Hassan Aourid décrypte le printemps arabe

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Casablanca d'antan
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«L’OCCIDENT est en nous. Par occident, je n’entends pas seulement un espace géographique, mais une façon de concevoir un modus operandi», soutient Hassan Aourid, écrivain, ancien historiographe et ex-porte parole du Palais. Dr Aourid a été l’invité du Club Assabah à l’occasion de la publication de son livre «Occident, est-ce le crépuscule?». Un livre écrit il y a 2 ans en langue arabe en partant d’observations sur le vif à la fois au Maroc et à l’étranger. Un regard critique sur l’Occident, pas dans le sens géographique, mais idéologique.
La version française, parue récemment, a eu le mérite de revenir sur les enseignements du Printemps arabe, les dérives de l’Occident, de la logique du marché et de la mondialisation. Une sorte de compilation d’observations sur les dérives de certains choix libéraux dictés par «des officines telles que la Banque mondiale ou encore le FMI». Pour Aourid, «si mon livre a quelque intérêt, c’est qu’il a été prémonitoire de ce que nous vivons aujourd’hui». L’écrivain y décrypte les revers de la mondialisation, laquelle a fait en sorte que les classes moyennes jettent leur dévolu aux classes populaires. Conséquences: aussi bien en Tunisie qu’en Egypte, le rôle des classes moyennes a été prépondérant dans la révolution. Le développement et les événements du monde arabe nous interpellent tous. Au-delà du constat, Aourid est convaincu que la rive sud de la Méditerranée est un continuum de l’Occident. L’effet miroir de la rive sud de la Méditerranée reflète les valeurs de l’Occident. «Au-delà de la culture commune, il y a aussi des dérives communes entre les deux rives», constate l’écrivain. Preuve en est que le monde arabe qui était perçu «hermétique à la démocratie, n’est pas culturellement hermétique aux valeurs de l’homme et des Lumières». Aux yeux d’Aourid, l’intellectuel, les transformations du monde arabe consacrent plus que jamais «la souveraineté populaire. La modernité est à ce prix». Les événements actuels n’auront de sens que s’ils changent le rapport marqué par la méfiance entre gouvernants et gouvernés. La mise sous tutelle des sociétés arabes a été castratrice voire inhibante. Et d’ajouter, le printemps arabe pourrait changer les rapports conflictuels et tendus qui caractérisent certains pays arabes (Egypte/Soudan, Arabie saoudite/Yémen, Maroc/Algérie…). La troisième implication de ce printemps se traduira sur les rapports du monde arabe avec l’Occident. Aourid est convaincu que depuis la révolution tunisienne, les mutations actuelles ferment la parenthèse du 11 septembre et réconcilient le monde arabe avec le monde. C’est une rupture avec ce regard condescendant voire méprisant selon lequel «le monde arabe est un trouble fêtes hermétique à la démocratie et qui a besoin d’un despote… Il n’y a donc pas de fatalité». Pour la première fois, «Occident/Orient sont dans un rapport respectueux», renchérit Aourid. C’est dans ce contexte précis que nous sommes tous invités aujourd’hui à réfléchir et à analyser les événements, insiste l’écrivain.

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Au-delà des implications du printemps arabe, Hassan Aourid revient sur l’inquiétante prédominance de l’approche technocratique. «Le technocrate est quelqu’un qui a une vision détachée de la réalité». Un phénomène international qui s’opère au détriment du politique. «Le technocrate est l’eunuque des temps modernes». Bien loin de la réalité et des spécificités d’un pays, les technocrates issus de grandes écoles imposent leur façon de faire à l’occidentale. Peu importe leur origine, la réflexion qui les motivent est la même. Face à ces schémas prédéfinis, se heurte le contexte local bien différent, ce qui donne des résultats très mitigés. «Au-delà du verbiage du technocrate relayé par les médias publics, les résultats de son action sont peu probants». Sur ce registre, l’auteur cite deux dossiers au Maroc où l’on a privilégié l’approche technocratique sans aboutir à des résultats concrets et probants: l’enseignement et la lutte contre la pauvreté. Selon Aourid, la méthode adoptée par les hommes de l’Education privilégie l’approche quantitative. «L’on parle du nombre des inscrits, du pourcentage des réussites, des salles de classe à construite… mais l’on parle rarement des programmes». Or, l’enseignement est d’abord une éthique qui doit se conformer aux attentes de la société, rappelle l’écrivain dans son livre. Quant à la politique de lutte contre la pauvreté, dont le bras armé n’est autre que l’INDH, l’ex-wali de Meknès-Tafilalet estime qu’elle a été entachée de dysfonctionnements dans la mise en application. «Entre ce que nous recevions comme grille et ce que nous devions faire, il y a tout un monde», témoigne-t-il. Résultat: «soit vous vous conformer aux directives et vous ne faites rien, soit vous vous adaptez à la réalité et vous risquez de vous mettre en contradiction avec le canevas préétabli». Plus encore, «en 2007, j’ai essayé de me conformer à la grille jusqu’au mois de juin, on ne pouvait pas aller au delà de 18% du crédit alloué», tient à préciser l’ancien wali. D’autres responsables qui se conformaient aux pré-requis ne dépassaient pas 6 à 12% des crédits. C’est dire les limites de l’approche technocratique via une procédure qui devient un véritable obstacle et vide parfois l’initiative de sa substance. Et pour cause: à travers la mise en place de ce programme, le Maroc a été assimilé à d’autres pays d’Afrique ou d’Amérique latine, alors que les problèmes de ces pays étaient différents.

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Vous avez dit privatisation!



LE phénomène des privatisations que connaissent beaucoup de pays émergents sous la pression du FMI et de la Banque mondiale fait fi des implications sociales! «Les effets négatifs sur le consommateur autant que sur le salarié furent néfastes. L’engouement pour les privatisations fut suivi par de vagues de licenciements», signale Aourid.
Ce constat survient dans un contexte où les privatisations au Maroc ne touchent pas uniquement les établissements en mauvaise situation mais surtout les entreprises les plus rentables, des fleurons de l’économie nationale. Plus grave encore, «les opérations de privatisation n’étaient pas exemptes de commissions, voire de pots de vin, au profit de ceux qui détiennent les leviers des pouvoirs», dénonce Aourid dans son livre.

Entre démocratie et chaos



LES révolutions ne donnent pas forcément de démocratie. Elles peuvent aussi mener au chaos, prévient Hassan Aourid.
Les cas de la Tunisie et de l’Egypte sont éloquents. Pour la première fois, le monde arabe est invité à penser ses problèmes. «Aujourd’hui, le regard de l’Occident sur le monde arabe tend de plus en plus vers le respect», tient à préciser Aourid. Quant au cas marocain, «le problème que nous vivons ici est plus fort qu’un amendement constitutionnel», souligne Aourid. «Nous avons tous à gagner à ce que l’évolution soit la plus sereine possible», recommande l’écrivain.


Source : L'Economiste
 
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