Egypt:une femme presidente? jamais , jamais , jamais

Le Caire, 9 mars 2011.

Nous nous réveillons ce matin nos corps et nos esprits encore endoloris des coups, des humiliations et des insultes ignominieuses de la journée d’hier, Journée Mondiale de la Femme.

Un millier de femmes, surtout, et d’hommes s’étaient réunis place Tahrir pour venir offrir et rappeler leur soutien total à l’élan démocratique qui secoue le pays depuis le 25 janvier 2011.

Le groupe avait établi, tout simplement, une liste de demandes basiques conformes aux articles de la déclaration universelle des Droits de l’Homme. Cependant, ces demandes universelles, prononcées et soutenues par des femmes ont déchaîné sur elles les foudres de l’enfer.

À peine arrivés place Tahrir, des hommes, pourtant des manifestants pour la démocratie, se jettent sur un petit groupe d’hommes et de femmes qui portent des tracts et des bannières. Ils lisent quelques tracts et, leur lecture à peine terminée, se métamorphosent en bêtes sauvages : "JAMAIS ! Vous entendez ?! JAMAIS une femme ne sera présidente ! Hé ! Tout le monde ! Venez voir ça ! Il faut brûler ces papiers maintenant ! Il faut brûler ! Brûler !".*

D’autres s’interposent et conduisent le petit groupe dans une tente au milieu de la place. Celle-ci s’appelle "la tente des organisateurs de Tahrir". Le chef de la tente, que tous appellent "le docteur", vient lire les tracts. Il tient un discours qui n’est nul autre que le vôtre, Monsieur Sarkozy. Aussi n’est-il pas la peine que je vous traduise ici les propos du "docteur" au sujet de la Journée Mondiale de la Femme, mais que je vous rappelle ceux-ci : "C’est sympathique, il faut le faire, enfin parfois il faudrait qu’on se concentre sur l’essentiel".

Avant de revenir sur votre déclaration, je voudrais vous faire le récit de cette journée d’horreur.

La manifestation s’est formée au pied du Muggamaa, un bâtiment administratif situé place Tahrir, devant lequel se trouve une esplanade. Un groupe de femmes et d’hommes tiennent des affiches et scandent des slogans sur l’égalité des femmes et des hommes, la place de la femme dans la vie politique et la vie en générale, une législation et une constitution qui garantissent les droits et les libertés de chaque citoyen, quelque soit son sexe, son origine, ses croyances religieuses… En somme, le b-a, ba d’une démocratie digne de ce nom.

À
 
À peine 30 minutes plus tard, se forme une contre-manifestation d’hommes. Extraits : "Rentrez nous faire à bouffer", "La constitution ne sera pas laïque", "Quoiqu’il arrive, on va vous baiser ! On va vous baiser !".**

Les manifestantes et manifestants de l’autre bord redoublent d’ardeur et répondent aux provocations, suscitant l’excitation elle aussi redoublée des contre-manifestants qui décident alors de charger. Ils sont arrêtés, pour un temps, par un cordon de volontaires qui font bloc contre une violence et une furie invraisemblables.

Puis, l’horreur absolue.

Deux femmes, puis deux autres sont pourchassées par une horde de 150 ou 200 hommes. Tandis qu’elles tentent de s’éloigner en marchant, ce sont des centaines de mains qui leur attrapent les seins, le sexe, leur tirent les cheveux, les battent. Elles sont entourées par des hommes qui les protègent sur 500 mètres de pur cauchemar. L’intervention de trois militaires, dans les deux poursuites, est providentielle et in extremis. Nous savions tous, dans cette bataille, que nous allions être les témoins de meurtres, de viols et peut-être des deux à la fois, là, en plein jour.

S’en est suivie une nuit de consolation avec les victimes de cette ignomie, quatre femmes dont le courage me fait encore fondre en larmes tandis que je vous écris ces lignes.

Non, Nicolas Sarkozy, vous ne devriez pas, vous Président de la République Française, pays des Droits de l’Homme, dire en public "C’est sympathique, il faut le faire, enfin parfois il faudrait qu’on se concentre sur l’essentiel".

J’attends d’entendre une de ces bêtes féroces me dire aujourd’hui : "Vous voyez, même Sarkozy est d’accord avec nous". Je sais que je vais l’entendre dire avant que la nuit tombe. Dites-moi, je vous prie, ce que vous vous voudriez que je lui réponde.

Merci.

Aalam Wassef »

Source : "Egypte : Lettre à Nicolas Sarkozy"
 
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