"Après plus de trois décennies à El País, je quitte le journal suite à des désaccords avec la direction : elle ne m’a pas soutenu depuis que le Premier ministre du Maroc a porté plainte contre moi pour apologie du terrorisme."
C’est sur cette déclaration laconique que, la semaine dernière, le journaliste espagnol connu pour son "anti-marocanisme" , IGNACIO CEMBRERO a tiré sa révérence au plus prestigieux quotidien espagnol,"El Pais", en prenant à témoin toute la profession.
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La démission de ce reporter historique, sans aucun doute l’un des meilleurs spécialistes du Maghreb, constitue un désaveu cinglant pour El País, journal qui s’est toujours targué d’être indépendant à l’égard des pouvoirs en place.
Joint par Libération, Ignacio Cembrero, meurtri par un long feuilleton diplomatico-judiciaire, s’est à peine remis du choc : «Je n’aurais pas pensé que ma carrière puisse se terminer de cette façon-là. Je me considère trahi par la direction sortante de mon journal» - début mai, une nouvelle direction a pris les manettes.
Grabuge.
Pour comprendre cette démission, il faut remonter à l’automne.
Quand le journaliste marocain Ali Anouzla, du site arabophone Lakome, est emprisonné pour avoir hébergé sur son journal en ligne une vidéo polémique.
Celle-ci, signée Al-Andalus - une sorte de maison de production d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) -, dénonce «la corruption et le népotisme» au Maroc, tout en menaçant ouvertement le roi Mohammed VI.
Peu avant, le reporter d’El País avait publié ces images sur son blog Orilla Sur («Rive sud»), tout en précisant alors, comme Ali Anouzla, qu’il s’agissait d’une «propagande jihadiste».
Histoire, bien entendu, de prendre ses distances.
«Dans l’article qui accompagnait cette vidéo, rappelle-t-il aujourd’hui, j’ai aussi souligné les mérites des forces de sécurité marocaines et la légitimité supérieure de la monarchie chérifienne comparée aux régimes voisins.»
Quatre jours plus tard, le 17 septembre, le journaliste, voyant que la vidéo fait du grabuge, décide de lui-même de la retirer de son blog - alors qu’elle est toujours visible sur beaucoup d’autres sites, jamais inquiétés.
Quoi qu’il en soit, Rabat veut la peau du reporter.
(...)
Dès l’automne, des pressions s’exercent au plus haut niveau sur la direction d’El País, via le gouvernement conservateur de Rajoy, pour mettre le reporter hors d’état de nuire.
Fin décembre, celles-ci se font plus insistantes.
«Durant tout ce temps, et jusqu’à aujourd’hui, raconte Ignacio Cembrero, j’ai pu relater l’affaire sur mon blog [qui apparaît dans la version web d’El País, ndlr], mais mon journal ne m’a pas laissé écrire une ligne, sans jamais m’en expliquer les raisons. Ni même sur les déboires de mon confrère Ali Anouzla.»
Parallèlement, une plainte officielle déposée par le Premier ministre marocain, Abdelilah Benkirane, parvient à la mi-janvier sur le bureau du procureur de l’Audience nationale, à Madrid, la principale instance pénale espagnole.
Chef d’accusation : «apologie du terrorisme».
C’est la fameuse vidéo qui est en cause.
Le journaliste risque gros, même si aujourd’hui, de bonne source judiciaire, voyant que la plainte ne tient pas la route, le dossier devrait être classé d’ici peu.
Mais, à El País, l’affaire n’en reste pas là.
En février, la direction mute sans explications Ignacio Cembrero au Domingo, le supplément dominical.
«En fait, j’aurais pu aller où je voulais, mais il n’était plus question que je continue à couvrir le Maroc que je suis de près depuis quatorze ans»,explique l’intéressé, entré à El País en 1979.
En mars, dans une lettre à ses «amis maghrébins», il rend public son sort : «Merci pour toutes les infos, les impressions et les réflexions que vous m’avez transmises tout au long de ces années et qui m’ont tant aidé à faire mon boulot de journaliste.»
Lobby.
Cette mise au placard déconcerte ce reporter qui parle un français parfait et dispose de précieux contacts dans tout le Maroc.
A lui et aux journalistes ayant interrogé la direction d’El País sur cette brusque décision, celle-ci répond en se réfugiant derrière des explications confuses : «Un changement normal», «une décision interne» qui n’a pas besoin d’«être expliquée à l’extérieur».
La société des rédacteurs du journal reproche à la direction de se coucher face aux pressions : «Le message envoyé à Rabat est terrible : tout journaliste qui dénonce le pouvoir marocain sera puni et mis à l’écart.»
