Par Omar Elfetouaki, administrateur principal à la direction de l'Energie
Tous les analystes et experts sont unanimes pour affirmer que: “Le gaz naturel a un avenir brillant, il sera en quelque sorte la locomotive du développement de l'économie mondiale durant le troisième millénaire”. Les chiffres sont éloquents: en 1998, la part du gaz naturel dans le bilan énergétique mondial représente 23 à 24%. Selon les experts dans le domaine, la demande de ce produit devrait augmenter de plus de 50% à l'horizon 2010 et doubler d'ici à 2030.
Dans le bassin méditerranéen, la part du gaz naturel dans le bilan énergétique est passée de 6% en 1970 à 19% en 1998. Elle serait de 28% en 2010. Et c'est l'industrie qui représente la plus grosse part dans la consommation du gaz naturel avec 38%, le résidentiel/tertiaire 34% alors que la production électrique approche les 28%. L'Algérie et la Libye fournissent actuellement 26% des importations de l'Union européenne en gaz naturel (29 milliards de m3 contre 27 pour la Norvège et 55 pour les pays de l'ex-URSS) et pourront augmenter leur fourniture à hauteur de 40% en 2020, soit 155 milliards de m3, dont plus de 20 milliards grâce au gazoduc Maghreb-Europe.
Rappelons que pour le moment, le Maroc n'est pas producteur à grande échelle de gaz naturel, ou du moins un espoir très lointain est porté sur les forages “offshore'' au large d'Essaouira. Ajoutons à ceci que les ressources énergétiques propres du Maroc sont très modestes et limitées: l'hydraulique et le gaz naturel couvrent à peine 3% des besoins. Logiquement, le passage du gazoduc Maghreb-Europe par le territoire marocain devait constituer une manne inespérée et une occasion à saisir pour diversifier nos sources d'approvisionnement en permettant l'introduction du gaz naturel dans le bilan énergétique national.
Conscient de l'enjeu que peut constituer ce produit, le Maroc avait devancé les événements et lancé, en collaboration avec la Banque Mondiale, des études devant aboutir à l'introduction du gaz naturel comme combustible énergétique. Le dossier “gaz naturel'' a été confié à la SNPP (société nationale des produits pétroliers) depuis 1988. Etant considéré comme un produit concurrent par rapport aux autres produits fossiles, le dossier du “gaz naturel» a dû être immergé pendant longtemps pour refaire surface après la privatisation du secteur pétrolier et être repris par le ministère de l'Energie et des Mines en 1995. Les travaux de construction du gazoduc Maghreb-Europe (GME) ont débuté la même année.
Tout au long de la construction de cet ouvrage et après sa réalisation, un interminable débat (la fiscalité, le mode de gestion etc.) sur une éventuelle utilisation du gaz naturel au Maroc a été animé par le département de l'Energie, en collaboration avec la Banque Mondiale: faut-il utiliser le combustible à proximité du gazoduc ou faut-il réaliser des bretelles pour desservir les consommateurs potentiels, qui se trouvent justement sur l'axe Kénitra-Rabat-Mohammédia-Casablanca-Jorf Lasfar?
Le GME allait devenir un projet structurant et la possibilité de l'introduction du gaz naturel au Maroc allait être également le fait marquant qui devait modifier progressivement le paysage énergétique marocain. On avait tablé sur une consommation préliminaire d'un milliard de m3/an devant servir aux groupes thermiques des centrales de Mohammédia (4x150 MW) et de Kénitra (4x75 MW) convertis au gaz naturel. Une étude de faisabilité de la bretelle marocaine qui devait relier le GME à la région de Casablanca a été réalisée en 1997 et l'estimation de son coût était 120 millions de $US. Le secteur de l'électricité aurait été le fer de lance du développement du gaz naturel. Parallèlement, l'Etat avait chargé la société nationale des produits pétroliers, encore une fois, pour lancer l'appel d'offres international en vue d'une concession du gaz naturel au Maroc. Le dossier n'a jamais abouti. En 1995, l'idée d'une bretelle reliant le GME aux centrales électriques de Kénitra et de Casablanca fut abandonnée. Elle fut remplacée par un autre projet, concernant tout de même la production d'électricité, à proximité cette fois-ci du gazoduc et ne nécessitant qu'un simple piquage: il s'agit de la construction d'une centrale électrique fonctionnant au gaz naturel à Tahaddart. Le projet est en passe de réalisation.
