Égypte – Le legs de Nasser : Comment le chef est tombé dans le piège qui lui a été tendu

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En 1967, l’armée égyptienne était exsangue, épuisée par une expédition longue et coûteuse au Yémen en soutien aux républicains en lutte contre les monarchistes soutenus par le Royaume wahhabite. Cette guerre par procuration menée par l’Arabie Saoudite contre l’Égypte s’est prolongée de Septembre 1962 à Décembre 1970. Elle s’est achevée par l’abolition de l’Imamat et la proclamation de la République au Yémen du Nord. Elle s’est prolongée par la fin du protectorat britannique sur Aden sous les coups de boutoirs du FLOSY (Front de Libération du Sud Yemen Occupé) dirigé par le nassérien Abdel Kawi Makkawi, avec le soutien du Mouvement nationaliste arabe dirigé par Georges Habache, futur chef du Front populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP) .

Ces deux faits d’armes qui sont à porter incontestablement au crédit du Mouvement de Libération du Monde arabe du joug colonial, par Nasser, vont être neutralisés par la défaite de l’Égypte en Juin 1967. Cette « victoire décisive » d’Israël, selon la définition du stratège allemand Carl V Clausevitz, a entraîné un bouleversement radical de la géopolitique régionale.

L’onde de choc se répercutera sur l’ensemble du Monde arabe avec des répliques sismiques en Irak qui propulsera au pouvoir, en 1968, le parti Baas, et en Libye, où la monarchie Senoussi sera renversée, le 1er septembre 1969, par un « groupe d’officiers libres » mené par le colonel Mouammar Kadhafi sur le modèle de leurs aînés nassérien, avec la nationalisation de la gigantesque base américaine de « Wheelus Airfield », (région de Tripoli) et de la base britannique d’Al Adem (région de Benghazi).

Auparavant, l’agression tripartite franco anglo israélienne de Suez, en 1956, avait décapité la branche aînée de la monarchie hachémité renversée, en Irak, le 14 juillet 1958, au son de la Marseillaise.

Dans la foulée de la défaite de juin 1967, Gamal Abdel Nasser, chef charismatique des arabes, l’artisan de la première nationalisation réussie du Tiers Monde, le Canal de Suez, va céder son primat aux pétromonarchies pro occidentales et, corrélativement, le mot d’ordre d’« Unité arabe » s’éclipser au profit de celui de la « Solidarité islamique ».

Nasser décédera en septembre 1970, trois ans après cette défaite, imputable à quatre facteurs :

  • La désinvolture du Haut Commandement égyptien envers les avertissements répétés de Nasser quant à la probabilité de l’imminence d’une attaque israélienne.
  • L’état d’impréparation de l’armée.
  • L’erreur d’appréciation de Nasser quant aux conséquences de sa double décision d’ordonner la fermeture du Golfe d’Akaba et le retrait des « casques bleus » de l’ONU, des lignes de démarcation israélo-egyptienne.
  • L’inconsistance du Maréchal Abdel Hakim Amer, ministre des Armées, qui survolera le Sinaï, sans la moindre protection, quelques heures avant le déclenchement de l’attaque israélienne, en compagnie des commandants des formations combattantes, dégarnissant le front égyptien de tout commandement.
Ci joint le témoignage du général Saadeddine Chazli, futur chef d’État-Major durant la guerre d’octobre 1973, sur l’absence de riposte égyptienne à l’attaque israélienne :

« Le 4 juin au soir, j’ai été chargé par le commandement du Front du Sinaï de me rendre le lendemain à l’aéroport Fayed pour présider une réunion de coordination des diverses formations. Le 5 juin à 06 du matin un hélicoptère me déposa sur les lieux de la réunion, où j’ai pu rencontrer 9 commandants de divisions du Nord, du centre et du Sud du Sinaï, ainsi que les commandants de l’artillerie et des blindés.

