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VIB
Lorsqu'il a débarqué au lycée Louis-le-Grand, son nom, lancé lors des appels, a d'abord fait sourire. "Evidemment, ici, ce n'est pas banal de porter le prénom de Jospin", s'amuse-t-il. Jospin... Comme l'ancien premier ministre ? "Oui, mon père l'admirait beaucoup, insiste-t-il. C'était tout de même l'un des rares hommes politiques français à s'être intéressé au tiers-monde tout en refusant de se lier aux dictateurs africains !"
Evidemment, "papa" aurait pu opter pour la solution du simple "Lionel". "Mais il a pensé, remarque-t-il pince-sans-rire, que Jospin exprimerait plus clairement sa considération." Le Béninois Jospin Oussou est donc arrivé à Paris avec son drôle de prénom, il y a deux ans, en 2007. Son père était mort depuis quelques années, laissant sa mère, vendeuse sur les marchés, élever seule les quatre enfants du couple. Il n'avait jamais pris l'avion, ne connaissait rien d'autre que Cotonou, et son homonyme en France n'était déjà plus premier ministre depuis cinq ans.
Le jeune homme disposait cependant d'un plus puissant viatique : ses formidables bulletins scolaires. Des 19 sur 20 à la pelle, une mention "très bien" au bac et la réputation d'être l'un des meilleurs élèves du Bénin. Au sein des classes préparatoires - les "taupes"- du prestigieux lycée Louis-le-Grand, qui fournit chaque année une moitié des effectifs de l'Ecole polytechnique, le jeune "taupin" a néanmoins rapidement compris qu'il était loin d'être le seul à aligner de telles performances scolaires.
Mais, dans ce lycée qui vit pourtant passer, à la fin des années 1920, le poète et ancien président du Sénégal Léopold Sédar Senghor, il a aussi vite constaté qu'il était l'un des rares Africains issus d'une famille modeste à s'être taillé une place dans les têtes de classe.
Lors des réunions de parents d'élèves de Louis-le-Grand, sur le quai de la gare lors du premier voyage scolaire, ce n'est pourtant plus Jospin qui a bientôt fait sensation, mais un homme, blanc, la soixantaine, livrant ses dernières recommandations en remontant le cache-nez du garçon pour qu'il ne prenne pas froid : Odon Vallet. Cet énarque érudit, spécialiste des religions et sans enfant, est tout à la fois le parrain, le père adoptif et le bienfaiteur de Jospin et de la demi-douzaine de jeunes Africains issus de familles modestes inscrits à Louis-le-Grand.
Depuis qu'il a hérité, en 1999, de l'imposante fortune de son père (115 millions d'euros placés dans la Fondation Odon-Vallet, sous l'égide de la Fondation de France), Odon Vallet distribue chaque année des bourses à des élèves défavorisés. Il a commencé par les écoles d'art appliqué françaises (école Boulle, Arts déco, lycée de l'horlogerie ou école des Gobelins). A étendu ensuite son action au Vietnam, "un pays confucéen où les études sont une mystique", dit-il. "Mais j'avais un remords de ne rien faire pour l'Afrique."
Il a donc jeté son dévolu sur le Bénin, puis, selon les circonstances, sur les pays voisins, sélectionnant les meilleurs élèves des meilleurs lycées. Dans les cours de Louis-le-Grand, ils sont donc cinq à retrouver chaque jour Jospin. Trois autres jeunes Béninois, Irénée Salmon, Espérant Padonou et Ulysse Lawogni. Un jeune Ivoirien, Désir Koffi-Bi, dont le prénom est tout aussi inspiré par la politique française que Jospin, "mais moi, mon père avait été très marqué par un discours d'Harlem Désir au temps où celui-ci dirigeait SOS-Racisme", explique-t-il en riant. Et la seule fille parmi eux, Tatiana Tchalla, est originaire du Togo.
C'est peu dire qu'à Louis-le-Grand, où les rares élèves noirs sont souvent fils de diplomates, ce petit groupe-là se remarque. "Dans la compétition internationale qui nous oppose aux plus grandes universités américaines, nous sommes bien parvenus à faire venir des Chinois, très bons en mathématiques, reconnaît le proviseur Joël Vallat, quelques Marocains, des Libanais, des Bulgares. Mais le gros des prépas est encore très franco-français." Les six Africains ont refait une terminale à Louis-le-Grand avant de se lancer dans les classes préparatoires.
