kamomille
VIB
Par Ayla Mrabet
et Youssef Aït akdim
symbole. Mohamed Choukri, écrivain emblématique des déchirements et des contradictions du Maroc den bas.(lUIS DE VEGA HERNANDEZ)
Dans un contexte social et politique explosif, le Maroc de lindépendance a produit des auteurs (Choukri, Khoury, Khaïr-Eddine, Zaf-Zaf) qui écrivaient vrai. Iconoclastes, parfois provocateurs, toujours inspirés, ils parlaient de leur Maroc à une élite qui le snobait. Ecrivains maudits, ils trempaient leur plume dans la sueur de la terre et le sang de ses enfants. Si lon veut aujourd'hui leur dresser des statues, c'est qu'ils ont longtemps été pestiférés. Retour sur une génération et ses guérilleros de lécriture.
A lautomne dernier, dès la fin ramadan, une polémique littéraire enflait doucement dans le plus beau pays du monde. Dans le box des accusés : Mohamed Zaf-Zaf, ou plutôt un de ses romans (Tentative de vie), jugé trop indécent pour être enseigné à des collégiens. Dans un premier temps, les procureurs ont monopolisé la parole, sûrs de leur fait. Ils tenaient le coupable idéal. Un romancier et nouvelliste mort, enterré depuis huit ans. En fait, larchétype de lhomme de mauvaise vie. Cest bien connu, pense lidiot du village, il écrivait sur des bouts de table, entre les clients des bars et les prostituées. Cest entendu, insiste le simple d'esprit, cette littérature est honteuse, elle ne sied pas à un programme scolaire. En note de bas de page du deuxième volet de son récit autobiographique, Le temps des erreurs, Mohamed Choukri donne une tout autre indication : Jai écrit certains chapitres de mes livres, y compris Le Pain nu et celui-ci, dans les cimetières juifs, chrétiens et musulmans du XIXème siècle. Je my sens plus inspiré quailleurs. Et puis, jaime la mort surannée. Entre ces deux versions du mythe, il est permis dhésiter.
Un goût de soufre
Si Choukri a longtemps été poursuivi par la malédiction du Pain nu cest, expliquait-il, que dans le Tiers-Monde, lécriture protestataire et documentaire domine. La société marocaine se cherchait, après lindépendance, des jalons sur une route que les intellectuels pensaient pleine despoirs. Cette tâche, cest celle de lécrivain. Une génération la saisie, et Choukri fut l'un de ses porte-parole : Nous étions à la recherche dune identité qui na pas encore été écrite par lhistoire officielle : lhistoire des rois. Lhistoire de la société et de ses changements, seuls les écrivains, les artistes et les penseurs peuvent lécrire. Pourtant, une écriture existait déjà, qui nallait pas aussi loin que celle des Choukri, Zaf-Zaf, Khaïr-Eddine. Daprès Saïd Afoulous, la génération des écrivains maudits a réconcilié le roman avec la société, à lheure où la scène était trustée par les récits denfances andalouses et les romans orientalistes. Avant dêtre admise, et même célébrée, la rupture fait toujours scandale.
Aujourdhui encore - les détracteurs du livre de Zaf-Zaf se font fort de le rappeler - les collégiens ont la joie de lire, au programme, La Boîte à merveilles dAhmed Sefrioui, roman-phare de lautobiographie fassie, quand ce nest pas le classique Passé enterré du leader istiqlalien Abdelkrim Ghellab. Cette littérature a fait son temps. Elle aura servi à perpétuer les mythes de la lutte nationale, assurant la domination dune certaine élite intellectuelle. Mais les exemples français et américain sont là. Le roman sest libéré jusque dans lOrient arabe, où il fait déjà scandale avec Naguib Mahfouz. La pression du lectorat finit par payer. Quand il publie, en 1985, Tentative de vie, Zaf-Zaf, le romancier du Maârif, est dans lair du temps. Son récit du périple de Hamid, le jeune vendeur de journaux des bas-fonds de Kénitra, colle parfaitement à lactualité sociale et politique du royaume. Décrire, témoigner, ces plumes cultivaient lobsession du parler vrai.
