amsawad
Tayri nem tuder g-ul inu
Le grand poète amazigh Bouâzza N Moussa s’est éteint vendredi 29 mars 2014 à Khénifra, la ville où il a connu ses débuts de poète et où son étoile a brillé pendant de longues décennies. Ses proches, ses sympathisants et toutes les tribus zaïanes sont en deuil. L’un de leurs grands les a quittés à jamais
Bouâzza N Moussa est né en 1927 à Tar-Mechtar, à quelques kilomètres de Khénifra. Il appartient à la tribu guerrière des Aït Bouhaddou qui contrôlait le seul passage sur Mrbiâ, le fleuve légendaire du Moyen Atlas, au XIX è siècle. C’était à une époque mouvementée par les rivalités et les conflits intertribaux avant l’arrivée des Français. Le bloc Zaïane qui occupait un vaste territoire profitant de l’autonomie par rapport au pouvoir central du Makhzen, prospérait en toute quiétude avant l’intervention française qui a ébranlé les fondements de sa morale sociale et son système de gouvernance. Cette région amazighe, malgré une présence religieuse superficielle, était à l’abri des infiltrations de groupes exogènes et des influences culturelles étrangères. Le bloc Zaïane cultivait les valeurs d’hospitalité, de bravoure et d’honnêteté. La poésie jouait un rôle primordial dans la préservation de ce patrimoine ancestral qui célébrait l’attachement à la terre et préservait la dignité humaine. La bataille de Lahri en 1913 concrétisait à merveille cet esprit. C’est dans ce contexte que Bouâzza N Moussa a évolué pour s’imposait sur l’arène des joutes oratoires qui s’organisaient à Azlou, une place emblématique que surplombe aujourd’hui le siège de la province de Khénifra comme pour dire que les échanges culturels et les manifestations publiques, qui reflétaient jusque-là l’âme amazighe, sont désormais contrôlés.
Bouâzza N Moussa a commencé son parcours depuis son jeune âge alors qu’il était un simple berger. Son engagement dans la résistance contre les colons Français lui valu l’emprisonnement pendant les années cinquante suite à un poème rendu public dans lequel il dénonçait les injustices de la politique de la France. Dans les débuts euphoriques de l’indépendance, Bouâzza N Moussa, comme tant d’autres, ne s’est pas laissé bercer par l’illusion d’une victoire finale. Il a vite fait de comprendre les manœuvres politiciennes et la rapacité des prédateurs partis sans vergogne à la conquête des postes de décision. Ses poèmes de cette époque s’attaquaient à la bassesse et à la lâcheté de ces acteurs opportunistes. Il est était scandalisé par cet arrivisme qu’il considérait comme une trahison des valeurs de la résistance. Son indignation est exprimée avec véhémence dans plusieurs poèmes. Nous citons à titre d’exemple les vers suivants :
Tya lḥurriya am tekḍift iɣems unna ur as iwcin atiy i umzḍaw, Cuf may da ttegga luqt idda ufus nna tt-illmen da ten isseryiyi usemmiḍ !
La liberté ressemble à un tapis qui réchauffe ceux qui n’en ont pas payé le prix, Regarde l’injustice de la vie: les mains qui l’ont tissé tremblent de froid !
Le poète nous rappelle que l’indépendance n’a récompensé que les traitres, les collaborateurs des colons. En tant que résistant, Bouâzza N Moussa se sent blessé par l’ingratitude et l’injustice de son pays qui a honoré les complices et rejeté les braves qui ont consenti des sacrifices énormes pour la libération de leur pays. Ces deux vers extraits d’un long poème sur la liberté, résument l’amertume et les frustrations qui ont accompagné l’indépendance. Bouâzza N Moussa était un fervent défenseur de la liberté, de la dignité et du mérite. Il plaidait pour la reconnaissance des résistants, les vrais, qui n’ont hésité un instant à défendre leur patrie. C’était au temps où la région de Khénifra se transformait en prison à ciel ouvert suite aux insurrections des années soixante-dix. Le Makhzen, après avoir assiégé la région, saccagé les récoltes, torturé les hommes, menacé de larguer les femmes de l’hélicoptère qui voguait à des hauteurs vertigineuses, pour dompter tous les lions de l’Atlas, n’a pas lésiné sur aucun moyen, sordide soit-il, pour soumettre. Les artistes ne font pas exception : sur ordre du pacha de la ville, on a rasé le crâne de deux chanteuses qui ont refusé de participer aux festivités officielles, on a emprisonné des artistes pour avoir chanté des chansons qui n’étaient pas du goût officiel…
Bouâzza N Moussa n’a pas été épargné. Le Makhezen a su faire usage de sa verve prolifique en le forçant à faire de la poésie élogieuse, d’abord pour faire connaître les « exploits » de l’ère nouvelle post-indépendance, notamment la marche verte, ensuite pour embellir son image. Bouâzza N Moussa était convoqué à toutes les occasions officielles pour vanter les qualités makhzeniennes. Il nous a confié un jour qu’à l’approche de la fête du trône à l’époque de Hassan II, le Caïd, agent d’autorité, le convoquait dans son bureau pour lui intimer l’ordre de se préparer aux parades officielles. C’était pendant les années soixante-dix, quatre-vingt et quatre-vingt-dix où le Makhzen triomphant avait recours à la violence, à l’intimidation et à tous les moyens pour s’implanter et consolider ses assises. A cette l’époque, Bouâzza N Moussa sombrait dans le désespoir et sa poésie qui était jusque-là une poésie de combat et de l’espoir, commençait à verser dans le théologique. Il s’est converti en prêcheur rappelant aux croyants le devenir de l’âme après la mort et les tourments de la tombe.
