Entre ma mère et ma nourrice, je choisis ma mère et ma nourrice

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J'aime bien cet article, ça change des histoires tristes...

C'est l'histoire d'un père absent, d'une mère battante, d'une nourrice aimante, et d'un bébé innocent. Seule avec un enfant à charge, compte vidé, très peu de famille, obligée de travailler dur, de faire des heures sup’ : ma mère se résigna à me mettre chez une nourrice. J'avais donc neuf mois, quand j'ai atterri dans ce cocon douillet, dans ce nid d'amour que je regrette d'avoir dû quitter. J’y passai toutes mes journées depuis l'époque des couches jusqu'à mes premières dents de lait.

Ma nourrice avait pris l’habitude de me parler dans son dialecte, de me bercer dans son dialecte... Elle m'allaitait avec douceur, chose qu'elle n'a partagée qu'avec moi et ses enfants, ce qui fait de nous, des frères et sœurs de lait. Enfant unique issu d’une famille bizarre, je me suis éprise d'amour pour cette deuxième maman. J'ai grandi depuis mais nous avons toujours su garder ce lien spécial que je ne saurais décrire.

A la maison, avec ma mère, c'est plutôt peace and love. Elle est venue en France, à Bobigny, quand elle avait à 10 ans, elle s'est imprégnée du mode de vie français, sur ordre de la grand-mamé qui voulait à tout prix que ses filles s'intègrent, et passent inaperçues. Eh bien c'est réussi : plus une trace de Madagascar dans notre maison, si ce n'est quelques bibelots africains. Ma mère en a perdu sa langue, sa culture et tous ses souvenirs puisqu'on lui a demandé bêtement de les oublier. Plus une trace de cette enfance qu'elle a pourtant tant chérie...

Quand elle est là, c'est ambiance Francis Cabrel au bercail, elle fait couiner les enceintes de son iPod dans sa chambre... 20h10, c'est le rendez-vous « Plus belle la vie », à ne pas rater ! Et en soirée, c'est « NCIS », « Les experts », « New York police judiciaire » et tout ce qui s'ensuit. Côté look, ma mère c'est un mélange de Promod, Fabio Lucci, Etam, style bohème... Une working girl. Je lui dois quand même tout, car j'ai bien vu qu’être seule, pour elle, ça n'était pas toujours facile.

Chez ma Nounou, que j'ai surnommée « tata », c'est « pose-toi sur le sedari et mets la main à la pâte ! ». Et à peine ai-je ôté mes chaussures à l’entrée, c'est épluchages de felfel (piments), tmatem (tomate), ou batata (pommes de terre) et petit détour par la cuisine où la grande sœur fait la folle en surveillant du mouloukhia ou des pâtes ; tout ça sur un air de mezoued (musique tunisienne ). Et ça chtah (danse) tout le temps, comme s’il n’y avait jamais aucune raison d'être triste.
 
Parfois, quand je passe le seuil de la porte, je retrouve des voisines du quartier, qui sont toujours surprises de me revoir. Elles envient ma tante, car on est toujours restée proches malgré les années qui ont passé. A chaque fois qu'on se voit, c'est le même doux refrain : « Woulala, comment t'y as grandi », puis s'adressant à ma tante : « J'te jure t'as de la chance, ta fille elle est toujours auprès de toi, moi ceux que j'ai gardés, je me suis attachée à eux, vraiment ça m'a fait un déchirement quand ils sont partis, et... ils ne sont jamais revenus. »

Bref, à la Butte Verte, à Noisy-le-Grand, mon « quartier-mère » si je puis dire, je retrouve la face discrète des cités, avec les dîners des voisines de palier, qui mettent tout en œuvre comme dans « Un dîner presque parfait ». Et l'ambiance y est, c'est sénégalo-porto-maghrebin, un melting-pot qui m'a manqué lorsque j'ai déménagé dans une cité déserte, que j'ai heureusement quitté.

Le soir, c'est rendez-vous sur TV7 Tunisie, avec la fameuse série « Mektoub » vers les coups de 20h00-21h00. Si ce n'est pas la télé, c'est grand débat, sur les nouvelles du bled. Ça me fait penser à mon père. Lui, c'est la Côte-d'Ivoire, territoire dont je ne connais d'ailleurs que le nom, que l'ont m'a soufflée lorsque c'était la « crise identitaire ». Longtemps j'ai cherché à le nier, rien ne me liait à tout ça, parce que des deux côtés, paternel ou maternel, j'avais le sentiment de ne pas être à ma place.

Physiquement, je me suis bien rendu compte que je n’avais rien à voir avec le profil « français », donc tout cela m'a poussée très tôt à chercher le pourquoi du comment de toute chose. J'ai en mémoire la période de 7 à 10 ans, où je faisais la folle partout où j'allais. Extravertie, j'étais la coqueluche des soirées maghrébines, où ma nourrice m'emmenait. Aujourd'hui je n’en reviens pas, car je suis très réservée, c'est parfois même si j'ose parler.

Pendant un mois et demi, j'y suis partie. Où ça ? Dans cette fameuse Tunisie, dont on me parle depuis que je suis petite. J'ai été en relation avec la famille de ma tata, dès que j'ai appris à parler et ce, par téléphone. Moi qui n'ai connu que les montagnes et les campagnes de France. Et la Tunisie. Si petite, mais si belle, j'ai été surprise de voir tout ce bonheur immatériel, toutes ces connexions familiales qui ne me sont pas familières. Ça a changé ma vie, du moins ma vision des choses. Là-bas, je n’ai pas fréquenté les hammams, ou les grandes villes, ou les grands marchés. J’étais plus plage, où je me rendais compte de l’immensité du monde, et j’aidais les mamas au cœur de pèlerines.

Malgré les différences de culture, ma mère et ma tante s'entendent très bien, comme de vieilles amies, elles se ressemblent plus qu'elles ne le pensent. Elles ont toutes les deux cette vieille pudeur traditionnelle. Elles sont toutes les deux humbles et fières, généreuses, et bonnes vivantes. Elles n'élèvent jamais la voix, ne lavent jamais leur linge sale en public. A elles d'eux, elles soulèveraient les montagnes tant elles sont dignes et fortes. Inconsciemment, j'ai cru que je devais choisir un camp : être en mode français, en mode arabe ou en mode africain... Avec le temps, j'ai compris que j'avais en moi un peu des trois et que je n’avais aucune raison d’être plus l'un ou plus l'autre, car c'est un détail qui n'appartient qu'à moi.

Silvia Sélima Angenor

http://yahoo.bondyblog.fr/news/2010...ma-nourrice-je-choisis-ma-mere-et-ma-nourrice
 
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