"Ce n'est pas leur niveau en mathématiques ou en physique qui posait problème, souligne Annie Vigneron, professeur de mathématiques, qui les a tous suivis en terminale. Généralement, ils sont très bons dans ces matières, leurs lycées d'origine suivant les anciens programmes français de terminale, plus poussés que ceux d'aujourd'hui. Mais ils avaient un rattrapage à accomplir en histoire, anglais et philosophie."
Il leur a aussi fallu un petit temps d'adaptation à un pays inconnu, un climat qui les frigorifie toujours, une cuisine qui les déroute souvent. "Jospin n'avait jamais tenu un couteau de sa vie, rappelle Odon Vallet, Irénée pensait devoir chanter l'hymne national chaque matin avant d'entrer en classe et Espérant a longtemps été inquiet d'avoir dû laisser sa mère, sanglotant en disant son chapelet."
Car si tous sont issus de familles où l'école était surinvestie, chacun de leurs parcours est un petit miracle. Et ils sont tous liés par cette communauté de destin. C'est Espérant, déjà boursier de la Fondation, qui a ainsi recommandé Ulysse à Odon Vallet. "J'étais sorti major du Bénin au BEPC, et j'ai longtemps été le meilleur élève de mon collège Sainte-Félicité, à Cotonou, raconte le jeune homme. Jusqu'à ce qu'Ulysse arrive, deux classes en dessous de la mienne. Là, il s'est révélé mon adversaire le plus redoutable. Chaque trimestre, j'allais le voir pour sonder si sa moyenne générale serait supérieure à la mienne. Lorsque M. Vallet m'a accepté, après que j'ai été le major du Bénin au bac, je savais déjà qui serait, deux ans plus tard, le meilleur bachelier."
Le grand frère de Désir, Ezechiel, aujourd'hui élève à l'Ecole des mines de Douai et déjà boursier de la Fondation, avait pour sa part présenté son cadet. "J'étais alors en cinquième, sourit Désir, et premier de mon école. Pendant des années, M. Vallet m'a envoyé des Harry Potter. Ah, je les ai lus et relus ! Et en terminale, j'ai su que j'étais à mon tour accepté."
Evidemment, "papa" aurait pu opter pour la solution du simple "Lionel". "Mais il a pensé, remarque-t-il pince-sans-rire, que Jospin exprimerait plus clairement sa considération." Le Béninois Jospin Oussou est donc arrivé à Paris avec son drôle de prénom, il y a deux ans, en 2007. Son père était mort depuis quelques années, laissant sa mère, vendeuse sur les marchés, élever seule les quatre enfants du couple. Il n'avait jamais pris l'avion, ne connaissait rien d'autre que Cotonou, et son homonyme en France n'était déjà plus premier ministre depuis cinq ans.
Le jeune homme disposait cependant d'un plus puissant viatique : ses formidables bulletins scolaires. Des 19 sur 20 à la pelle, une mention "très bien" au bac et la réputation d'être l'un des meilleurs élèves du Bénin. Au sein des classes préparatoires - les "taupes"- du prestigieux lycée Louis-le-Grand, qui fournit chaque année une moitié des effectifs de l'Ecole polytechnique, le jeune "taupin" a néanmoins rapidement compris qu'il était loin d'être le seul à aligner de telles performances scolaires.
Mais, dans ce lycée qui vit pourtant passer, à la fin des années 1920, le poète et ancien président du Sénégal Léopold Sédar Senghor, il a aussi vite constaté qu'il était l'un des rares Africains issus d'une famille modeste à s'être taillé une place dans les têtes de classe.
Lors des réunions de parents d'élèves de Louis-le-Grand, sur le quai de la gare lors du premier voyage scolaire, ce n'est pourtant plus Jospin qui a bientôt fait sensation, mais un homme, blanc, la soixantaine, livrant ses dernières recommandations en remontant le cache-nez du garçon pour qu'il ne prenne pas froid : Odon Vallet. Cet énarque érudit, spécialiste des religions et sans enfant, est tout à la fois le parrain, le père adoptif et le bienfaiteur de Jospin et de la demi-douzaine de jeunes Africains issus de familles modestes inscrits à Louis-le-Grand.