Bouâzza N Moussa s’est tourné vers la mort après avoir vainement défendu les valeurs qui l’ont imprégné, à savoir la liberté, la justice et l’amour. Cette phase de sa poésie va prendre une teinte plus sombre lorsque son état de santé se détériorait et surtout depuis les années quatre-vingt-dix pendant lesquelles il a subi deux opérations chirurgicales. Réduit à la pauvreté, il n’a d’autre soutien que ses enfants et quelques sympathisants qui ont apprécié son art poétique. Confiné dans le silence de sa maladie qui le rongeait, aucun média ne s’est intéressé à lui hormis quelques rares émissions bâclées, et aucune institution étatique n’a accordé d’intérêt à son art qui est voué à la déperdition. Bouâzza N Moussa a rendu l’âme dans l’indifférence totale, mais dans la dignité. Sa poésie va continuer à retentir dans les montagnes de l’Atlas majestueux. Les générations futures se souviendront toujours de lui parce qu’il a réussi à immortaliser son nom par sa sincérité, la lucidité de sa vision et la profondeur de ses images. Il est mort debout comme ces cèdres de l’Atlas, avec un sourire narquois se moquant de ces vilains hommes sans dignité qui s’enrichissent matériellement et s’appauvrissent moralement. Le cas de Bouâzza N Moussa illustre clairement le sort du poète amazigh et de l’artiste amazigh en général. Dans ce pays, l’autochtone est banni, alors que l’étranger est reçu avec des honneurs et profite de largesses excessives. Les poètes et les artistes amazighs ne rencontreront aucune reconnaissance, aucune récompense. Ce dénigrement est justifié : la langue et la culture amazighes doivent céder le terrain et disparaître à jamais pour le bon plaisir des arabes qui se réjouissent d’étendre leur espace géographique et leur zone d’influence.
Tijani SAADANI (Khénifra)
Bouâzza N Moussa est né en 1927 à Tar-Mechtar, à quelques kilomètres de Khénifra. Il appartient à la tribu guerrière des Aït Bouhaddou qui contrôlait le seul passage sur Mrbiâ, le fleuve légendaire du Moyen Atlas, au XIX è siècle. C’était à une époque mouvementée par les rivalités et les conflits intertribaux avant l’arrivée des Français. Le bloc Zaïane qui occupait un vaste territoire profitant de l’autonomie par rapport au pouvoir central du Makhzen, prospérait en toute quiétude avant l’intervention française qui a ébranlé les fondements de sa morale sociale et son système de gouvernance. Cette région amazighe, malgré une présence religieuse superficielle, était à l’abri des infiltrations de groupes exogènes et des influences culturelles étrangères. Le bloc Zaïane cultivait les valeurs d’hospitalité, de bravoure et d’honnêteté. La poésie jouait un rôle primordial dans la préservation de ce patrimoine ancestral qui célébrait l’attachement à la terre et préservait la dignité humaine. La bataille de Lahri en 1913 concrétisait à merveille cet esprit. C’est dans ce contexte que Bouâzza N Moussa a évolué pour s’imposait sur l’arène des joutes oratoires qui s’organisaient à Azlou, une place emblématique que surplombe aujourd’hui le siège de la province de Khénifra comme pour dire que les échanges culturels et les manifestations publiques, qui reflétaient jusque-là l’âme amazighe, sont désormais contrôlés.
Bouâzza N Moussa a commencé son parcours depuis son jeune âge alors qu’il était un simple berger. Son engagement dans la résistance contre les colons Français lui valu l’emprisonnement pendant les années cinquante suite à un poème rendu public dans lequel il dénonçait les injustices de la politique de la France. Dans les débuts euphoriques de l’indépendance, Bouâzza N Moussa, comme tant d’autres, ne s’est pas laissé bercer par l’illusion d’une victoire finale. Il a vite fait de comprendre les manœuvres politiciennes et la rapacité des prédateurs partis sans vergogne à la conquête des postes de décision. Ses poèmes de cette époque s’attaquaient à la bassesse et à la lâcheté de ces acteurs opportunistes. Il est était scandalisé par cet arrivisme qu’il considérait comme une trahison des valeurs de la résistance. Son indignation est exprimée avec véhémence dans plusieurs poèmes. Nous citons à titre d’exemple les vers suivants :
Tya lḥurriya am tekḍift iɣems unna ur as iwcin atiy i umzḍaw, Cuf may da ttegga luqt idda ufus nna tt-illmen da ten isseryiyi usemmiḍ !
