Gaza : du plomb durci dans les têtes

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Casablanca d'antan
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dimanche 8 février 2009 - 06h:39

Marie Bénilde - Le Monde Diplomatique


Alors que le gouvernement israélien revendique aujourd’hui le droit à répliquer « de façon disproportionnée » aux tirs de roquettes artisanales du Hamas, retour sur le traitement par les médias occidentaux d’un conflit asymétrique couvert en janvier avec une parfaite symétrie des points de vue. Ou comment une offensive massive, touchant majoritairement les civils, est vécue avec un déni absolu de toute indignation médiatique. Du droit d’ingérence humanitaire au droit à la disproportion militaire...

Le premier ministre israélien Ehoud Olmert ne s’en cache plus : dans une déclaration à la sortie de son conseil des ministres le 1er février, il a reconnu qu’Israël entendait répondre de « façon disproportionnée » aux tirs de roquettes palestiniennes effectués depuis Gaza en dépit d’un cessez-le-feu entré en vigueur le 18 janvier. Alors que le conflit au Proche-Orient tend à s’éclipser des gros titres de l’actualité, il n’est peut-être pas inutile d’interroger la façon dont les médias ont rendu compte de cette disproportion au cours du mois de janvier. Comment ils se sont efforcés de traiter cette « riposte » disproportionnée aux tirs du Hamas par un équilibre irréprochable des points de vue, une symétrie parfaite des sources, une répartition balancée des interventions israéliennes et palestiniennes... Cinq minutes à des représentants de la Palestine criant qu’on massacre leur peuple, cinq minutes à un porte-parole du gouvernement ou de l’armée israélienne égrenant sa propagande pré-mâchée pour médias dominants : c’est le Hamas qui a rompu la trêve, c’est le Hamas qui est responsable des victimes civiles en cachant ses combattants parmi les habitants...

Quelle autre guerre aurait prêté le flanc à pareille manipulation médiatique ? Imagine-t-on les médias occidentaux tendre aussi généreusement le micro à l’armée serbe de Milošević lorsqu’elle bombardait la population musulmane de Pristina, au Kosovo, il y a dix ans ? Mais la réprobation générale envers un régime assassin ne se souciait guère, alors, d’équilibre des approches. N’y avait-il pas un droit, un devoir d’ingérence humanitaire qui allait jusqu’à justifier le bombardement de la Serbie par l’OTAN ? Tous les médias, on s’en souvient, on épousé la cause du Kosovo.

A Gaza, il en va bien sûr tout autrement. Au cessez le feu du 18 janvier, le bilan de l’offensive israélienne était le suivant : 1 330 Palestiniens tués, dont plus de 410 enfants, et 65 % de civils parmi les morts d’après les services d’urgence palestiniens et le Centre palestinien des droits de l’Homme à Gaza. Du côté israélien, on dénombrait 10 militaires et trois civils tués. L’agression était-elle justifiée par une agression préalable ? Sur son blog, Alain Gresh a montré que c’est la rupture de la trêve par Israël, avec le raid meurtrier de son aviation en novembre contre des responsables du Hamas, qui a déclenché une reprise des tirs de roquettes palestiniens.

Une telle asymétrie dans la violence déployée eut enclenché, en d’autres lieux, une forte réaction internationale et l’émotion légitime des médias assistant au massacre d’un peuple. Or, comme en témoigne le refus de la BBC de diffuser un appel de fonds pour venir en aide aux victimes du conflit à Gaza, toute solidarité manifeste, toute sensibilité affirmée vis-à-vis de la détresse de la population palestinienne n’avaient pour ainsi dire pas droit de cité sur les antennes occidentales. « Impartialité de la couverture », justifia Mark Thomson, le patron de la BBC. « Objectivité intransigeante », renchérit John Rilay, son alter ego à Sky News, qui s’empressa de soutenir son « confrère », alors que l’archevêque de Canterbury appelait à la diffusion de cet appel du Comité d’urgence pour les catastrophes, auquel appartient notamment la Croix rouge britannique. Il n’est pas de droit d’ingérence humanitaire pour les victimes de la toute-puissante armée israélienne.

