudiants arabes qui constituaient plus de la moitié de la promotion, nont trouvé ni stage ni emploi, contrairement aux 8 étudiants québécois blancs. Le centre de formation se vantant « dune relation privilégiée avec les agences de sécurité » et dun taux de placement de 100 %, le groupe détudiants noirs et arabes sest senti en droit de sinterroger sur cette situation. Le Ministère de lEmploi et de la Solidarité Sociale (MESS) questionne-t-il lécole et ses pratiques quand certains étudiants subventionnés ne trouvent pas demploi ou de stage et quils sont tous Noirs ou Arabes ? Est-il normal que des subventions continuent à être versées à ces centres de formation dont seuls les Québécois de souche bénéficient en définitive ? Le racisme dans lemploi se perpétue, avec linvestissement financier du gouvernement.
Il y a de très nombreux immigrants dans la situation de Nacer X. Celui-ci, appuyé par le CRARR, un organisme de lutte contre le racisme, na pas trouvé dautres moyens de faire valoir ses droits quen déposant une plainte auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.
A lévidence, Nacer X. et sa famille suivent un parcours de pauvreté. Cependant, les programmes de lutte contre le chômage et la pauvreté ne sont pas adaptés à la réalité des populations immigrantes, qui recoupent en grande partie les groupes victimes du racisme.
La lutte contre le racisme conjointe à la lutte contre la pauvreté
Une étude, présentée en 2008 à lACFAS par les sociologues Rachad Antonius et Jean-Claude Icart, souligne lexistence de profils de pauvreté très nettement différenciés, selon quon soit immigrant ou non. La pauvreté dans la population dorigine immigrée est corrélée à des ménages biparentaux ou à des personnes au capital culturel élevé, mais le gouvernement élabore ses programmes de lutte contre la pauvreté et le chômage daprès un « profil type », relatif à la majorité québécoise, selon lequel la pauvreté est associée à des familles monoparentales et à des personnes peu scolarisées. Les programmes de redistribution établis sur ce diagnostic contribuent donc à lexclusion systémique dune partie des personnes résidant au Québec.
Il en va de même des programmes dintégration. Si le Ministère de lImmigration et des Communautés Culturelles (MICC) considère lexistence dun processus dexclusion ou de disqualification des immigrants récents dans son plan daction 2008-2013 « La diversité : une valeur ajoutée », laménagement des politiques du MESS renvoie, en dernière instance, à la responsabilité de chacun de sortir de sa condition de sans emploi. Ainsi, sur le site dEmploi-Québec, le MESS met à disposition des outils de « simulations de revenus » grâce auxquels « le prestataire de laide financière de dernier recours » peut se figurer « les avantages financiers à suivre un cheminement le menant à intégrer le marché du travail ». En somme, les barrières qui empêchent lindividu de se sortir du non emploi seraient celles quil simposerait lui-même. On voit ici que la situation vécue de discrimination et de racisme est aggravée par les préjugés existant à légard des personnes sans emploi, comme si elles voulaient sinstaller dans la pauvreté.
Au regard des prévisions, on réalise lenjeu social, culturel et économique de lintégration en emploi des nouveaux arrivants. Sachant quune proportion importante des immigrants récents fait partie des minorités visibles ; que, dici 2011, la croissance nette de la population active se fera presque uniquement à travers limmigration de travail et que « le succès de la politique dimmigration est étroitement lié à celui de lintégration des personnes immigrantes », il convient dinterroger le gouvernement sur les dispositions quil compte prendre. Des deux ministères impliqués, le Ministère de lEmploi est évidemment celui qui pèse le plus dans ce domaine dintervention. Mais aussi longtemps quil considèrera le principe de discrimination raciale comme un objet séparé et secondaire de la politique daide, il y aura mise en échec de lintégration et perpétuation des discriminations professionnelles injustifiées.
Partant du cas de Nacer, Québécois dorigine marocaine, Alykhanhthi Linhiavu, anthropologue, membre du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), à Montréal, analyse le phénomène.
samedi 21 mars 2009
En raison des besoins de main duvre et des nombreux départs à la retraite, le gouvernement du Québec a prévu 700 000 emplois à pourvoir en 2011. Lancé dans cette perspective, le « Pacte pour lemploi » est destiné à inciter les chômeurs et les prestataires de laide sociale à acquérir une nouvelle formation et à retourner sur le marché du travail. Sa visée est aussi de « lever les obstacles à lembauche des nouveaux arrivants », le Québec comptant augmenter le seuil dimmigration de 45 000 à 55 000 en 2010. Lenjeu est de taille. Lannonce pourrait réjouir plus dun candidat à limmigration. Mais dores et déjà on peut relever un obstacle majeur : les dimensions de la xénophobie et du racisme dans lemploi.