La liberté ressemble à un tapis qui réchauffe ceux qui n’en ont pas payé le prix, Regarde l’injustice de la vie: les mains qui l’ont tissé tremblent de froid !
Le poète nous rappelle que l’indépendance n’a récompensé que les traitres, les collaborateurs des colons. En tant que résistant, Bouâzza N Moussa se sent blessé par l’ingratitude et l’injustice de son pays qui a honoré les complices et rejeté les braves qui ont consenti des sacrifices énormes pour la libération de leur pays. Ces deux vers extraits d’un long poème sur la liberté, résument l’amertume et les frustrations qui ont accompagné l’indépendance. Bouâzza N Moussa était un fervent défenseur de la liberté, de la dignité et du mérite. Il plaidait pour la reconnaissance des résistants, les vrais, qui n’ont hésité un instant à défendre leur patrie. C’était au temps où la région de Khénifra se transformait en prison à ciel ouvert suite aux insurrections des années soixante-dix. Le Makhzen, après avoir assiégé la région, saccagé les récoltes, torturé les hommes, menacé de larguer les femmes de l’hélicoptère qui voguait à des hauteurs vertigineuses, pour dompter tous les lions de l’Atlas, n’a pas lésiné sur aucun moyen, sordide soit-il, pour soumettre. Les artistes ne font pas exception : sur ordre du pacha de la ville, on a rasé le crâne de deux chanteuses qui ont refusé de participer aux festivités officielles, on a emprisonné des artistes pour avoir chanté des chansons qui n’étaient pas du goût officiel…
Bouâzza N Moussa n’a pas été épargné. Le Makhezen a su faire usage de sa verve prolifique en le forçant à faire de la poésie élogieuse, d’abord pour faire connaître les « exploits » de l’ère nouvelle post-indépendance, notamment la marche verte, ensuite pour embellir son image. Bouâzza N Moussa était convoqué à toutes les occasions officielles pour vanter les qualités makhzeniennes. Il nous a confié un jour qu’à l’approche de la fête du trône à l’époque de Hassan II, le Caïd, agent d’autorité, le convoquait dans son bureau pour lui intimer l’ordre de se préparer aux parades officielles. C’était pendant les années soixante-dix, quatre-vingt et quatre-vingt-dix où le Makhzen triomphant avait recours à la violence, à l’intimidation et à tous les moyens pour s’implanter et consolider ses assises. A cette l’époque, Bouâzza N Moussa sombrait dans le désespoir et sa poésie qui était jusque-là une poésie de combat et de l’espoir, commençait à verser dans le théologique. Il s’est converti en prêcheur rappelant aux croyants le devenir de l’âme après la mort et les tourments de la tombe.
Bouâzza N Moussa s’est tourné vers la mort après avoir vainement défendu les valeurs qui l’ont imprégné, à savoir la liberté, la justice et l’amour. Cette phase de sa poésie va prendre une teinte plus sombre lorsque son état de santé se détériorait et surtout depuis les années quatre-vingt-dix pendant lesquelles il a subi deux opérations chirurgicales. Réduit à la pauvreté, il n’a d’autre soutien que ses enfants et quelques sympathisants qui ont apprécié son art poétique. Confiné dans le silence de sa maladie qui le rongeait, aucun média ne s’est intéressé à lui hormis quelques rares émissions bâclées, et aucune institution étatique n’a accordé d’intérêt à son art qui est voué à la déperdition. Bouâzza N Moussa a rendu l’âme dans l’indifférence totale, mais dans la dignité. Sa poésie va continuer à retentir dans les montagnes de l’Atlas majestueux. Les générations futures se souviendront toujours de lui parce qu’il a réussi à immortaliser son nom par sa sincérité, la lucidité de sa vision et la profondeur de ses images. Il est mort debout comme ces cèdres de l’Atlas, avec un sourire narquois se moquant de ces vilains hommes sans dignité qui s’enrichissent matériellement et s’appauvrissent moralement. Le cas de Bouâzza N Moussa illustre clairement le sort du poète amazigh et de l’artiste amazigh en général. Dans ce pays, l’autochtone est banni, alors que l’étranger est reçu avec des honneurs et profite de largesses excessives. Les poètes et les artistes amazighs ne rencontreront aucune reconnaissance, aucune récompense. Ce dénigrement est justifié : la langue et la culture amazighes doivent céder le terrain et disparaître à jamais pour le bon plaisir des arabes qui se réjouissent d’étendre leur espace géographique et leur zone d’influence.
Tijani SAADANI (Khénifra)