Le procès en appel de trois Tunisiens condamnés à trente ans de prison pour avoir fumé de la «zlata» aura lieu mardi, tandis que le débat sur la répression judiciaire et la légalisation du cannabis prend de l’ampleur.
Un été 2019 qui s’achève, trois amis sans le sou, un stade vétuste dans une région rurale du nord-ouest de la Tunisie, des joints qui circulent. Le moment de détente vire au drame pour Faycel J., Sameh A. et Salah J. quand des policiers les surprennent en flagrant délit. Ils passent plus d’un an en détention préventive avant d’être condamnés, le 20 janvier, à trente ans de prison. La juge a cumulé les peines maximales possibles prévues par la loi 52 qui criminalise le cannabis : consommation en bande (dix ans) et utilisation d’un espace public (vingt ans). L’audience en appel a lieu mardi.Le fait divers a tout du drame social classique. Avec près de 33% de taux de pauvreté (le second du pays), contre 15% au niveau national, le Kef est une région délaissée par l’Etat. Le stade Ben Jilani, où ont été appréhendés les jeunes Tunisiens, en est une preuve. Ses gradins de pierres déchaussées où l’herbe pousse entre les fissures et sa pelouse en champ de patates ne sont pas aux normes pour recevoir des matchs de football officiels. L’argument de l’espace public pour justifier la peine de trente ans révulse alors d’autant plus les proches des condamnés.
«Loi scélérate»
En outre, les profils de ces derniers un jeune de 21 ans tout juste sorti de formation professionnelle, un chômeur de 27 ans et le gardien du stade de 42 ans payé le minimum, prouvent, pour la société civile, l’acharnement des autorités contre les plus faibles. «Le profil type du condamné au nom de la loi 52 est un homme de 18-25 ans, chômeur ou ouvrier. Ils sont arrêtés sur délit de faciès», dénonce Lamine Benghazi, coordinateur à l’ONG Avocats sans frontières. Loin de ces considérations sociologiques, une mère d’un prévenu fait prosaïquement les comptes : «J’ai 50 ans, dans trente ans je serai morte. Je ne reverrai plus mon fils.»Mais ce n’est plus sur le terrain du misérabilisme que veulent se placer les contempteurs de la «loi scélérate». Les amateurs de cannabis tunisiens, comme ailleurs dans le monde, veulent renverser le scénario pour passer de victimes à protagonistes. Dorénavant, c’est dans les lieux de pouvoir qu’il faut commencer les histoires à base de THC.
En décembre 2020, l’ONU retire le cannabis du tableau IV des stupéfiants les plus dangereux. Des élus français s’interrogent sur la politique du tout-répressif, comme Libération l’a rappelé en une en février. La Tunisie suit le mouvement. Le Premier ministre, Hichem Mechichi, en recherche de popularité auprès d’une jeunesse en colère, réfléchit à un moratoire pour supprimer l’emprisonnement.