Suite et source :
http://ecrans.liberation.fr/ecrans/2014/05/07/face-au-roi-du-maroc-el-pais-abdique_1012695
C’est sur cette déclaration laconique que, la semaine dernière, le journaliste espagnol connu pour son "anti-marocanisme" , IGNACIO CEMBRERO a tiré sa révérence au plus prestigieux quotidien espagnol,"El Pais", en prenant à témoin toute la profession.
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La démission de ce reporter historique, sans aucun doute l’un des meilleurs spécialistes du Maghreb, constitue un désaveu cinglant pour El País, journal qui s’est toujours targué d’être indépendant à l’égard des pouvoirs en place.
Joint par Libération, Ignacio Cembrero, meurtri par un long feuilleton diplomatico-judiciaire, s’est à peine remis du choc : «Je n’aurais pas pensé que ma carrière puisse se terminer de cette façon-là. Je me considère trahi par la direction sortante de mon journal» - début mai, une nouvelle direction a pris les manettes.
Grabuge.
Pour comprendre cette démission, il faut remonter à l’automne.
Quand le journaliste marocain Ali Anouzla, du site arabophone Lakome, est emprisonné pour avoir hébergé sur son journal en ligne une vidéo polémique.
Celle-ci, signée Al-Andalus - une sorte de maison de production d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) -, dénonce «la corruption et le népotisme» au Maroc, tout en menaçant ouvertement le roi Mohammed VI.
Peu avant, le reporter d’El País avait publié ces images sur son blog Orilla Sur («Rive sud»), tout en précisant alors, comme Ali Anouzla, qu’il s’agissait d’une «propagande jihadiste».
Histoire, bien entendu, de prendre ses distances.
«Dans l’article qui accompagnait cette vidéo, rappelle-t-il aujourd’hui, j’ai aussi souligné les mérites des forces de sécurité marocaines et la légitimité supérieure de la monarchie chérifienne comparée aux régimes voisins.»
Quatre jours plus tard, le 17 septembre, le journaliste, voyant que la vidéo fait du grabuge, décide de lui-même de la retirer de son blog - alors qu’elle est toujours visible sur beaucoup d’autres sites, jamais inquiétés.
Quoi qu’il en soit, Rabat veut la peau du reporter.
(...)
Dès l’automne, des pressions s’exercent au plus haut niveau sur la direction d’El País, via le gouvernement conservateur de Rajoy, pour mettre le reporter hors d’état de nuire.
Fin décembre, celles-ci se font plus insistantes.
«Durant tout ce temps, et jusqu’à aujourd’hui, raconte Ignacio Cembrero, j’ai pu relater l’affaire sur mon blog [qui apparaît dans la version web d’El País, ndlr], mais mon journal ne m’a pas laissé écrire une ligne, sans jamais m’en expliquer les raisons. Ni même sur les déboires de mon confrère Ali Anouzla.»
Parallèlement, une plainte officielle déposée par le Premier ministre marocain, Abdelilah Benkirane, parvient à la mi-janvier sur le bureau du procureur de l’Audience nationale, à Madrid, la principale instance pénale espagnole.
Chef d’accusation : «apologie du terrorisme».
C’est la fameuse vidéo qui est en cause.
Le journaliste risque gros, même si aujourd’hui, de bonne source judiciaire, voyant que la plainte ne tient pas la route, le dossier devrait être classé d’ici peu.
Mais, à El País, l’affaire n’en reste pas là.
En février, la direction mute sans explications Ignacio Cembrero au Domingo, le supplément dominical.
«En fait, j’aurais pu aller où je voulais, mais il n’était plus question que je continue à couvrir le Maroc que je suis de près depuis quatorze ans»,explique l’intéressé, entré à El País en 1979.
En mars, dans une lettre à ses «amis maghrébins», il rend public son sort : «Merci pour toutes les infos, les impressions et les réflexions que vous m’avez transmises tout au long de ces années et qui m’ont tant aidé à faire mon boulot de journaliste.»
Lobby.
Cette mise au placard déconcerte ce reporter qui parle un français parfait et dispose de précieux contacts dans tout le Maroc.
A lui et aux journalistes ayant interrogé la direction d’El País sur cette brusque décision, celle-ci répond en se réfugiant derrière des explications confuses : «Un changement normal», «une décision interne» qui n’a pas besoin d’«être expliquée à l’extérieur».
La société des rédacteurs du journal reproche à la direction de se coucher face aux pressions : «Le message envoyé à Rabat est terrible : tout journaliste qui dénonce le pouvoir marocain sera puni et mis à l’écart.»
Suite et source :
http://ecrans.liberation.fr/ecrans/2014/05/07/face-au-roi-du-maroc-el-pais-abdique_1012695