Cependant, et malgré ce projet, force est de constater que le dossier gaz naturel n'avance plus, on tourne en rond. Par manque de vision, les politiciens observent un mutisme non justifié et les technocrates continuent de croire bien faire. Au fait, qu'est-ce qu'un haut responsable marocain qui a travaillé, pendant de longues années, sur le dossier, peut dire sur l'introduction du gaz naturel au Maroc? A part le gazoduc, son tracé, sa longueur, sa capacité, il n'a absolument rien à dire quant on parle du gaz naturel comme combustible dans la consommation énergétique nationale. Pour les cadres, avant, c'était la fougue et c'était à la mode. Les ingénieurs se vantaient d'avoir participé à une réunion relative au gaz naturel, présidée conjointement par le ministère de l'Energie et des Mines et la Banque Mondiale. On ne met pas en doute la compétence des cadres actuellement en charge du dossier. Car la conduite du dossier est mal partie et n'arrivera jamais à bord malgré la bonne volonté de ces cadres qui, avec le temps, avaient pris le pli et la routine s'était installée.
D'aucuns diront qu'actuellement, l'introduction du gaz naturel au Maroc est de plus en plus difficile à réaliser à cause de nos relations, qui ne sont pas des meilleures, avec l'Algérie et l'Espagne. Cependant, la coopération dans le domaine énergétique est une exception dans les relations tumultueuses entre les différents pays du Maghreb. C'est ainsi que, l'Algérie fournit depuis des années 5 à 10% de l'électricité consommée au Maroc et depuis une décennie, elle effectue des livraisons de Gaz de Pétrole Liquéfiés aux centres emplisseurs marocains. La mise en place de ses différents réseaux énergétiques contribuerait non seulement à renforcer la coopération économique entre les pays du Maghreb, mais pourrait également constituer un facteur de stabilisation politique pour toute la région. D'ailleurs, les politiciens, aussi bien algériens que marocains, étaient unanimes lors de la signature d'accord de la réalisation du projet, pour dire que sa réalisation représente une étape importante dans la voix de la construction du Grand Maghreb.
Quels sont les vrais obstacles qui obstruent donc toute possibilité de commencer à consommer à grande échelle le gaz naturel au Maroc? Le coût de la bretelle ou la fiscalité ou le prix de cessions aux utilisateurs?
Essayons de voir d'abord quelles utilisations peut-on envisager au cas où une introduction s'avèrerait possible et faisable: mise à part la production d'électricité et quelques industries, notre économie n'est peut-être pas prête pour l'utilisation du gaz naturel, encore moins nos résidences et habitations. La redevance de droit de passage qui avoisine les 500 millions de m3 est suffisante pour alimenter la centrale de Tahaddart. A-t-on donc mal négocié le passage du GME?
Le fait est là, il y a problème, le vendeur profite de ses rentes en écoulant son produit, l'acheteur se réchauffe en profitant d'une énergie sûre non polluante et moins chère. Entre temps, le Maroc attend et ne fait rien tout en se contentant de percevoir un maigre droit de passage, sans pouvoir profiter de la proximité du gazoduc, et jusqu'à présent, il n'a consommé aucune goutte du gaz naturel algérien. Certes, le gazoduc Maghreb-Europe est une véritable manne pour le Maroc moderne, mais une manne nébuleuse. Espérons que les responsables sauront mieux, dans un avenir proche, mettre de la lumière sur cette manne pour pouvoir l'utiliser à bon escient.
Droits de passage
Il fut achevé le 1er novembre 1996. Il permet désormais de relier le plus grand gisement de gaz de Hassi R'Mel (en Algérie), à Séville en Espagne, via le Maroc et le détroit de Gibraltar. Construit conjointement par les Algériens et les Espagnols, le gazoduc, qui a coûté 850 millions $US, s'étend sur 527 km en Algérie, 545 km au Maroc, 43 km le long du détroit de Gibraltar et sur 156 km en Espagne, avant d'être connecté au réseau européen existant. D'une capacité de 10 milliards de m3 environ, il pourra transporter à terme 20 milliards de m3. Les acheteurs européens de gaz devront verser au Maroc l'équivalent de 6 à 7% du prix du gaz exporté comme droits de passage qui peuvent être payés soit en numéraire, soit en nature.
Par Omar Elfetouaki, administrateur principal à la direction de l'Energie
Casablanca,14Janvier2003