Le maréchal Abdel Hakim Amer avait tardé à nous rejoindre. Alors que nous étions dans son attente, nous entendîmes subitement deux fortes détonations. Vérification faite, nous apprîmes que tous les aéroports du Sinaï avaient été bombardés instantanément et simultanément et que le Maréchal Amer avait rebroussé chemin.

Le fait que l’avion du ministre de la défense se trouvait dans les airs a contraint le commandement égyptien à s’abstenir de toute riposte balistique contre l’aviation israélienne de crainte de prendre pour cible l’appareil du Maréchal
».


 

Le rôle incitatif de la Jordanie


L’Arabie Saoudite s’est positionnée en fer de lance du combat contre l’Égypte nassérienne et la Syrie baassiste au plus fort de la guerre contre le nationalisme arabe menée conjointement par les États-Unis et Israël en ce que les régimes républicains arabes bordant le bassin historique de la Palestine (Égypte et Syrie) portaient la responsabilité de la guerre contre Israël, pour la libération de la Palestine.

La guerre dérivative du Yémen menée par le Royaume wahhabite contre l’Égypte, soutien des républicains contre l’Imamat, répondait à cet objectif, de même que la mise sur pied ultérieure d’un « pacte islamique » par le Roi Faysal d’Arabie Saoudite, dans la foulée de l’incendie de la Mosquée Al Aqsa de Jérusalem.

Au plus fort de la rivalité égypto-saoudienne, l’entrée en scène des Fedayins palestiniens depuis le front oriental du Monde arabe a placé dans l’embarras la Jordanie, particulièrement le Roi Hussein. À l’instar de son grand père le Roi Abdallah, – assassiné en pleine mosquée d’Al Aqsa à Jérusalem, en 1948, pour avoir entretenu des relations clandestines avec les sionistes du temps du mandat britannique sur la Palestine –, le monarque hachémite entretenait des relations secrètes avec les Israéliens depuis 1963 et s’appliquait méthodiquement à brider la guérilla palestinienne.

La Jordanie considérait que la Syrie constituait l’obstacle majeur à la pérennisation de l’arrangement conclu entre Israël et la Jordanie pour maintenir le calme à la frontière jordano-israélienne. Peu de temps avant l’opération israélienne d’Al Soummouh1, Hussein adressa un message aux Israéliens, partiellement codé, les assurant qu’un raid rapide contre la Syrie ne romprait pas le calme sur le Front Nord et que l’Égypte, en dépit d’un accord de défense commune avec la Syrie, ne volerait pas à son secours.2

L’opération Al Soummouh a mis en colère le Roi Hussein car il souhaitait vivement instaurer des relations cordiales et secrètes avec les Israéliens. Il déployait pour ce faire de grands efforts pour entraver toute action de la guérilla palestinienne contre l’État hébreu.

L’opération Al Soummouh a suscité en outre la colère des Américains qui se sont posés la question suivante : « Pourquoi les Israéliens ont attaqué un allié proche des États-Unis, alors que Washington avait donné son feu vert à une attaque contre la Syrie ? »

« Pourquoi n’avoir pas attaqué la Syrie ? », a ainsi interpellé un diplomate américain de haut rang un chef militaire israélien, lors de sa visite en Israël après l’opération Al Soummouh. « Pourquoi avoir choisi de porter atteinte à un état ami et allié de l’Occident ? »3, a poursuivi le diplomate américain, en quête d’une explication convaincante.
 

2 – Le rôle incitatif du Chah d’Iran

La présence militaire égyptienne au Yémen était « préoccupante » pour l’Iran qui redoutait un accroissement de l’influence nassérienne dans la Péninsule arabique (Arabie Saoudite-Yémen), qui constituerait par voie de conséquence une menace pour la sécurité nationale iranienne.

Pour conjurer cette menace, le Chah d’Iran a entrepris deux démarches, l’une en direction d’Israël, l’autre en direction de l’Union soviétique.