Depuis qu'il a hérité, en 1999, de l'imposante fortune de son père (115 millions d'euros placés dans la Fondation Odon-Vallet, sous l'égide de la Fondation de France), Odon Vallet distribue chaque année des bourses à des élèves défavorisés. Il a commencé par les écoles d'art appliqué françaises (école Boulle, Arts déco, lycée de l'horlogerie ou école des Gobelins). A étendu ensuite son action au Vietnam, "un pays confucéen où les études sont une mystique", dit-il. "Mais j'avais un remords de ne rien faire pour l'Afrique."
Il a donc jeté son dévolu sur le Bénin, puis, selon les circonstances, sur les pays voisins, sélectionnant les meilleurs élèves des meilleurs lycées. Dans les cours de Louis-le-Grand, ils sont donc cinq à retrouver chaque jour Jospin. Trois autres jeunes Béninois, Irénée Salmon, Espérant Padonou et Ulysse Lawogni. Un jeune Ivoirien, Désir Koffi-Bi, dont le prénom est tout aussi inspiré par la politique française que Jospin, "mais moi, mon père avait été très marqué par un discours d'Harlem Désir au temps où celui-ci dirigeait SOS-Racisme", explique-t-il en riant. Et la seule fille parmi eux, Tatiana Tchalla, est originaire du Togo.
C'est peu dire qu'à Louis-le-Grand, où les rares élèves noirs sont souvent fils de diplomates, ce petit groupe-là se remarque. "Dans la compétition internationale qui nous oppose aux plus grandes universités américaines, nous sommes bien parvenus à faire venir des Chinois, très bons en mathématiques, reconnaît le proviseur Joël Vallat, quelques Marocains, des Libanais, des Bulgares. Mais le gros des prépas est encore très franco-français." Les six Africains ont refait une terminale à Louis-le-Grand avant de se lancer dans les classes préparatoires.
"Ce n'est pas leur niveau en mathématiques ou en physique qui posait problème, souligne Annie Vigneron, professeur de mathématiques, qui les a tous suivis en terminale. Généralement, ils sont très bons dans ces matières, leurs lycées d'origine suivant les anciens programmes français de terminale, plus poussés que ceux d'aujourd'hui. Mais ils avaient un rattrapage à accomplir en histoire, anglais et philosophie."
Il leur a aussi fallu un petit temps d'adaptation à un pays inconnu, un climat qui les frigorifie toujours, une cuisine qui les déroute souvent. "Jospin n'avait jamais tenu un couteau de sa vie, rappelle Odon Vallet, Irénée pensait devoir chanter l'hymne national chaque matin avant d'entrer en classe et Espérant a longtemps été inquiet d'avoir dû laisser sa mère, sanglotant en disant son chapelet."
Car si tous sont issus de familles où l'école était surinvestie, chacun de leurs parcours est un petit miracle. Et ils sont tous liés par cette communauté de destin. C'est Espérant, déjà boursier de la Fondation, qui a ainsi recommandé Ulysse à Odon Vallet. "J'étais sorti major du Bénin au BEPC, et j'ai longtemps été le meilleur élève de mon collège Sainte-Félicité, à Cotonou, raconte le jeune homme. Jusqu'à ce qu'Ulysse arrive, deux classes en dessous de la mienne. Là, il s'est révélé mon adversaire le plus redoutable. Chaque trimestre, j'allais le voir pour sonder si sa moyenne générale serait supérieure à la mienne. Lorsque M. Vallet m'a accepté, après que j'ai été le major du Bénin au bac, je savais déjà qui serait, deux ans plus tard, le meilleur bachelier."
Le grand frère de Désir, Ezechiel, aujourd'hui élève à l'Ecole des mines de Douai et déjà boursier de la Fondation, avait pour sa part présenté son cadet. "J'étais alors en cinquième, sourit Désir, et premier de mon école. Pendant des années, M. Vallet m'a envoyé des Harry Potter. Ah, je les ai lus et relus ! Et en terminale, j'ai su que j'étais à mon tour accepté."