et Youssef Aït akdim
symbole. Mohamed Choukri, écrivain emblématique des déchirements et des contradictions du Maroc den bas.(lUIS DE VEGA HERNANDEZ)
Dans un contexte social et politique explosif, le Maroc de lindépendance a produit des auteurs (Choukri, Khoury, Khaïr-Eddine, Zaf-Zaf) qui écrivaient vrai. Iconoclastes, parfois provocateurs, toujours inspirés, ils parlaient de leur Maroc à une élite qui le snobait. Ecrivains maudits, ils trempaient leur plume dans la sueur de la terre et le sang de ses enfants. Si lon veut aujourd'hui leur dresser des statues, c'est qu'ils ont longtemps été pestiférés. Retour sur une génération et ses guérilleros de lécriture.
A lautomne dernier, dès la fin ramadan, une polémique littéraire enflait doucement dans le plus beau pays du monde. Dans le box des accusés : Mohamed Zaf-Zaf, ou plutôt un de ses romans (Tentative de vie), jugé trop indécent pour être enseigné à des collégiens. Dans un premier temps, les procureurs ont monopolisé la parole, sûrs de leur fait. Ils tenaient le coupable idéal. Un romancier et nouvelliste mort, enterré depuis huit ans. En fait, larchétype de lhomme de mauvaise vie. Cest bien connu, pense lidiot du village, il écrivait sur des bouts de table, entre les clients des bars et les prostituées. Cest entendu, insiste le simple d'esprit, cette littérature est honteuse, elle ne sied pas à un programme scolaire. En note de bas de page du deuxième volet de son récit autobiographique, Le temps des erreurs, Mohamed Choukri donne une tout autre indication : Jai écrit certains chapitres de mes livres, y compris Le Pain nu et celui-ci, dans les cimetières juifs, chrétiens et musulmans du XIXème siècle. Je my sens plus inspiré quailleurs. Et puis, jaime la mort surannée. Entre ces deux versions du mythe, il est permis dhésiter.
Un goût de soufre
Si Choukri a longtemps été poursuivi par la malédiction du Pain nu cest, expliquait-il, que dans le Tiers-Monde, lécriture protestataire et documentaire domine. La société marocaine se cherchait, après lindépendance, des jalons sur une route que les intellectuels pensaient pleine despoirs. Cette tâche, cest celle de lécrivain. Une génération la saisie, et Choukri fut l'un de ses porte-parole : Nous étions à la recherche dune identité qui na pas encore été écrite par lhistoire officielle : lhistoire des rois. Lhistoire de la société et de ses changements, seuls les écrivains, les artistes et les penseurs peuvent lécrire. Pourtant, une écriture existait déjà, qui nallait pas aussi loin que celle des Choukri, Zaf-Zaf, Khaïr-Eddine. Daprès Saïd Afoulous, la génération des écrivains maudits a réconcilié le roman avec la société, à lheure où la scène était trustée par les récits denfances andalouses et les romans orientalistes. Avant dêtre admise, et même célébrée, la rupture fait toujours scandale.
Aujourdhui encore - les détracteurs du livre de Zaf-Zaf se font fort de le rappeler - les collégiens ont la joie de lire, au programme, La Boîte à merveilles dAhmed Sefrioui, roman-phare de lautobiographie fassie, quand ce nest pas le classique Passé enterré du leader istiqlalien Abdelkrim Ghellab. Cette littérature a fait son temps. Elle aura servi à perpétuer les mythes de la lutte nationale, assurant la domination dune certaine élite intellectuelle. Mais les exemples français et américain sont là. Le roman sest libéré jusque dans lOrient arabe, où il fait déjà scandale avec Naguib Mahfouz. La pression du lectorat finit par payer. Quand il publie, en 1985, Tentative de vie, Zaf-Zaf, le romancier du Maârif, est dans lair du temps. Son récit du périple de Hamid, le jeune vendeur de journaux des bas-fonds de Kénitra, colle parfaitement à lactualité sociale et politique du royaume. Décrire, témoigner, ces plumes cultivaient lobsession du parler vrai.