Raymond Kevorkian, directeur de recherches à l'université Paris-VIII, spécialiste de la Turquie et de l'Arménie, décrypte la position du président américain concernant le génocide arménien. Ce dernier a répondu, lundi 6 avril à Ankara, à un journaliste : "Mon opinion est publique, et je n'en ai pas changé. Je veux aujourd'hui mettre l'accent non sur mes opinions personnelles, mais sur les opinions des peuples turc et arménien. S'ils peuvent avancer... le monde entier doit les encourager." Il a aussi estimé que le dialogue entre les deux pays "pourrait très vite porter ses fruits".
Que pensez-vous des propos de Barack Obama à Ankara sur le génocide arménien ?
Le président américain a fait preuve d'habileté. Il a d'abord fait référence aux positions qu'il a exprimées comme sénateur et comme candidat à la présidence des Etats-Unis. A l'époque, il avait prôné une véritable rupture : dire clairement qu'il s'agissait d'un génocide. Alors que George Bush, comme ses prédécesseurs, s'y était toujours refusé et était personnellement intervenu auprès des parlementaires, en octobre 2007, alors que la Chambre des représentants s'apprêtait à adopter un texte sur ce sujet.
Aujourd'hui, Barack Obama, aux côtés du président turc, Abdullah Gül, a fait savoir qu'il refuse de se dédire au profit de la realpolitik, alors qu'on aurait pu craindre que les considérations éthiques et morales passent au second plan maintenant qu'il est au pouvoir. Cependant, il n'a pas prononcé le terme de "génocide", ménageant ainsi la Turquie, et s'est refusé à instrumentaliser le sujet. Alors qu'Ankara est prêt à beaucoup de concessions sur d'autres dossiers pour éviter que les Etats-Unis reconnaissent le génocide ce qu'ont fait toutes les autres grandes puissances occidentales , il n'en a pas joué. Ses déclarations devraient donc satisfaire chaque camp.
Peut-on imaginer que le président américain aille plus loin lors de la date anniversaire du génocide arménien, le 24 avril ?
Traditionnellement, le président américain s'exprime à cette date pour évoquer une "grande catastrophe", des "massacres" ou un "crime contre l'humanité". Barack Obama ira-t-il plus loin ? Il faut souligner qu'une nouvelle motion de reconnaissance du génocide a été déposée au Congrès, mi-mars, par les élus qui défendent la diaspora arménienne aux Etats-Unis, forte d'un million de personnes et constituée en lobby. Mais je ne pense pas que le président parlera expressément de génocide, ce qui provoquerait sans doute le rappel par Ankara de son ambassadeur aux Etats-Unis. Et ce dossier ne paraît pas actuellement une priorité pour Washington, confronté à la crise économique internationale et aux bourbiers irakien et afghan. Les Etats-Unis ont besoin de soutien, et notamment celui de la Turquie, dont ils attendent qu'elle serve de plate-forme pour rapatrier leurs troupes d'Irak.
Doit-on s'attendre alors à un statu quo ?
Barack Obama a dit qu'il privilégie pour l'instant le dialogue entre les Turcs et les Arméniens engagé depuis quelques mois, qui vise à établir des relations diplomatiques entre les deux pays et à ouvrir leur frontière commune. Les deux parties seraient proches d'un accord, mais des rumeurs identiques, dans les années 1990, ne s'étaient jamais concrétisées... Jusqu'ici, Ankara posait notamment deux conditions que son petit voisin ne peut accepter : qu'il renonce à soulever la question du génocide, et qu'il fasse des concessions sur le dossier du Haut-Karabakh, à majorité arménienne, qui s'est autoproclamé indépendant [en 1991] pendant la guerre remportée par l'Arménie sur l'Azerbaïdjan (allié à la Turquie). Barack Obama peut avoir une influence sur la Turquie pour mettre fin à ces exigences, et a peut-être d'ores et déjà mis la pression, en privé, lors de son entretien avec M. Gül. Washington semble ainsi miser sur le fait que, une fois leurs relations diplomatiques établies, Ankara et Erevan règleront eux-mêmes leur différend sur le génocide. Le président américain a laissé toutes les options ouvertes, ce lundi.
lemonde
Que pensez-vous des propos de Barack Obama à Ankara sur le génocide arménien ?
