Guerre en Ukraine : le chantage russo-américain sur la Crimée se solde par au moins douze morts à Kiev

  • Initiateur de la discussion Initiateur de la discussion Mojod
  • Date de début Date de début

Depuis plusieurs semaines, l’armée russe qui patine sur les fronts multiplie les frappes de missiles dans la profondeur, sur les villes ukrainiennes, afin de tenter de briser le moral et l’esprit de résistance des Ukrainiens. Une aire de jeux pour enfants à Kryvih Rih le 6 avril, 20 morts, une place centrale fréquentée à Soumy le 13 avril, 34 morts. Comme par hasard, ces frappes sont souvent corrélées au calendrier des visites en Russie de Steve Witkoff, l’émissaire-golfeur de Donald Trump, qui ramène à chaque fois dans sa valise à Washington les éléments de langage du Kremlin et la vision stratégique de Vladimir Poutine. Une fois encore, mercredi soir, peu après minuit, la dernière vague de bombardements meurtrière des Russes sur l’Ukraine s’est calquée cette fois sur l’emploi du temps de Donald Trump.

Mercredi, l’instable président américain avait à nouveau lancé la charge contre Volodymyr Zelensky, accusant ce dernier de « propos incendiaires ». Le tort du président ukrainien : avoir réaffirmé plus tôt que « la Crimée est ukrainienne » et que l’Ukraine ne reconnaîtra pas ses territoires occupés comme russes. Peu après minuit, heure ukrainienne, Donald Trump s’installe dans le Bureau ovale pour un point presse. Mondovision, sur les chaînes d’info de la planète. Moins de trois secondes après le début du direct « live from DC », les sirènes se mettent à hurler dans Kiev. Des dizaines de missiles et de drones kamikazes se précipitent vers les grandes villes, en particulier la capitale. C’est au moment où les premières explosions secouent les murs comme rarement depuis des mois que Trump aborde la question de l’Ukraine.

« Je pense avoir un accord avec la Russie », déclare-t-il aux journalistes rassemblés, enfonçant une nouvelle aiguille dans sa poupée vaudoue préférée : « Nous devons parvenir à un accord avec Zelensky, mais cela a été jusqu’à présent plus difficile… » Un peu plus tôt, Karlie Leavitt, la porte-parole de la Maison-Blanche, avait qualifié son boss de « très mécontent », ajoutant que « sa patience atteint ses limites ». La Crimée est « perdue [depuis 2014] » pour l’Ukraine, avait encore furieusement posté Trump. Zelensky, le jour même, explique quant à lui à des journalistes que sur la Crimée, « il n’y a rien à discuter. C’est notre Constitution. C’est notre territoire ». Dans la nuit ukrainienne, des avions F-16 et Mirage partent à la chasse de 70 missiles et 145 drones, apprendra-t-on plus tard.


 

« C’est du terrorisme nocturne »

Les interceptions font pleuvoir des débris sur cinq arrondissements, déclenchant des incendies, mais certaines déflagrations font froid dans le dos. Dans la banlieue ouest très peuplée de Svyatoshin, un missile pulvérise un immeuble d’habitation construit après la Seconde Guerre mondiale. Au petit matin, les sauveteurs en extraient des corps sanguinolents, aux visages de craie, les cheveux secs comme de la corde, dénudés par le souffle de l’explosion. Le bilan évolue tout au long de la journée, jusqu’à douze morts et 92 blessés, soit l’attaque la plus meurtrière sur Kiev depuis juillet 2024, lorsque plusieurs sites, notamment médicaux, dont l’hôpital pédiatrique Okhmatdyt, furent la cible des missiles russes. Une nouvelle fois, la perspective de la mort, venue du ciel, passe sur l’échine de tous les habitants de la capitale.

« Dans notre réalité, c’est comme si les Etats-Unis s’étaient rangés du côté d’Hitler au moment où l’Allemagne nazie bombardait la Grande-Bretagne », analyse froidement le journaliste et écrivain Stanislas Aseyev, ancien prisonnier des geôles russes dans le Donbass. « On devrait s’attendre à ce que Trump dise aux Ukrainiens de ne pas abattre ces missiles car la Russie est prête à conclure un accord et l’Ukraine s’oppose à la reconnaissance de l’annexion de la Crimée par la Russie », ironise ou enrage Mykhailo Samus, spécialiste en stratégie militaire au New Geopolitics Research Network. Tout le monde à Kiev comprend que les événements sont coordonnés et liés à un chantage synchronisé à Moscou et à Washington sur la Crimée.

Selon le média américain Axios, un « accord de paix » a été présenté la semaine dernière par les Américains aux Ukrainiens, impliquant une reconnaissance légale de l’appartenance de la Crimée à la Russie, de l’occupation des quatre régions de Donetsk, Louhansk, Zaporijia et Kherson, ainsi qu’un veto définitif à l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan. « Comme l’Ukraine a adopté une position ferme, la terreur des missiles est utilisée comme un élément de pression et de coercition », constate Oleksandr Kovalenko, expert militaire au groupe Information Résistance. « Le Kremlin est bien conscient que l’Ukraine n’acceptera jamais la reconnaissance des zones temporairement occupées et de la Crimée comme russes, mais continue d’appliquer la terreur contre l’arrière et la population civile. C’est du terrorisme nocturne. »

Zelensky, qui interrompt un voyage en Afrique du Sud, serre les dents ; il ne peut plier sur ce dossier. « Notre pays a été attaqué, notre territoire occupé, des dizaines de milliers de personnes ont été tuées », commente-t-il. « Le fait que l’Ukraine soit prête à s’asseoir à la table des négociations avec les terroristes après un cessez-le-feu est déjà un grand compromis. » Excellent connaisseur des Etats-Unis, le vice-président de la commission à la sécurité nationale de la Verkhovna Rada, Yehor Cherniev, décèle quant à lui « une hypothèse ». Avec la Crimée, « l’essentiel est de donner au moins quelque chose à la Russie, légalement, en forçant les Ukrainiens et les Européens à le reconnaître », émet le jeune député. « Créer un précédent légal derrière lequel Trump pourra s’abriter lors des annexions futures par les Etats-Unis du Groenland et/ou du Canada. »
 
Retour
Haut