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Vas insigne devotionis
Une plongée exceptionnelle dans une prison française. Des détenus de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne), la plus grande d'Europe, ont réussi à introduire une mini-caméra et ont filmé pendant plusieurs mois, à l'intérieur de leurs cellules, dans les douches et dans la cour de promenade. De ces 2 h 30 de vidéos tournées en cachette, auxquelles s'ajoutent plus d'une centaine de photos, ressort un témoignage brut sur la vie quotidienne en prison. Un récit, de l'intérieur, des conditions de détention, avec ses locaux dégradés et surpeuplés, ses tensions et ses violences, la débrouille du quotidien mais aussi ses rires et ses instants de solidarité.
Les vidéos originelles, que Le Monde a pu visionner et faire authentifier par plusieurs sources, ne comportent pas de révélations spectaculaires mais confirment, avec la force de l'image, ce que dénoncent régulièrement les rares autorités indépendantes autorisées à pénétrer dans les prisons françaises. Les détenus à l'origine des vidéos justifient leur démarche par la volonté de dépasser la communication officielle de l'administration pénitentiaire. Après avoir fait sortir leur matériel, ils ont confié à deux réalisateurs, Karim Bellazaar et Omar Dawson, à la tête d'une société de production (I-Screen), le soin de faire un documentaire.
"Quand on est en détention, on voit plein de reportages télé sur les prisons, nous explique un des vidéastes en demandant l'anonymat. Mais ils ne montrent jamais ce qui se passe vraiment parce que l'administration organise les visites et ne montre que les bâtiments en bon état. On s'est dit qu'il fallait montrer l'autre côté de la détention." Ils mettent aussi en avant leur volonté de casser l'image positive des prisons pour une partie de la jeunesse des quartiers. "Beaucoup pensent qu'aller en prison c'est pas grave et qu'ils en sortiront plus forts. Nous, on veut leur montrer que c'est vraiment la ***** et que tu deviens fou là-bas."
DÉBROUILLE QUOTIDIENNE
L'aspect financier n'est pas absent mais il est présenté comme secondaire par les vidéastes, qui devraient toucher une rémunération si les réalisateurs réussissent à produire leur documentaire : "Je suis pas un héros de la terre, explique notre interlocuteur. On prend beaucoup de risques, et il faut qu'on prépare nos arrières, au moins pour payer nos avocats."
Les détenus ont longuement filmé les cellules, occupées par deux personnes alors qu'elles ont été conçues pour un seul homme. Au milieu d'un fatras d'affaires, de vêtements, de réserves alimentaires, on les voit lutter contre l'ennui en jouant au football sur une console ou en regardant la télévision. On découvre surtout l'état réel de la maison d'arrêt. Avec, par exemple, des vitres cassées. "Regardez comment c'est la ***** en plein mois de novembre. C'est bientôt Noël, on est là, on caille comme des SDF. Même les SDF dehors, ils sont mieux que nous", témoigne un détenu devant sa fenêtre.
L'état des douches apparaît assez catastrophique avec des murs dégradés et couverts de moisissure. "Cela correspond aux constatations effectuées lors d'une expertise dans les douches du quartier disciplinaire", note François Bès, délégué régional de l'Observatoire international des prisons (OIP), en indiquant que la surpopulation carcérale (3 900 détenus pour 2 800 places) contraint l'administration à faire fonctionner les sanitaires quasiment en continu, ce qui limite l'aération. L'association indique recevoir régulièrement des lettres de détenus se plaignant de l'état des douches. Le 4 décembre, un prisonnier s'est plaint, par courrier, des sanitaires "insalubres" avec des "murs gluants".
Les images mettent en évidence la débrouille quotidienne des détenus. Un prisonnier montre comment il tente d'isoler les WC, derrière des serviettes pendues à un fil, pour obtenir un minimum d'intimité. D'autres expliquent comment ils font chauffer leurs aliments, achetés légalement à la cantine, mais pour lesquels ils ne disposent pas de système de chauffage. On les voit bricoler une plaque électrique avec des boîtes de conserve et des fils dénudés ou utiliser une "chauffe à huile" avec une serpillière imbibée de produit alimentaire inflammable.
Les prisonniers s'arrangent aussi pour faire entrer illégalement téléphones portables et stupéfiants. "Il y a du shit, il y a des téléphones, il y a tout ce qu'il faut", témoigne un jeune détenu. Ils montrent comment circulent les objets d'une cellule à une autre grâce à la technique du "yo-yo". On les voit découper leurs draps sur la longueur, fabriquer des cordelettes et expédier leur colis à un voisin. Un miroir leur permet de viser à travers les barreaux, tandis que le destinataire attrape l'objet avec une balayette.
