mardi 29 septembre 2009 - 06h:40
Alain Gresh
Le Monde diplomatique
Le 24 septembre, lInternational Herald Tribune publiait un article sur la situation de lélectricité en Irak (« Iraqs economic development minefield », par Steven Lee Myers).
Le journaliste montre le délabrement de léquipement électrique dans ce pays, et les difficultés de sa remise à niveau. Une phrase et un oubli mont fait bondir. « Les industries étatiques qui dominent léconomie irakienne sont aussi pléthoriques et inefficaces quelles létaient sous Saddam Hussein, peut-être même plus. » Et comme solution, le texte, bien évidemment, défend la privatisation...
Il ne mentionne pourtant pas un fait majeur : que lindustrie électrique irakienne fonctionnait relativement bien avant 1990, et que les coupures délectricité étaient alors rares. En réalité, sa destruction a été le résultat de la première guerre dIrak (1991) - et, surtout, de la terrible politique de sanctions imposées par les Etats-Unis et leurs alliés dont la France (lire « Des sanctions qui tuent », par Denis Halliday, Le Monde diplomatique, janvier 1999). Cette politique a été à lorigine de la destruction de lEtat irakien durant les années 1990 et explique son effondrement lors de linvasion américaine de 2003. La plupart des responsables et commentateurs occidentaux le reconnaissent aujourdhui et, pourtant, ce fait a disparu de nos mémoires.
Nous nous souvenons, à juste titre, des crimes de Saddam Hussein, pas des crimes commis par les alliés. Qui paiera pour linvasion et la destruction de lIrak depuis 2003 ? Nombre de gouvernements réclament des sanctions contre Kadhafi ou Ahmadinejad ; lesquels en ont fait de même pour le président Bush, qui porte la responsabilité de la destruction dun pays et de dizaines de milliers de morts ?
Pour éviter les malentendus, je pense que Saddam Hussein et Kadhafi sont des dictateurs et, comme je lai écrit ici, quAhmadinejad a truqué lélection présidentielle de juin. Mais les crimes commis par un leader élu démocratiquement sont-ils moins terribles pour ses victimes ? Et la destruction de tout un pays est-il un crime moindre ?
Ce qui se passe à Gaza, par exemple. Indépendamment de ce que lon peut penser du Hamas (et de ses atteintes aux droits individuels, à ceux des femmes ou à ceux des opposants), comment expliquer le silence sur létranglement de ce petit territoire, de létranglement de sa population, du fait que la rentrée des classes sest faite dans des conditions épouvantables ? Pas un mot des gouvernements européens, pas un geste... Les médias sintéressent à ce territoire quand il sagit de savoir si le Hamas impose le foulard aux jeunes filles dans les écoles ! « Nous » avons oublié Gaza.
En Europe et aux Etats-Unis, nous tournons la page des massacres que nous commettons avec une grande facilité. On parle beaucoup de la repentance, mais on ne la voit nulle part. Les Etats-Unis ont voulu ramener le Vietnam à lâge de pierre dans les années 1960 ; lagent orange, un puissant défoliant, a été déversé massivement sur pays et continue, plus de trente ans après, à tuer et à mutiler des milliers de personnes, qui sen soucie ? Les plaignants vietnamiens ont été déboutés devant des tribunaux américains (lire « Au Vietnam, lagent orange tue encore », par Francis Gendreau, janvier 2006). En revanche, les victimes américaines dattentats terroristes commises à létranger obtiennent des tribunaux américains dimportantes indemnisations.
Nelson Mandela est devenu une icône reçue dans le monde entier. A écouter les dirigeants américains ou français (et aussi les médias), on peut croire que les Etats-Unis ou la France ont été toujours contre le régime de lapartheid. Il nen est rien. Dans les années 1970, Henry Kissinger organisait la coopération avec Pretoria pour combattre le terrorisme (lire « Regards sud-africains sur la Palestine », août 2009) et le président Valery Giscard dEstaing soutenait activement lAfrique du Sud. Tout cela, bien sûr, au nom de la lutte contre le communisme. Nous avons ainsi longuement contribué à la survie dun régime raciste (alors que lUnion soviétique et Cuba étaient du bon côté !). Si cela est oublié dans les capitales occidentales, cela ne lest pas à Pretoria où, malgré les pressions, se maintient une solidarité tant avec les Palestiniens quavec les peuples dAmérique latine.
De nombreux crimes sont commis dans les pays du Sud. De nombreuses atteintes aux droits de la personne aussi. Mais « nous » les voyons quand cela nous arrange. Nicolas Sarkozy dénonce le trucage de lélection en Iran, mais il le fait depuis le... Gabon ! Enfin, il a fallu bien des efforts pour que la France reconnaisse que les élections en Afghanistan ont été truquées ; en revanche, elle reste silencieuse sur ce qui se passe en Tunisie.