A- En direction d’Israël

Le Chah s’est appliqué à inciter Israël à se livrer à une action militaire contre l’Égypte en vue de la contraindre à retirer ses troupes du Yémen et à les concentrer sur le front israélien.

Parallèlement, le Chah s’est employé à faire pression sur l’Union soviétique en vue d’obtenir que cette dernière contraigne l’Égypte à se retirer du Yémen4 et de « distraire » la Syrie pour l’empêcher de soutenir l’Égypte.

La visite de Yitzhak Rabin en Iran le 14 avril 1967, soit moins de deux mois avant la guerre de Juin 1967, constitue à cet égard la plus importante visite jamais effectuée par un responsable israélien en Iran.5

Durant son séjour à Téhéran, le chef d’État-Major israélien a non seulement rencontré le Chah, mais s’est également entretenu avec le premier ministre et surtout avec les chefs militaires et les responsables de l’appareil sécuritaire iraniens.

Le thème général des entretiens a été l’aménagement d’une coopération stratégique entre l’Iran et Israël, deux alliés majeurs des États-Unis au Moyen-Orient, en vue de faire face à l’Égypte. En contrepartie, Rabin a demandé à l’Iran d’accroitre ses fournitures de pétrole iranien à Israël, qui représentaient déjà 85 pour cent des besoins énergétiques israéliens.6

Le chah a attiré l’attention de Rabin sur le fait que « la présence égyptienne au Yémen entravait le déploiement de l’influence iranienne dans la Péninsule arabique et constituait de ce fait une menace pour le Monde arabe et par voie de conséquence pour Israël ».

En conclusion, le Chah a estimé qu’il était « de l’intérêt commun de l’Iran et d’Israël d’occuper l’armée égyptienne dans d’autres endroits et d’occuper la Syrie pour l’empêcher de voler au secours de l’Égypte ».7

Ami Jalouska8 évoque à ce propos le rôle de l’Iran dans l’exacerbation de la tension en pratiquant une « politique du bord du précipice », faisant fuiter de fausses informations à caractère stratégique à l’Union soviétique à propos de prétendues intentions israéliennes de se livrer à une attaque subite contre la Syrie.

Ce fait a mis en colère Nasser qui ordonna alors un mouvement des troupes égyptiennes en signe de solidarité avec la Syrie. Le jeu iranien a contribué à précipiter la guerre, engageant l’Égypte dans un conflit auquel elle n’était pas préparée.

La guerre de Juin 1967 a pleinement satisfait les objectifs stratégiques de l’Iran, en réduisant l’influence de l’Égypte dans la zone pétrolière du Golfe et sa substitution par l’Iran.9
 
B- En direction de l’Union soviétique

Le Chah s’est appliqué à convaincre l’Union soviétique de faire pression sur l’Égypte pour contraindre ce dernier pays à se retirer du Yémen et de brider son influence dans la Péninsule arabique en leur faisant miroiter un marché mirobolant.

a) Les entretiens de Yitzhak Rabin, chef d’État-Major israélien à Téhéran:

Le Chah a tenu les propos suivants à Yitzhak Rabin : « J’ai précisé aux Soviétiques que leurs intérêts en Iran étaient aussi importantes que leurs intérêts en Égypte. J’ai en conséquence conclu d’importants accords économiques et commerciaux avec l’URSS dans les domaines énergétiques (pétrole et gaz), l’installation d’usines russes en Iran en plus de contrats d’armement ».