Les 2 h 30 d'images comportent une scène ultraviolente d'une quinzaine de secondes. Sous le préau de la cour de promenade, invisible pour les surveillants, des détenus agressent un autre prisonnier, le frappant à coups de pied sur la tête au point de le laisser inconscient. Selon tous les acteurs du monde pénitentiaire, ce type de violences est très fréquent. "A Fleury-Mérogis, comme dans les autres prisons, les lieux qui ne sont pas directement surveillés par les agents sont très dangereux. Il ne se passe quasiment pas une semaine sans qu'il y ait des agressions", souligne M. Bès.
"POUR FAIRE MES MARQUES"
Des détenus ont aussi accepté de témoigner sur la dureté des rapports sociaux au sein de la maison d'arrêt. "Ici, contrairement à ce [que disent] les gens, c'est la loi du plus fort. ( ) Chacun a son terrain. ( ) Pour faire mes marques, j'ai dû me bagarrer au départ", explique l'un d'entre eux. Plusieurs fustigent le comportement des surveillants, volontiers insultés et accusés de pratiques humiliantes. Sur les images, néanmoins, les deux fois où apparaissent des "matons", leur attitude est cordiale.
Un des détenus interrogés lance un "appel" pour que le public arrête de croire que la prison est un "lieu pour se réinsérer". "Moi, je me suis fait attraper pour un petit fait, de catégorie correctionnelle. Je suis passé en comparution immédiate, on m'a condamné. Moi, maintenant quand je marche en promenade, je marche avec des tueurs, avec des meurtriers, des trafiquants internationaux. Et je ne vous cache pas qu'à certains moments ça donne envie."
Les prisonniers ne se font pas d'illusions sur la volonté de l'Etat, même si des travaux de rénovation ont commencé et doivent se prolonger jusqu'en 2014. "Je vous dis ça juste pour que vous soyez au courant. Je dis pas que ça va changer quelque chose", note l'un d'entre eux. Il reconnaît que leur combat à l'encontre de l'opinion publique est difficile. "Les gens disent : Oui, mais c'est des détenus, ils sont en détention, c'est de leur faute, ils ont mérité d'être là-bas, c'est leur problème ."
Lui voudrait faire comprendre le caractère contre-productif, pour la société, des conditions actuelles de détention. "Tous les jours, il y a des gens qui entrent en détention. Mais tous les jours, il y en a qui sortent ( ). Quand on subit la détention ici, avec toutes les injustices qu'ils nous font, du début jusqu'au jour de notre sortie, moi je comprends un peu qu'il y en a ( ) qui ont plus trop envie de suivre le droit chemin."
Luc Bronner
LE MONDE | 18.12.08 | 11h20 Mis à jour le 18.12.08 | 12h26
Les vidéos originelles, que Le Monde a pu visionner et faire authentifier par plusieurs sources, ne comportent pas de révélations spectaculaires mais confirment, avec la force de l'image, ce que dénoncent régulièrement les rares autorités indépendantes autorisées à pénétrer dans les prisons françaises. Les détenus à l'origine des vidéos justifient leur démarche par la volonté de dépasser la communication officielle de l'administration pénitentiaire. Après avoir fait sortir leur matériel, ils ont confié à deux réalisateurs, Karim Bellazaar et Omar Dawson, à la tête d'une société de production (I-Screen), le soin de faire un documentaire.
"Quand on est en détention, on voit plein de reportages télé sur les prisons, nous explique un des vidéastes en demandant l'anonymat. Mais ils ne montrent jamais ce qui se passe vraiment parce que l'administration organise les visites et ne montre que les bâtiments en bon état. On s'est dit qu'il fallait montrer l'autre côté de la détention." Ils mettent aussi en avant leur volonté de casser l'image positive des prisons pour une partie de la jeunesse des quartiers. "Beaucoup pensent qu'aller en prison c'est pas grave et qu'ils en sortiront plus forts. Nous, on veut leur montrer que c'est vraiment la ***** et que tu deviens fou là-bas."
DÉBROUILLE QUOTIDIENNE
L'aspect financier n'est pas absent mais il est présenté comme secondaire par les vidéastes, qui devraient toucher une rémunération si les réalisateurs réussissent à produire leur documentaire : "Je suis pas un héros de la terre, explique notre interlocuteur. On prend beaucoup de risques, et il faut qu'on prépare nos arrières, au moins pour payer nos avocats."
Les détenus ont longuement filmé les cellules, occupées par deux personnes alors qu'elles ont été conçues pour un seul homme. Au milieu d'un fatras d'affaires, de vêtements, de réserves alimentaires, on les voit lutter contre l'ennui en jouant au football sur une console ou en regardant la télévision. On découvre surtout l'état réel de la maison d'arrêt. Avec, par exemple, des vitres cassées. "Regardez comment c'est la ***** en plein mois de novembre. C'est bientôt Noël, on est là, on caille comme des SDF. Même les SDF dehors, ils sont mieux que nous", témoigne un détenu devant sa fenêtre.
