Je lis en ce moment cette étude anthropologique ( oui je savais pas lol) menée par Jannouss : très détaillé et riche en élements contextuels et ui permettent de comprendre beaucoup sur les tribus du rif ...
Voici une étude qui, malgré son caractère localisé (des montagnards du Rif marocain), donne matière à réflexion et a acquis depuis sa première édition (1981) une place importante dans les études sur l'honneur, valeur omniprésente dans le monde méditerranéen. Les Iqar'iyen présentés dans ce livre n'échap-pent pas à la règle. Chez eux, la terre et les femmes (haram) incarnent l'honneur des hommes et du lignage : les défendre contre toute atteinte constitue l'acte obligatoire par excellence, que l'on ac-complit armes à la main. Il existe ainsi dans les villages des hommes de prestige qui, ayant capté femmes et terres, ont d'autant plus d'occasions de défendre leur honneur, et y risquer leur vie. Toutefois, les conflits d'honneur entre hommes ou entre lignages peuvent être arrêtés par une autre voie : on fait appel à de saints hommes (chorfa), porteurs de la baraka (grâce divine), qui agissent en médiateurs, au nom de la loi musulmane révélée, et peuvent interrompre le cycle des vendettas.
D'où l'idée - développée tout au long de cette étude - que l'honneur et la baraka sont des valeurs qui non seulement coexistent dans le monde des Iqar'iyen, mais sont hiérarchiquement ordonnées : la grâce divine est au-dessus de l'honneur parce qu'elle est aussi la source de l'objet même de l'honneur (la terre, les femmes, la fécondité). Toutefois, ce sont des domaines d'action séparés : l'honneur est source de pouvoir politique, la sainteté en est dépourvue. Seul le sultan incarne la synthèse des deux, et l'on sait à quel point il donne une particularité à ce sous-ensemble musulman qu'est le royaume du Maroc.
On rencontrera, en lisant ce livre, bien d'autres informations concernant la manière dont, dans le Rif marocain, l'organisation lignagère, les règles de transmission des biens, le destin des grands hommes, le déroulé des conflits, l'intervention des chorfa et même le détail des rites de mariage s'éclairent à la lecture des deux notions d'honneur et de baraka. Mais à souligner cet argument, on aperçoit mieux en quoi, même si cette description concerne des réalités disparues, elle nous intéresse aujourd'hui. L'idée que, dans une société musulmane, la séparation du pouvoir politique et de la loi religieuse puisse être aussi clairement pensée et mise en oeuvre détonne dans le paysage actuel des idées, qui affirme généralement que l'islam est, par excellence, une religion politique.
Certes, la formule dépeinte par Raymond Jamous a peu à voir avec ce que l'on nomme la « laïcité », mais elle met en lumière le fait que, en plein coeur du royaume marocain, l'autorité politique et la grâce que dispense le respect de la loi divine peuvent être conçues comme des domaines d'action ordinairement séparés, mais au bout du compte hiérarchisés. Ce qui, en retour, nous invite à nous interroger sur les fondements de notre propre laïcité.
scienceshumaines.fr
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1982_num_34_1_1971
http://arripublika.wordpress.com/2013/06/14/le-massacre-des-iqariyen-par-le-sultan-noir-2/
Voici une étude qui, malgré son caractère localisé (des montagnards du Rif marocain), donne matière à réflexion et a acquis depuis sa première édition (1981) une place importante dans les études sur l'honneur, valeur omniprésente dans le monde méditerranéen. Les Iqar'iyen présentés dans ce livre n'échap-pent pas à la règle. Chez eux, la terre et les femmes (haram) incarnent l'honneur des hommes et du lignage : les défendre contre toute atteinte constitue l'acte obligatoire par excellence, que l'on ac-complit armes à la main. Il existe ainsi dans les villages des hommes de prestige qui, ayant capté femmes et terres, ont d'autant plus d'occasions de défendre leur honneur, et y risquer leur vie. Toutefois, les conflits d'honneur entre hommes ou entre lignages peuvent être arrêtés par une autre voie : on fait appel à de saints hommes (chorfa), porteurs de la baraka (grâce divine), qui agissent en médiateurs, au nom de la loi musulmane révélée, et peuvent interrompre le cycle des vendettas.
D'où l'idée - développée tout au long de cette étude - que l'honneur et la baraka sont des valeurs qui non seulement coexistent dans le monde des Iqar'iyen, mais sont hiérarchiquement ordonnées : la grâce divine est au-dessus de l'honneur parce qu'elle est aussi la source de l'objet même de l'honneur (la terre, les femmes, la fécondité). Toutefois, ce sont des domaines d'action séparés : l'honneur est source de pouvoir politique, la sainteté en est dépourvue. Seul le sultan incarne la synthèse des deux, et l'on sait à quel point il donne une particularité à ce sous-ensemble musulman qu'est le royaume du Maroc.
On rencontrera, en lisant ce livre, bien d'autres informations concernant la manière dont, dans le Rif marocain, l'organisation lignagère, les règles de transmission des biens, le destin des grands hommes, le déroulé des conflits, l'intervention des chorfa et même le détail des rites de mariage s'éclairent à la lecture des deux notions d'honneur et de baraka. Mais à souligner cet argument, on aperçoit mieux en quoi, même si cette description concerne des réalités disparues, elle nous intéresse aujourd'hui. L'idée que, dans une société musulmane, la séparation du pouvoir politique et de la loi religieuse puisse être aussi clairement pensée et mise en oeuvre détonne dans le paysage actuel des idées, qui affirme généralement que l'islam est, par excellence, une religion politique.
Certes, la formule dépeinte par Raymond Jamous a peu à voir avec ce que l'on nomme la « laïcité », mais elle met en lumière le fait que, en plein coeur du royaume marocain, l'autorité politique et la grâce que dispense le respect de la loi divine peuvent être conçues comme des domaines d'action ordinairement séparés, mais au bout du compte hiérarchisés. Ce qui, en retour, nous invite à nous interroger sur les fondements de notre propre laïcité.
scienceshumaines.fr
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1982_num_34_1_1971
http://arripublika.wordpress.com/2013/06/14/le-massacre-des-iqariyen-par-le-sultan-noir-2/