La stratégie médiatique israélienne

Comment en est-on arrivé à un tel déni d’indignation ? A l’origine, il y a d’abord une stratégie militaire d’information qui entend tirer les leçons de la guerre du Sud Liban, survenue à l’été 2006. Pour l’état-major israélien, le Hezbollah a trouvé dans les reportages en direct des médias internationaux une aide précieuse pour coordonner ses actions. Si l’offensive de Tsahal a été un demi-échec, dans l’esprit de ses généraux, c’est donc notamment parce que l’information n’a pas été bien maîtrisée et que l’opinion internationale, de surcroît, a vite été gagnée au sort des populations bombardées. Fin 2008, la solution trouvée par le gouvernement israélien consiste donc à étendre aux journalistes le blocus de Gaza, pendant le conflit qui se prépare. Loin des caméras et du regard des reporters, les dramatiques conditions de vie des Palestiniens et les souffrances endurées par la population sont donc escamotées - autant que possible - aux yeux de témoins directs venus de la presse internationale. En dépit d’un arrêt de la Cour suprême israélienne, les reporters seront ainsi cantonnés en dehors de Gaza dans la zone israélienne exposée aux roquettes du Hamas. Certains reporters, comme le journaliste du Monde Benjamin Barthe, ont ainsi pu observer un « journalistland » où les confrères tuent le temps en montrant des images d’une sorte de musée des roquettes Qassam ou en filmant à distance très respectable les lueurs des explosions qui parviennent du territoire palestinien [1].

Il en résulte une surexposition médiatique du sort des populations israéliennes soumises aux tirs sporadiques des combattants du Hamas. [2] Pour les grands médias, même si ce tropisme ne vise pas intentionnellement à mettre l’accent sur la légitimité de la « riposte » israélienne, elle introduit un biais désastreux dans la couverture du conflit. Le téléspectateur ou l’auditeur sont en quelque sorte sommés de voir ou d’entendre la guerre à laquelle se livre Israël à travers le prisme déformant de sa propagande. Les stratèges de la communication militaire israélienne ont bien compris, comme toute entreprise malmenée par une crise, qu’il fallait donner aux médias de quoi nourrir leurs canaux de diffusion. Comme l’avoue un journaliste de RTL cité par Le Monde : « Nous sommes des journalistes captifs. Pendant que les gamins du camp de Jabaliya [site d’un bombardement israélien qui a fait quarante morts, mardi 6 janvier] se font massacrer, les médias parlent de ceux de Sderot qui collectionnent les morceaux de Qassam. C’est tout bonus pour Israël. » [3]

La guerre vue de Gaza

Tout bonus pour Israël ? Malgré tout, des images parviennent à sortir de la bande de Gaza alors que l’armée israélienne a commencé son offensive terrestre. Les télévisions ont en effet recours à des correspondants palestiniens, employés par les grandes agences internationales à Gaza, pour combler le vide laissé par l’absence de reportages au cœur même de la zone bombardée. Dans un premier temps, de telles images sont moins gênantes pour l’armée israélienne qu’il n’y paraît. Sans le truchement du journaliste - donc d’un médiateur - la violence filmée ne peut susciter pleinement l’empathie du téléspectateur. Il manque un décryptage, une lecture des faits émanant des envoyés spéciaux ou des journalistes européens, rendant proches ces événements lointains.

D’autant qu’en l’absence d’images tournées par des sources impartiales, les autorités israéliennes ont tôt fait de mettre en doute un point de vue provenant de cameramen ou de reporters palestiniens. Le risque de manipulation peut paraître réel. La pénurie d’images de Gaza est d’ailleurs ce qui a conduit France 2 à glaner sur Internet la vidéo d’un bombardement... qui datait en réalité de 2005. Un diffusion très vite assortie d’excuses de la part de la direction de la chaîne, mais qui a néanmoins amené le Conseil supérieur de l’audiovisuel à mettre en demeure France 2 de respecter l’honnêteté de l’information.

Mais les exactions et les crimes de guerre sont d’une telle ampleur, avec le bombardement d’une école de Jabaliya administrée par l’ONU, l’emploi de bombes au phosphore ou les massacres de familles entières que l’émotion ne peut que gagner l’opinion internationale. C’est alors que l’armée israélienne décide d’intégrer dans ses rangs des journalistes, comme Dorothée Ollieric, de France 2, qui suit le conflit embarquée - ou embedded comme disent les Américains - dans un tank de Tsahal, avec gilet pare-balles et casque. Les Américains, pendant la guerre en Irak, en 2004, ont montré que cette technique pouvait se révéler utile pour obtenir une solidarité de fait avec des « camarades de combat ». Alors que l’offensive arrive à son terme avant le cessez-le-feu, de nombreux journalistes parviennent à entrer dans Gaza.


http://www.info-palestine.net/article.php3?id_article=6076 .
 
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