Yasmine, Adama, Salima, Laura et Sonia ont voulu porter le voile pendant leur adolescence. Leurs familles s’y sont opposées, par « volonté d’intégration », par peur pour leur carrière ou d’une éventuelle radicalisation. Elles racontent.
« Quand tu portes le voile, tu déçois tes proches », lâche Yasmine, le ton dur, au téléphone. « Je n’ai pas connu un moment où on m’a soutenu totalement. On est toute seule. » L’étudiante de 22 ans est d’un naturel déterminé. Elle a son mot à dire sur l’islamophobie en France, les chaînes d’info en continu, le rôle des politiques. Elle s’était d’ailleurs fendue d’un tweet pendant l’entre-deux tours en réaction, notamment, à une petite phrase mal placée d’Emmanuel Macron. En déplacement à Strasbourg, le président avait coupé une jeune femme qui l’interpellait sur le féminisme pour lui demander : « Je peux me permettre d’être indiscret ? Vous portez un voile par choix ou c’est imposé ? ». Yasmine avait réagi :« Dans mon entourage, j’ai plus d’exemples de femmes voilées contre l’avis de leurs proches, que de famille où ça se passe bien », explique Sonia (1), 23 ans, qui a eu du mal à gérer les réactions de son père quand elle lui a annoncé sa décision de porter le foulard. Adama, 33 ans, a également vécu une période compliquée avec ses proches :« Ils ne comprennent toujours pas que nos parents musulmans ne veulent pas qu’on porte le voile en France, et qu’on se bat pour le mettre pour la plupart d’entre nous. »
« On pense que nous sommes des femmes soumises, c’est tout le contraire. On s’est affirmées pour qu’on respecte notre choix. »
« Et ton avenir ? »
Laura se souvient très bien du jour où elle a pris son courage à deux mains pour annoncer la nouvelle à ses parents. Du haut de ses 16 ans, la lycéenne a décidé de porter le voile. Ce samedi soir, après avoir fait les cent pas dans sa chambre, la jeune fille descend dans la cuisine et se confie à sa mère. « Quelle bêtise tu me racontes ?! », lui rétorque-t-elle. La famille est pourtant d’origine kabyle. S’ils ne sont pas pratiquants, ils sont de culture musulmane. Mais l’annonce ne passe pas : « C’est un frein dans la société, tu montres clairement que tu ne veux pas t’intégrer. » « Tu ne vas pas trouver de travail. » « Tu vas louper ta jeunesse. » « Pourquoi tu voudrais mettre ça sur ta tête ? » Aujourd’hui âgée de 22 ans, Laura commente au téléphone, avec du recul :« Ma mère fait partie de cette génération qui est fière de s’être intégrée, de porter son tailleur, de se confondre dans la masse. Le foulard est une pratique régressive pour elle. »
Yasmine, elle, n’est pas passée par quatre chemins. « J’ai porté le voile et je suis sortie de chez moi. Je ne me sentais pas de faire un communiqué. » Elle est, elle aussi, en première au lycée quand elle décide d’aller un petit peu plus loin dans sa foi. Sa famille est pratiquante, mais a une mauvaise image du voile. « Mes tantes du côté de mon père étaient au bout de leur vie, comme si c’était sur leur tête ! » Pour elles, c’est foutu : Yasmine vient d’envoyer valser son avenir professionnel. « Je suis actuellement en master de droit des affaires, je ne me suis jamais fermé aucune porte, au contraire ! » Mais sa détermination, pourtant conséquente, n’est pas suffisante pour étouffer leurs reproches. Quand l’étudiante parle de ses recherches de stage, elles lui rétorquent avec dégoût : « Tu vas enlever ça quand même… ». « Les femmes se sont battues, nous on s’est battues, pour nos libertés. Et toi, tu portes le voile », lancent-elles un autre jour. « Des membres de ma famille m’ont retiré mon voile chez moi, contre mon gré. Sans violence, mais on me l’a retiré », raconte Yasmine touchée, qui confie :
« J’ai ressenti beaucoup de solitude. Pour eux, je ne suis qu’un voile, je ne suis plus une femme. Je ne suis pas ouverte d’esprit et je ne vis que pour ma religion. Mes grandes études, mes bons résultats, mon ambition, tout a été rayé. »