L'état des douches apparaît assez catastrophique avec des murs dégradés et couverts de moisissure. "Cela correspond aux constatations effectuées lors d'une expertise dans les douches du quartier disciplinaire", note François Bès, délégué régional de l'Observatoire international des prisons (OIP), en indiquant que la surpopulation carcérale (3 900 détenus pour 2 800 places) contraint l'administration à faire fonctionner les sanitaires quasiment en continu, ce qui limite l'aération. L'association indique recevoir régulièrement des lettres de détenus se plaignant de l'état des douches. Le 4 décembre, un prisonnier s'est plaint, par courrier, des sanitaires "insalubres" avec des "murs gluants".
Les images mettent en évidence la débrouille quotidienne des détenus. Un prisonnier montre comment il tente d'isoler les WC, derrière des serviettes pendues à un fil, pour obtenir un minimum d'intimité. D'autres expliquent comment ils font chauffer leurs aliments, achetés légalement à la cantine, mais pour lesquels ils ne disposent pas de système de chauffage. On les voit bricoler une plaque électrique avec des boîtes de conserve et des fils dénudés ou utiliser une "chauffe à huile" avec une serpillière imbibée de produit alimentaire inflammable.
Les prisonniers s'arrangent aussi pour faire entrer illégalement téléphones portables et stupéfiants. "Il y a du shit, il y a des téléphones, il y a tout ce qu'il faut", témoigne un jeune détenu. Ils montrent comment circulent les objets d'une cellule à une autre grâce à la technique du "yo-yo". On les voit découper leurs draps sur la longueur, fabriquer des cordelettes et expédier leur colis à un voisin. Un miroir leur permet de viser à travers les barreaux, tandis que le destinataire attrape l'objet avec une balayette.
Les 2 h 30 d'images comportent une scène ultraviolente d'une quinzaine de secondes. Sous le préau de la cour de promenade, invisible pour les surveillants, des détenus agressent un autre prisonnier, le frappant à coups de pied sur la tête au point de le laisser inconscient. Selon tous les acteurs du monde pénitentiaire, ce type de violences est très fréquent. "A Fleury-Mérogis, comme dans les autres prisons, les lieux qui ne sont pas directement surveillés par les agents sont très dangereux. Il ne se passe quasiment pas une semaine sans qu'il y ait des agressions", souligne M. Bès.
"POUR FAIRE MES MARQUES"
Des détenus ont aussi accepté de témoigner sur la dureté des rapports sociaux au sein de la maison d'arrêt. "Ici, contrairement à ce [que disent] les gens, c'est la loi du plus fort. ( ) Chacun a son terrain. ( ) Pour faire mes marques, j'ai dû me bagarrer au départ", explique l'un d'entre eux. Plusieurs fustigent le comportement des surveillants, volontiers insultés et accusés de pratiques humiliantes. Sur les images, néanmoins, les deux fois où apparaissent des "matons", leur attitude est cordiale.
Un des détenus interrogés lance un "appel" pour que le public arrête de croire que la prison est un "lieu pour se réinsérer". "Moi, je me suis fait attraper pour un petit fait, de catégorie correctionnelle. Je suis passé en comparution immédiate, on m'a condamné. Moi, maintenant quand je marche en promenade, je marche avec des tueurs, avec des meurtriers, des trafiquants internationaux. Et je ne vous cache pas qu'à certains moments ça donne envie."
Les prisonniers ne se font pas d'illusions sur la volonté de l'Etat, même si des travaux de rénovation ont commencé et doivent se prolonger jusqu'en 2014. "Je vous dis ça juste pour que vous soyez au courant. Je dis pas que ça va changer quelque chose", note l'un d'entre eux. Il reconnaît que leur combat à l'encontre de l'opinion publique est difficile. "Les gens disent : Oui, mais c'est des détenus, ils sont en détention, c'est de leur faute, ils ont mérité d'être là-bas, c'est leur problème ."
Lui voudrait faire comprendre le caractère contre-productif, pour la société, des conditions actuelles de détention. "Tous les jours, il y a des gens qui entrent en détention. Mais tous les jours, il y en a qui sortent ( ). Quand on subit la détention ici, avec toutes les injustices qu'ils nous font, du début jusqu'au jour de notre sortie, moi je comprends un peu qu'il y en a ( ) qui ont plus trop envie de suivre le droit chemin."
Luc Bronner
LE MONDE | 18.12.08 | 11h20 Mis à jour le 18.12.08 | 12h26