kitti_3000
تو هَم خَ
La nature est ainsi faite: lhumanité se divise entre hommes et femmes. Cette ligne de partage structure tout notre système de pensée. Religions et mythologies ont établi un rapport immuable entre genre et sexe. Mais cela nallait pas de soi
Cela aurait pu être plus simple. Ou plus compliqué. Nous aurions pu nen avoir quun seul, qui se serait suffi à lui-même. Ou trois, ou quatre. Ou un nombre variant selon les saisons. En mammifères que nous sommes, ce fut deux. Deux sexes. Féminin, masculin. Lun portant les enfants dans son ventre, lautre lui donnant la semence sans laquelle rien ne pourrait germer. Cela fait des dizaines de millénaires que cela dure, que lespèce humaine tente de se débrouiller avec cette dichotomie constitutive. Avec cette familière étrangeté. Avec ce semblable différent. Dune différence si essentielle à la vie quil a fallu convoquer tous les mythes, toutes les religions, pour tenter de lui donner sens.
Françoise Héritier, professeur honoraire danthropologie au Collège de France, fait partie des personnes qui ont le plus réfléchi à cette problématique. Au fil de ses recherches, elle a acquis une conviction: la différence anatomique et physiologique entre lhomme et la femme, apparue comme irréductible dès laube de lhumanité pensante, est à lorigine de notre système fondamental de pensée, qui fonctionne sur le principe de la dualité. «Chaud/froid, lourd/léger, actif/passif, haut/bas, fort/faible Dans le monde entier, les systèmes conceptuels et langagiers sont fondés sur ces associations binaires, qui opposent des caractères concrets ou abstraits et sont toujours marquées du sceau du masculin ou du féminin», affirme-t-elle. Nous penserions peut-être autrement si nous nétions soumis à cette forme particulière de procréation quest la reproduction sexuée.
«Alors Yahvé Dieu fit tomber un profond sommeil sur lhomme, qui sendormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. Puis, de la côte quil avait tirée de lhomme, Yahvé Dieu façonna une femme et lamena à lhomme.» Ainsi naît dans la Genèse, bien distincte et dépendante de lhomme, la mère biblique de lhumanité. De la même manière, la mythologie grecque marque nettement le contraste entre masculin et féminin. La conception de lhomme dans sa version la plus courante est attribuée à Prométhée, qui le façonne avec de largile. Pandora, créée par Héphaïstos, viendra plus tard. Et tous deux, comme Adam et Eve, symboliseront à eux seuls le genre humain.
Ainsi sétablit dans toutes les civilisations fondées sur les religions du Livre un rapport immuable entre le sexe et le genre, selon lequel le sexe impose le genre.
«Dans cette logique, être né anatomiquement mâle nous oblige à jouer le rôle dun homme, avec tous les attributs de la virilité que la société confère à un homme. Il en va de même, mutatis mutandis, pour les femmes. Et toute transgression de cet ordre sera vue comme un péché dans une optique religieuse, ou comme une pathologie dans une optique médicale», résume Marie-Elisabeth Handman, anthropologue à lEcole des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris). Ce nest que très récemment, rappelle-t-elle, que sont apparues dans les sociétés occidentales, par le biais des mouvements gays, lesbiens ou de la pensée queer qui se situe au-delà des genres des perturbations revendiquées de cette dichotomie. Et quon a bien voulu se souvenir quil existe depuis toujours dautres sociétés, soutenues par dautres mythes, dans lesquelles le genre ne va pas de soi.
Le premier à imposer ce constat fut lanthropologue britannique Edward E. Evans-Pritchard. Avec prudence. «Il avait étudié au Soudan lethnie des Azandé, avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais il ne prit le risque de publier ses travaux quen 1970, après avoir pris sa retraite. Et encore: dans une revue américaine!» raconte Mme Handman. Larticle est resté célèbre. Il relate que les guerriers Azandé, avant la colonisation européenne, avaient pour coutume dépouser de jeunes garçons jusquà ce que la richesse acquise au cours de leurs razzias leur permît daccéder à une femme. Le jeune garçon, appelé «ma femme» par son mari, rendait à celui-ci tous les services y compris sexuels que lui aurait rendus une compagne. Une fois que son mari le quittait pour sunir à une femme, il pouvait à son tour épouser un jeune garçon, et ainsi de suite.
