ttention, danger ! Les gardiens du temple veillent. Quiconque émettrait la moindre réserve sur l'oeuvre ou les prises de position de Charlie Hebdos'expose à la vindicte d'une cohorte de censeurs vétilleux, de zélotes fiévreux. Car une nouvelle religion est née : le charlisme. Elle a désormais son rituel liturgique, ses saints, ses prophètes. Prière de s'agenouiller devant l'autel.
Soyons clair : l'auteur de ces lignes a été, comme l'immense majorité des Français, épouvanté par le massacre des malheureux journalistes. Il a éprouvé un réel chagrin pour les victimes et leurs familles. Il a manifesté sa solidarité pour la défense de la liberté d'expression, fondement non négociable de notre démocratie. Mais cet effroi devant un acte odieux n'implique pas d'adhérer à tous les actes et postures de Charlie. De trouver, par exemple, désopilant de caricaturer le pape se faisant sodomiser, ou géniaux les dessins du prophète dont certains étaient parfaitement indigents.
Nous ne sommes pas, non plus, obligés d'approuver la démarche irresponsable qui consiste à jeter de l'huile sur le brasier d'un monde musulman déjà en pleine ébullition sans se préoccuper des conséquences tragiques que cela peut engendrer. La vie des dix personnes tuées au Niger après la dernière livraison de Charlie est aussi précieuse que celles de citoyens français. À l'heure d'Internet et des chaînes d'information continue, on ne peut pas raisonner exclusivement en terme hexagonal, mettre des oeillères, s'enfermer dans une pensée somme toute très franchouillarde.
Charb a été porté en terre au son de l'Internationale : rappelons, tout de même, que ce chant a rythmé les grandes purges staliniennes et les sanglantes étapes de la révolution chinoise, en alternance avec le fameux tube maoïste "L'orient est rouge". Cette musique primesautière a ainsi accompagné le trépas de quelques millions de morts.
Voltaire, nouvel Abraham
La nouvelle religion a trouvé son Abraham : Voltaire. L'immense écrivain a une oeuvre foisonnante et une vie romanesque. Les dévots de Charlie préfèrent retenir de lui son Traité sur la tolérance, publié en 1763 pour réhabiliter Jean Calas - protestant injustement accusé d'avoir assassiné son fils et exécuté -, que se pencher sur d'autres écrits. Par exemple sur L'essai sur les moeurs et l'esprit des nations, ouvrage gigantesque émaillé de réflexions antisémites et racistes que l'on ne pourrait reproduire ici sans risquer de se voir déférer devant les tribunaux. Sur le fond, Voltaire contestait que tous les hommes puissent descendre d'un ancêtre commun : d'où la réfutation du mythe d'Adam et Ève. Et l'antisémitisme moderne doit beaucoup au Siècle des Lumières.
Les adeptes du charlisme préfèrent aussi évoquer la brève incarcération de Voltaire à la Bastille en 1717, pour offense envers le Régent, plutôt que sa nomination en 1745 au poste d'historiographe du roi (Louis XV), avec la charge de gentilhomme de la chambre du roi. Ou ses séjours largement rémunérés - car ce diable d'homme aimait fort l'argent - à la cour de Frédéric II, au château de Sans-Souci, ou auprès de divers autres monarques européens plus ou moins éclairés. Ils sont également enclins à oublier que lors de son admission à l'Académie française, il s'abstint soigneusement de tout propos désobligeant et fit un discours lénifiant sur la poésie. Voltaire était un énorme génie, mais il avait aussi ses faiblesses...
22/01/2015 06:03 Par: Le Point - Actualité
http://lactualite24.com/article/109472/il-est-interdit-de-blasphemer-charlie
Soyons clair : l'auteur de ces lignes a été, comme l'immense majorité des Français, épouvanté par le massacre des malheureux journalistes. Il a éprouvé un réel chagrin pour les victimes et leurs familles. Il a manifesté sa solidarité pour la défense de la liberté d'expression, fondement non négociable de notre démocratie. Mais cet effroi devant un acte odieux n'implique pas d'adhérer à tous les actes et postures de Charlie. De trouver, par exemple, désopilant de caricaturer le pape se faisant sodomiser, ou géniaux les dessins du prophète dont certains étaient parfaitement indigents.
Nous ne sommes pas, non plus, obligés d'approuver la démarche irresponsable qui consiste à jeter de l'huile sur le brasier d'un monde musulman déjà en pleine ébullition sans se préoccuper des conséquences tragiques que cela peut engendrer. La vie des dix personnes tuées au Niger après la dernière livraison de Charlie est aussi précieuse que celles de citoyens français. À l'heure d'Internet et des chaînes d'information continue, on ne peut pas raisonner exclusivement en terme hexagonal, mettre des oeillères, s'enfermer dans une pensée somme toute très franchouillarde.
Charb a été porté en terre au son de l'Internationale : rappelons, tout de même, que ce chant a rythmé les grandes purges staliniennes et les sanglantes étapes de la révolution chinoise, en alternance avec le fameux tube maoïste "L'orient est rouge". Cette musique primesautière a ainsi accompagné le trépas de quelques millions de morts.
Voltaire, nouvel Abraham
La nouvelle religion a trouvé son Abraham : Voltaire. L'immense écrivain a une oeuvre foisonnante et une vie romanesque. Les dévots de Charlie préfèrent retenir de lui son Traité sur la tolérance, publié en 1763 pour réhabiliter Jean Calas - protestant injustement accusé d'avoir assassiné son fils et exécuté -, que se pencher sur d'autres écrits. Par exemple sur L'essai sur les moeurs et l'esprit des nations, ouvrage gigantesque émaillé de réflexions antisémites et racistes que l'on ne pourrait reproduire ici sans risquer de se voir déférer devant les tribunaux. Sur le fond, Voltaire contestait que tous les hommes puissent descendre d'un ancêtre commun : d'où la réfutation du mythe d'Adam et Ève. Et l'antisémitisme moderne doit beaucoup au Siècle des Lumières.
Les adeptes du charlisme préfèrent aussi évoquer la brève incarcération de Voltaire à la Bastille en 1717, pour offense envers le Régent, plutôt que sa nomination en 1745 au poste d'historiographe du roi (Louis XV), avec la charge de gentilhomme de la chambre du roi. Ou ses séjours largement rémunérés - car ce diable d'homme aimait fort l'argent - à la cour de Frédéric II, au château de Sans-Souci, ou auprès de divers autres monarques européens plus ou moins éclairés. Ils sont également enclins à oublier que lors de son admission à l'Académie française, il s'abstint soigneusement de tout propos désobligeant et fit un discours lénifiant sur la poésie. Voltaire était un énorme génie, mais il avait aussi ses faiblesses...
22/01/2015 06:03 Par: Le Point - Actualité
http://lactualite24.com/article/109472/il-est-interdit-de-blasphemer-charlie
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