Le président américain a fait preuve d'habileté. Il a d'abord fait référence aux positions qu'il a exprimées comme sénateur et comme candidat à la présidence des Etats-Unis. A l'époque, il avait prôné une véritable rupture : dire clairement qu'il s'agissait d'un génocide. Alors que George Bush, comme ses prédécesseurs, s'y était toujours refusé et était personnellement intervenu auprès des parlementaires, en octobre 2007, alors que la Chambre des représentants s'apprêtait à adopter un texte sur ce sujet.
Aujourd'hui, Barack Obama, aux côtés du président turc, Abdullah Gül, a fait savoir qu'il refuse de se dédire au profit de la realpolitik, alors qu'on aurait pu craindre que les considérations éthiques et morales passent au second plan maintenant qu'il est au pouvoir. Cependant, il n'a pas prononcé le terme de "génocide", ménageant ainsi la Turquie, et s'est refusé à instrumentaliser le sujet. Alors qu'Ankara est prêt à beaucoup de concessions sur d'autres dossiers pour éviter que les Etats-Unis reconnaissent le génocide ce qu'ont fait toutes les autres grandes puissances occidentales , il n'en a pas joué. Ses déclarations devraient donc satisfaire chaque camp.
Peut-on imaginer que le président américain aille plus loin lors de la date anniversaire du génocide arménien, le 24 avril ?
Traditionnellement, le président américain s'exprime à cette date pour évoquer une "grande catastrophe", des "massacres" ou un "crime contre l'humanité". Barack Obama ira-t-il plus loin ? Il faut souligner qu'une nouvelle motion de reconnaissance du génocide a été déposée au Congrès, mi-mars, par les élus qui défendent la diaspora arménienne aux Etats-Unis, forte d'un million de personnes et constituée en lobby. Mais je ne pense pas que le président parlera expressément de génocide, ce qui provoquerait sans doute le rappel par Ankara de son ambassadeur aux Etats-Unis. Et ce dossier ne paraît pas actuellement une priorité pour Washington, confronté à la crise économique internationale et aux bourbiers irakien et afghan. Les Etats-Unis ont besoin de soutien, et notamment celui de la Turquie, dont ils attendent qu'elle serve de plate-forme pour rapatrier leurs troupes d'Irak.
Doit-on s'attendre alors à un statu quo ?
Barack Obama a dit qu'il privilégie pour l'instant le dialogue entre les Turcs et les Arméniens engagé depuis quelques mois, qui vise à établir des relations diplomatiques entre les deux pays et à ouvrir leur frontière commune. Les deux parties seraient proches d'un accord, mais des rumeurs identiques, dans les années 1990, ne s'étaient jamais concrétisées... Jusqu'ici, Ankara posait notamment deux conditions que son petit voisin ne peut accepter : qu'il renonce à soulever la question du génocide, et qu'il fasse des concessions sur le dossier du Haut-Karabakh, à majorité arménienne, qui s'est autoproclamé indépendant [en 1991] pendant la guerre remportée par l'Arménie sur l'Azerbaïdjan (allié à la Turquie). Barack Obama peut avoir une influence sur la Turquie pour mettre fin à ces exigences, et a peut-être d'ores et déjà mis la pression, en privé, lors de son entretien avec M. Gül. Washington semble ainsi miser sur le fait que, une fois leurs relations diplomatiques établies, Ankara et Erevan règleront eux-mêmes leur différend sur le génocide. Le président américain a laissé toutes les options ouvertes, ce lundi.
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