Cela aurait pu être plus simple. Ou plus compliqué. Nous aurions pu nen avoir quun seul, qui se serait suffi à lui-même. Ou trois, ou quatre. Ou un nombre variant selon les saisons. En mammifères que nous sommes, ce fut deux. Deux sexes. Féminin, masculin. Lun portant les enfants dans son ventre, lautre lui donnant la semence sans laquelle rien ne pourrait germer. Cela fait des dizaines de millénaires que cela dure, que lespèce humaine tente de se débrouiller avec cette dichotomie constitutive. Avec cette familière étrangeté. Avec ce semblable différent. Dune différence si essentielle à la vie quil a fallu convoquer tous les mythes, toutes les religions, pour tenter de lui donner sens.
Françoise Héritier, professeur honoraire danthropologie au Collège de France, fait partie des personnes qui ont le plus réfléchi à cette problématique. Au fil de ses recherches, elle a acquis une conviction: la différence anatomique et physiologique entre lhomme et la femme, apparue comme irréductible dès laube de lhumanité pensante, est à lorigine de notre système fondamental de pensée, qui fonctionne sur le principe de la dualité. «Chaud/froid, lourd/léger, actif/passif, haut/bas, fort/faible Dans le monde entier, les systèmes conceptuels et langagiers sont fondés sur ces associations binaires, qui opposent des caractères concrets ou abstraits et sont toujours marquées du sceau du masculin ou du féminin», affirme-t-elle. Nous penserions peut-être autrement si nous nétions soumis à cette forme particulière de procréation quest la reproduction sexuée.
«Alors Yahvé Dieu fit tomber un profond sommeil sur lhomme, qui sendormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. Puis, de la côte quil avait tirée de lhomme, Yahvé Dieu façonna une femme et lamena à lhomme.» Ainsi naît dans la Genèse, bien distincte et dépendante de lhomme, la mère biblique de lhumanité. De la même manière, la mythologie grecque marque nettement le contraste entre masculin et féminin. La conception de lhomme dans sa version la plus courante est attribuée à Prométhée, qui le façonne avec de largile. Pandora, créée par Héphaïstos, viendra plus tard. Et tous deux, comme Adam et Eve, symboliseront à eux seuls le genre humain.
Ainsi sétablit dans toutes les civilisations fondées sur les religions du Livre un rapport immuable entre le sexe et le genre, selon lequel le sexe impose le genre.
«Dans cette logique, être né anatomiquement mâle nous oblige à jouer le rôle dun homme, avec tous les attributs de la virilité que la société confère à un homme. Il en va de même, mutatis mutandis, pour les femmes. Et toute transgression de cet ordre sera vue comme un péché dans une optique religieuse, ou comme une pathologie dans une optique médicale», résume Marie-Elisabeth Handman, anthropologue à lEcole des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris). Ce nest que très récemment, rappelle-t-elle, que sont apparues dans les sociétés occidentales, par le biais des mouvements gays, lesbiens ou de la pensée queer qui se situe au-delà des genres des perturbations revendiquées de cette dichotomie. Et quon a bien voulu se souvenir quil existe depuis toujours dautres sociétés, soutenues par dautres mythes, dans lesquelles le genre ne va pas de soi.
Le premier à imposer ce constat fut lanthropologue britannique Edward E. Evans-Pritchard. Avec prudence. «Il avait étudié au Soudan lethnie des Azandé, avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais il ne prit le risque de publier ses travaux quen 1970, après avoir pris sa retraite. Et encore: dans une revue américaine!» raconte Mme Handman. Larticle est resté célèbre. Il relate que les guerriers Azandé, avant la colonisation européenne, avaient pour coutume dépouser de jeunes garçons jusquà ce que la richesse acquise au cours de leurs razzias leur permît daccéder à une femme. Le jeune garçon, appelé «ma femme» par son mari, rendait à celui-ci tous les services y compris sexuels que lui aurait rendus une compagne. Une fois que son mari le quittait pour sunir à une femme, il pouvait à son tour épouser un jeune garçon, et ainsi de suite.