Le Chah a expliqué à Rabin sa démarche en faisant valoir que ce développement des rapports irano-soviétiques dans le domaine économique avait surpris les États-Unis. Mais qu’il avait pris cette décision afin d’inciter Moscou à « réfléchir quant à l’opportunité de poursuivre sa coopération avec l’Égypte et de mettre en balance les intérêts soviétiques tant en Iran qu’en Égypte ».10

Malheureusement pour le Chah, Moscou n’a pas prêté une grande attention aux propos du souverain iranien.

b)- La lettre du Roi Faysal d’Arabie au président Lyndon Johnson

Aux démarches du Chah d’Iran et du Roi Hussein de Jordanie se sont superposées celle du Roi Faysal d’Arabie Saoudite. Le souverain wahhabite a en effet adressé un message à Lyndon Johnson, en date du 23 novembre 1966, dans lequel il demandait au président américain de « suggérer » à Israël de « se livrer à une action militaire contre l’Égypte de Nasser ».

Épilogue

Le Chah d’Iran, l’un des plus farouches adversaires de Nasser, sera évincé du pouvoir en 1979 par une révolte populaire, l’année de la conclusion du traité de paix entre Israël et l’Égypte.

À la recherche d’un abri, l’Amérique refusera, paradoxalement, l’asile à son meilleur gendarme dans le Golfe. Au terme d’une longue errance, le Roi des Rois sera accueilli par l’Égypte, pays contre lequel il avait ardemment incité Israël d’attaquer. La République Islamique d’Iran proclamée à son éviction, compensera stratégiquement la défection de l’Égypte du champ de bataille contre Israël, du fait de sa conclusion d’un traité de paix avec l’État hébreu.

Le Roi Faysal d’Arabie Saoudite connaitra son heure de gloire en 1973, en activant l’arme du pétrole, non pas tant en soutien à l’effort de guerre arabe contre Israël, selon la version pétromonarchique, mais en vue de fragiliser les économies de l’Europe occidentale et du Japon face à l’économie américaine sinistrée par le gouffre financier représenté par la guerre du Vietnam (1958-1975). Faysal sera néanmoins, à son tour, assassiné en 1975, par son propre neveu, diplômé des universités américaines, illustrant par la même la corrosivité de « l’American Way of Fife » pour les bédouins du désert.

Anouar El Sadate, l’homme qui s’est appliqué à gommer l’héritage de son mentor Gamal Abdel Nasser accueillera, en grand seigneur, le monarque iranien déchu, – un mégalomane ayant pourtant vigoureusement incité Israël à attaquer militairement l’Égypte en lui infligeant une sévère défaite militaire. Mais celui qui s’est auto-proclamé « président musulman d’un pays musulman » en vue d’activer le levier islamiste pour neutraliser les laïcs d’Egypte – Nassériens et Communistes -, sera à son tour assassiné par… un néo islamiste.
 
Nec plus ultra, Yitzhak Rabin, l’ancien chef d’État-Major israélien de la guerre de Juin 1967, l’interlocuteur privilégié du Chah d’Iran, devenu premier ministre et cosignataire du Traité de paix avec l’Égypte de Sadate, sera, à son tour, assassiné par… un ultra sioniste.

Enfin, Le Roi Hussein de Jordanie, rompant la solidarité arabe au profit d’une connivence avec Israël, l’ennemi officiel du Monde arabe, organisera un bain de sang à Amman en septembre 1970 pour mater la guérilla palestinienne et assurer la survie du trône hachémite. Il traînera jusqu’à sa mort, au terme d’une longue maladie, en 2002, le qualificatif de « Boucher d’Amman ».

Son âme damnée, le premier ministre Wasfi Tall, sera assassiné en 1971, un an après le septembre noir jordanien, au Caire par substitution de son Roi.

Au terme de cette séquence, cinq des principaux protagonistes de ce drame, – tous alliés de premier plan des États Unis, dont deux Prix Nobel de la Paix (Rabin et Sadate) -, seront dégagés de manière violente de la scène publique, dont quatre assassinats, alors que la République islamique d’Iran se muait en chef de file du combat pour la libération de la Palestine et de la libération du Moyen orient de la tutelle israélo-américaine.

Quatre assassinats de grands pontes pro occidentaux (Fayçal, Sadate, Rabin Wasfi Tall)…

 
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