Alain Gresh
Le Monde diplomatique
Le 24 septembre, lInternational Herald Tribune publiait un article sur la situation de lélectricité en Irak (« Iraqs economic development minefield », par Steven Lee Myers).
Le journaliste montre le délabrement de léquipement électrique dans ce pays, et les difficultés de sa remise à niveau. Une phrase et un oubli mont fait bondir. « Les industries étatiques qui dominent léconomie irakienne sont aussi pléthoriques et inefficaces quelles létaient sous Saddam Hussein, peut-être même plus. » Et comme solution, le texte, bien évidemment, défend la privatisation...
Il ne mentionne pourtant pas un fait majeur : que lindustrie électrique irakienne fonctionnait relativement bien avant 1990, et que les coupures délectricité étaient alors rares. En réalité, sa destruction a été le résultat de la première guerre dIrak (1991) - et, surtout, de la terrible politique de sanctions imposées par les Etats-Unis et leurs alliés dont la France (lire « Des sanctions qui tuent », par Denis Halliday, Le Monde diplomatique, janvier 1999). Cette politique a été à lorigine de la destruction de lEtat irakien durant les années 1990 et explique son effondrement lors de linvasion américaine de 2003. La plupart des responsables et commentateurs occidentaux le reconnaissent aujourdhui et, pourtant, ce fait a disparu de nos mémoires.
Nous nous souvenons, à juste titre, des crimes de Saddam Hussein, pas des crimes commis par les alliés. Qui paiera pour linvasion et la destruction de lIrak depuis 2003 ? Nombre de gouvernements réclament des sanctions contre Kadhafi ou Ahmadinejad ; lesquels en ont fait de même pour le président Bush, qui porte la responsabilité de la destruction dun pays et de dizaines de milliers de morts ?
Pour éviter les malentendus, je pense que Saddam Hussein et Kadhafi sont des dictateurs et, comme je lai écrit ici, quAhmadinejad a truqué lélection présidentielle de juin. Mais les crimes commis par un leader élu démocratiquement sont-ils moins terribles pour ses victimes ? Et la destruction de tout un pays est-il un crime moindre ?
Ce qui se passe à Gaza, par exemple. Indépendamment de ce que lon peut penser du Hamas (et de ses atteintes aux droits individuels, à ceux des femmes ou à ceux des opposants), comment expliquer le silence sur létranglement de ce petit territoire, de létranglement de sa population, du fait que la rentrée des classes sest faite dans des conditions épouvantables ? Pas un mot des gouvernements européens, pas un geste... Les médias sintéressent à ce territoire quand il sagit de savoir si le Hamas impose le foulard aux jeunes filles dans les écoles ! « Nous » avons oublié Gaza.
En Europe et aux Etats-Unis, nous tournons la page des massacres que nous commettons avec une grande facilité. On parle beaucoup de la repentance, mais on ne la voit nulle part. Les Etats-Unis ont voulu ramener le Vietnam à lâge de pierre dans les années 1960 ; lagent orange, un puissant défoliant, a été déversé massivement sur pays et continue, plus de trente ans après, à tuer et à mutiler des milliers de personnes, qui sen soucie ? Les plaignants vietnamiens ont été déboutés devant des tribunaux américains (lire « Au Vietnam, lagent orange tue encore », par Francis Gendreau, janvier 2006). En revanche, les victimes américaines dattentats terroristes commises à létranger obtiennent des tribunaux américains dimportantes indemnisations.
Nelson Mandela est devenu une icône reçue dans le monde entier. A écouter les dirigeants américains ou français (et aussi les médias), on peut croire que les Etats-Unis ou la France ont été toujours contre le régime de lapartheid. Il nen est rien. Dans les années 1970, Henry Kissinger organisait la coopération avec Pretoria pour combattre le terrorisme (lire « Regards sud-africains sur la Palestine », août 2009) et le président Valery Giscard dEstaing soutenait activement lAfrique du Sud. Tout cela, bien sûr, au nom de la lutte contre le communisme. Nous avons ainsi longuement contribué à la survie dun régime raciste (alors que lUnion soviétique et Cuba étaient du bon côté !). Si cela est oublié dans les capitales occidentales, cela ne lest pas à Pretoria où, malgré les pressions, se maintient une solidarité tant avec les Palestiniens quavec les peuples dAmérique latine.
De nombreux crimes sont commis dans les pays du Sud. De nombreuses atteintes aux droits de la personne aussi. Mais « nous » les voyons quand cela nous arrange. Nicolas Sarkozy dénonce le trucage de lélection en Iran, mais il le fait depuis le... Gabon ! Enfin, il a fallu bien des efforts pour que la France reconnaisse que les élections en Afghanistan ont été truquées ; en revanche, elle reste silencieuse sur ce qui se passe en Tunisie.