Trop de divorces chez les maghrébins au Canada
À létranger, le malheur narrive jamais seul, le divorce coïncide souvent avec la période difficile, pour la plupart dentre eux durant les premières années de lémigration, au moment même où ils souffrent de léloignement familial, de lisolement et des affres de lexclusion.
Les couples se mettent dans une situation financière difficile, propice aux conflits conjugaux. Une fois sur le sol américain, le rêve croise la réalité du vécu quotidien. La nouvelle comptabilité échappe aux instruments danalyse sur lesquels, limmigrant a fondé son projet démigration. Parmi les surprises qui les attendent sont la non reconnaissance des diplômes, de lexpérience de travail à létranger et le retrait du nom de lépoux de lidentité de sa femme.
Yasmina, 32 ans, avait vendu tous ses bijoux et remit ses économies à son conjoint avant de quitter son pays natal. « Une fois au Canada, lors dune querelle, confie-t-elle, il ma dit : ferme ta ******, cest grâce à moi que tu es ici et si tu nes pas contente, la porte ! Ses propos ont mis le feu dans ma tête, cétait impossible déteindre lincendie ensemble, il fallait que je parte. Je ne pouvais plus le supporter ». Le cas de Yasmina nest malheureusement pas une exception. En fait, 60 % des couples étrangers explosent dans les cinq premières années suivant leur arrivée au Canada. En terme de pourcentage, les Maghrébins sont bien placés. Ce nest pas vraiment une surprise. Il suffit de regarder autour de soi pour sen rendre compte. Les agents de limmigration ne cachent plus la vérité aux nouveaux arrivants qui assistent aux séances dinformations du ministère de limmigration du Québec.
Lintervention de lImam, de la mosquée Abou Bakr Essedik, na pas surpris les fidèles le dimanche 4 mai 2003 lorsquil a déclaré quil y a un grand problème lié au divorce. Entre midi et 17h00, dit-il, quinze personnes sont venues me voir pour le divorce, cest trop ! ». Bénévole, Farid Mékideche a été témoin de plusieurs cas et son expérience est riche denseignements. Depuis 17 ans, plusieurs couples se sont séparés dans son entourage. Au début, confie-t-il, « je ne comprenais pas ce qui se passait, mais il fallait intervenir rapidement auprès des familles. La médiation était difficile, mais nécessaire.
Sur les 12 cas où jai eu à intervenir, un seul sest soldé par un échec ». Lhomme daffaires montréalais, avait pensé former un comité de sages pour intervenir dans les affaires délicates touchant la communauté, mais il a été confronté à plusieurs obstacles. Il reconnaît lui-même que cest difficile de convaincre les gens du bien fondé de son projet, cependant il ne désespère pas, en compagnie dun Imam, il a rendu visite à une femme séparée, le but étant doffrir des services de médiation pour elle et son époux. Mais laccueil a été mouvementé : « Après les présentations, dit-t-il, la femme a menacé dappeler la police si on ne repartait pas tout de suite ». Alors lImam ma dit : « Je nai rien à faire ici, jai fait ce que je devais faire, nous partons maintenant ».
De leur côté, les associations communautaires se battent seules pour apporter un peu de réconfort aux personnes en difficulté. La plupart de ces associations, comme le Centre Culturel Algérien, le Regroupement des Marocains au Canada (RMC), le Regroupement des Algériens au Canada (RAC) ou encore les Services Sociaux à la Famille Musulmane du Québec (SSFMQ) sont privées de financement, elles vivent de dons.
