Belgo-marocaine et diplômée en Anthropologie, Fadila Maaroufi est aussi éducatrice de rue. Pendant 15 ans, elle a travaillé dans plusieurs quartiers bruxellois défavorisés. Depuis 2016, elle anime séminaires et conférences sur le thème de la radicalisation. Pour combattre ce qu’elle nomme « l’islam politique ». Quel regard porte-t-elle sur le radicalisme islamique ? Entretien.
Quand et comment avez-vous constaté ce phénomène de radicalisation de la pratique de l’islam ?
A la fin des années 80, je me souviens que les familles d’origine maghrébine étaient peu regardantes sur la pratique religieuse, tout le monde ne priait pas par exemple. Durant le ramadan, beaucoup mangeaient en cachette dans un coin discret au Mc Do. D’autres consommaient de l’alcool ou mangeaient un cervelas. Durant 50 ans, l’islam politique des frères musulmans et le wahhabisme s’est de plus en plus imposé à Bruxelles. La majorité des musulmans n’en avait pas conscience. A Bruxelles, la plupart des personnes d’origines maghrébine sont rifaines (région du Maroc). Nous parlions le berbère dans nos familles, mais entre nous, les enfants, nous parlions français. L’honneur et la loyauté sont également des valeurs familiales très importantes. Ce qui en soi n’est pas négatif ! Cela devenait problématique lorsque, par exemple, on mariait de force une fille pour sauver l’honneur de la famille...
De quelle manière les islamistes parviennent-ils à leur fin ?
Ils utilisent la loyauté pour créer une fracture, une séparation entre les croyants et les non croyants. Quand j’étais jeune nous nous demandions souvent si nous étions Belges ou Marocains ? Nous ne comprenions pas : lorsque nous allions au Maroc, les Marocains nous disaient que nous étions des étrangers ! Et en Belgique, nous étions des Marocains ayant une autre culture. Nous étions donc en recherche d’une identité. Petit à petit, beaucoup de jeunes ne sont plus vus comme Marocains ou Belges mais comme des musulmans. L’identité musulmane a été mise en avant par les islamistes qui répétaient que tous les musulmans sont des frères et sœurs en islam. S’appuyant sur la fierté berbère et la loyauté qui tient une place primordiale, les islamistes les ont utilisés pour nous rassembler et se sentir solidaires en tant que communauté religieuse. J’entendais très souvent des jeunes dirent : « un musulman ne pouvait pas voler un autre musulman ». En revanche, nous ne risquions pas d’aller en enfer si nous volions un mécréant.
Pourquoi certaines filles musulmanes portent-elles un voile ?
Certaines ont commencé à porter le voile pour acquérir un peu de liberté. Si elles se montraient pieuses alors elles pouvaient sortir seules et les garçons respectaient les filles voilées. Celles qui sortaient seules et sans voile, se faisaient siffler, harceler par les garçons. Tandis que celles qui se montraient trop intéressées par les garçons ou se montraient un peu plus « libres » étaient mariées de force à un cousin pendant les vacances au Maroc. Les garçons, eux, vivaient librement dans les rues pendant que les filles étaient assignées à résidence. Quand les frères rentraient, elles devaient leur obéir car les garçons étaient considérés comme des seconds chefs de famille. Avec pour missions de surveiller leurs sœurs (afin de préserver leur virginité) et de protéger leurs mères. Moi, j’étais l’aînée et j’ai appris à me battre contre les garçons. J’avais d’autres projets que ceux qu’on voulait m’imposer (mariée, femme au foyer, avec enfants). D’autres jeunes avaient des rêves comme, par exemple, ce camarade de classe qui voulait dessiner des BD. Mais puisque c’était « haram », ses yeux se sont éteints. Voilà comment j’ai vu le radicalisme, chez mes camarades et chez d’autres jeunes, se profiler au fil du temps. Des yeux éteints ou un visage souriant faire place à un visage sombre. Ceux qui me saluaient avant avec respect et un large sourire baissaient désormais la tête : je n’étais plus une personne mais un “objet interdit”...
Quand et comment avez-vous constaté ce phénomène de radicalisation de la pratique de l’islam ?
A la fin des années 80, je me souviens que les familles d’origine maghrébine étaient peu regardantes sur la pratique religieuse, tout le monde ne priait pas par exemple. Durant le ramadan, beaucoup mangeaient en cachette dans un coin discret au Mc Do. D’autres consommaient de l’alcool ou mangeaient un cervelas. Durant 50 ans, l’islam politique des frères musulmans et le wahhabisme s’est de plus en plus imposé à Bruxelles. La majorité des musulmans n’en avait pas conscience. A Bruxelles, la plupart des personnes d’origines maghrébine sont rifaines (région du Maroc). Nous parlions le berbère dans nos familles, mais entre nous, les enfants, nous parlions français. L’honneur et la loyauté sont également des valeurs familiales très importantes. Ce qui en soi n’est pas négatif ! Cela devenait problématique lorsque, par exemple, on mariait de force une fille pour sauver l’honneur de la famille...
De quelle manière les islamistes parviennent-ils à leur fin ?
Ils utilisent la loyauté pour créer une fracture, une séparation entre les croyants et les non croyants. Quand j’étais jeune nous nous demandions souvent si nous étions Belges ou Marocains ? Nous ne comprenions pas : lorsque nous allions au Maroc, les Marocains nous disaient que nous étions des étrangers ! Et en Belgique, nous étions des Marocains ayant une autre culture. Nous étions donc en recherche d’une identité. Petit à petit, beaucoup de jeunes ne sont plus vus comme Marocains ou Belges mais comme des musulmans. L’identité musulmane a été mise en avant par les islamistes qui répétaient que tous les musulmans sont des frères et sœurs en islam. S’appuyant sur la fierté berbère et la loyauté qui tient une place primordiale, les islamistes les ont utilisés pour nous rassembler et se sentir solidaires en tant que communauté religieuse. J’entendais très souvent des jeunes dirent : « un musulman ne pouvait pas voler un autre musulman ». En revanche, nous ne risquions pas d’aller en enfer si nous volions un mécréant.
Pourquoi certaines filles musulmanes portent-elles un voile ?
Certaines ont commencé à porter le voile pour acquérir un peu de liberté. Si elles se montraient pieuses alors elles pouvaient sortir seules et les garçons respectaient les filles voilées. Celles qui sortaient seules et sans voile, se faisaient siffler, harceler par les garçons. Tandis que celles qui se montraient trop intéressées par les garçons ou se montraient un peu plus « libres » étaient mariées de force à un cousin pendant les vacances au Maroc. Les garçons, eux, vivaient librement dans les rues pendant que les filles étaient assignées à résidence. Quand les frères rentraient, elles devaient leur obéir car les garçons étaient considérés comme des seconds chefs de famille. Avec pour missions de surveiller leurs sœurs (afin de préserver leur virginité) et de protéger leurs mères. Moi, j’étais l’aînée et j’ai appris à me battre contre les garçons. J’avais d’autres projets que ceux qu’on voulait m’imposer (mariée, femme au foyer, avec enfants). D’autres jeunes avaient des rêves comme, par exemple, ce camarade de classe qui voulait dessiner des BD. Mais puisque c’était « haram », ses yeux se sont éteints. Voilà comment j’ai vu le radicalisme, chez mes camarades et chez d’autres jeunes, se profiler au fil du temps. Des yeux éteints ou un visage souriant faire place à un visage sombre. Ceux qui me saluaient avant avec respect et un large sourire baissaient désormais la tête : je n’étais plus une personne mais un “objet interdit”...