Le calvaire de Nacer
Le cas récent de Nacer X., un Québécois dorigine marocaine qui réside à Montréal depuis 20 ans, est emblématique. Il montre les incohérences dun système qui narrive pas à intégrer ses immigrants. Car les chiffres sont éloquents : au sein de la population québécoise, la proportion du chômage chez les Maghrébins dorigine et les Noirs est de 29 %, comparativement à un taux général de 7 %.
Père de famille, Nacer X. a 50 ans. Prestataire de laide sociale, il sest inscrit en septembre 2008 dans un programme de formation de deux mois dagent de sécurité privée subventionné par Emploi-Québec, lagence gouvernementale qui offre des services en insertion professionnelle. Il se retrouve à la fin de son programme de formation sans stage, le stage non rémunéré de deux semaines faisant partie de la formation. Dans les faits, les 6 étudiants noirs et les 3 étudiants arabes qui constituaient plus de la moitié de la promotion, nont trouvé ni stage ni emploi, contrairement aux 8 étudiants québécois blancs. Le centre de formation se vantant « dune relation privilégiée avec les agences de sécurité » et dun taux de placement de 100 %, le groupe détudiants noirs et arabes sest senti en droit de sinterroger sur cette situation. Le Ministère de lEmploi et de la Solidarité Sociale (MESS) questionne-t-il lécole et ses pratiques quand certains étudiants subventionnés ne trouvent pas demploi ou de stage et quils sont tous Noirs ou Arabes ? Est-il normal que des subventions continuent à être versées à ces centres de formation dont seuls les Québécois de souche bénéficient en définitive ? Le racisme dans lemploi se perpétue, avec linvestissement financier du gouvernement.
Il y a de très nombreux immigrants dans la situation de Nacer X. Celui-ci, appuyé par le CRARR, un organisme de lutte contre le racisme, na pas trouvé dautres moyens de faire valoir ses droits quen déposant une plainte auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.
A lévidence, Nacer X. et sa famille suivent un parcours de pauvreté. Cependant, les programmes de lutte contre le chômage et la pauvreté ne sont pas adaptés à la réalité des populations immigrantes, qui recoupent en grande partie les groupes victimes du racisme.
La lutte contre le racisme conjointe à la lutte contre la pauvreté
Une étude, présentée en 2008 à lACFAS par les sociologues Rachad Antonius et Jean-Claude Icart, souligne lexistence de profils de pauvreté très nettement différenciés, selon quon soit immigrant ou non. La pauvreté dans la population dorigine immigrée est corrélée à des ménages biparentaux ou à des personnes au capital culturel élevé, mais le gouvernement élabore ses programmes de lutte contre la pauvreté et le chômage daprès un « profil type », relatif à la majorité québécoise, selon lequel la pauvreté est associée à des familles monoparentales et à des personnes peu scolarisées. Les programmes de redistribution établis sur ce diagnostic contribuent donc à lexclusion systémique dune partie des personnes résidant au Québec.
Il en va de même des programmes dintégration. Si le Ministère de lImmigration et des Communautés Culturelles (MICC) considère lexistence dun processus dexclusion ou de disqualification des immigrants récents dans son plan daction 2008-2013 « La diversité : une valeur ajoutée », laménagement des politiques du MESS renvoie, en dernière instance, à la responsabilité de chacun de sortir de sa condition de sans emploi. Ainsi, sur le site dEmploi-Québec, le MESS met à disposition des outils de « simulations de revenus » grâce auxquels « le prestataire de laide financière de dernier recours » peut se figurer « les avantages financiers à suivre un cheminement le menant à intégrer le marché du travail ». En somme, les barrières qui empêchent lindividu de se sortir du non emploi seraient celles quil simposerait lui-même. On voit ici que la situation vécue de discrimination et de racisme est aggravée par les préjugés existant à légard des personnes sans emploi, comme si elles voulaient sinstaller dans la pauvreté.
Au regard des prévisions, on réalise lenjeu social, culturel et économique de lintégration en emploi des nouveaux arrivants. Sachant quune proportion importante des immigrants récents fait partie des minorités visibles ; que, dici 2011, la croissance nette de la population active se fera presque uniquement à travers limmigration de travail et que « le succès de la politique dimmigration est étroitement lié à celui de lintégration des personnes immigrantes », il convient dinterroger le gouvernement sur les dispositions quil compte prendre. Des deux ministères impliqués, le Ministère de lEmploi est évidemment celui qui pèse le plus dans ce domaine dintervention. Mais aussi longtemps quil considèrera le principe de discrimination raciale comme un objet séparé et secondaire de la politique daide, il y aura mise en échec de lintégration et perpétuation des discriminations professionnelles injustifiées.