Tout à refaire
Ce nest pas facile pour les nouveaux immigrants de percer rapidement dans une société qui remet en cause tous les acquis obtenus au pays dorigine (formations, diplômes et expériences de travail). De plus, les immigrants ne sont pas habitués à la rigueur administrative, ni aux lois quils ne connaissent pas bien. Une fois en Amérique du Nord, on les traite comme sils avaient grandi dans la culture occidentale. On reconnaît leurs torts, mais pas leurs acquis. Autant dobstacles à lintégration immédiate. Cest la période la plus critique estimée entre un et cinq ans où tout peut basculer dans la vie dun couple. Dans un premier temps, ils doivent se contenter de la portion congrue de laide sociale et des allocations familiales en attendant dintégrer le marché du travail. Pour faciliter leur adaptation, la majorité des nouveaux arrivants sétablissent parmi les leurs, dans un quartier à leur image. Cest dans les lieux publics, (parcs de jeux, magasins et marchés) quils font connaissance avec des personnes issues de leur communauté. Et souvent, grâce aux enfants qui provoquent les rencontres. Au Canada, lépouse prend conscience du rôle quelle peut jouer au sein de la société, du pouvoir et des privilèges de la femme dans la famille. Bien informée, elle pèse le pour et le contre avant de réagir, mais chose certaine, elle ne veut plus subir. Limage de réussite que lui renvoient les femmes célibataires issues de toutes les communautés renforce ses pensées et au risque de tout bouleverser, elle veut changer les rapports de force au foyer. Surpris, le mari ne voit pas les choses de la même façon. À partir de ce moment, le couple sengage dans une aventure périlleuse.
Le cauchemar sempare du rêve
Dans ces moments difficiles, tout sépare le couple, le coupable cest toujours lautre. La femme craque souvent en premier, coupée de ses racines après avoir tout abandonné derrière elle. Confrontée au choc culturel, un phénomène qui touche les nouveaux immigrants, elle a du mal à supporter léloignement. Les parents, les frères et soeurs manquent, entendre leur voix chaque semaine ne suffit pas à combler le vide ni à stopper les larmes. Enfermée dans un quartier nouveau où il faut tout réinventer et tout apprendre, rien ne la rattache à ce quelle a vu et connu dans son pays dorigine. Les moments de détente et de divertissement sont gâchés par les médias. La télévision napporte pas grand-chose, les faits divers dominent. Lactualité locale et internationale sont déprimantes et ne parlent que de violence. Cest la solitude totale. La plupart des femmes pleurent les premiers mois. Elles se sentent ignorées et parfois humiliées. Le manque daffection et damour devant lincompréhension du conjoint fait naître les premiers signes de désaccord. Les mauvais souvenirs du couple remontent à la surface. Chacun accuse lautre de lavoir entraîné dans une aventure insensée. Tout éclate devant les enfants qui ne savent plus vers qui se tourner. Cest le début du processus infernal qui mène à la séparation, il est insupportable.
La séparation du couple
La situation senvenime entre les époux, lhomme tremble lorsque la femme menace de composer le 911, lun des deux va poursuivre lautre devant la justice. Cest souvent la femme. La panique dans le couple, la détresse et laffolement conduisent aux erreurs immenses, dont celle de dire nimporte quoi à nimporte qui et nimporte où. Qui doit partir ? La plupart du temps, le coeur brisé à cause des enfants, le père quitte le foyer ou se retrouve en prison après lintervention des policiers. Dans dautres cas, lépouse battue et abattue est placée dans un centre daccueil pour femmes. Des principes bidon sont parfois à lorigine du conflit. On saccroche à nimporte quoi pour briser un foyer fragile. . La plupart des femmes ont fait des sacrifices énormes pour participer, aux côtés de leur mari, à leffort démigration. Comme Yasmina, elles ont donné leurs yeux pour venir au Canada. Par ailleurs, durant les premières semaines et les premiers mois qui suivent la séparation, le père paie cher léchec conjugal. Il ne peut pas voir ses enfants comme il le souhaite et même lorsquils sont avec lui, il a du mal à les voir repartir. Cette épreuve difficile est vécue péniblement par les hommes qui doivent graduellement composer avec le sort en attendant la décision dun juge. Les ex-époux ne peuvent plus se voir et si loccasion se présente, cest la haine qui guide leurs conversations.
Pousser le drame à lextrême
Dans la plupart des cas de divorce, les enfants se retrouvent du côté de la mère, une situation normale, mais injuste, car certaines femmes exploitent la naïveté des enfants pour les dresser contre le père dans un pays où les gens croient dur comme fer que les enfants ne mentent pas. Certaines épouses poussent le drame à lextrême : elles ne cherchent plus à obtenir le divorce, mais elles veulent se débarrasser complètement de leur époux. Cest la pire chose qui puisse arriver un jour à un père. Affronter publiquement ses propres enfants et que ces derniers, les yeux dans les yeux, laccusent devant un juge de choses invraisemblables, tels linceste et lharcèlement sexuel. À ce drame, en succède un autre au moment où le père est désorienté par la séparation et inquiet du sort de sa progéniture.