Fitra
Allah, Souria, Houria wa bass
http://www.monde-diplomatique.fr/2016/02/DESQUESNES/54703
Aujourd’hui, les ressorts symboliques et les modes d’action d’un mouvement né sous la colonisation se réactivent. A cet égard, le lynchage du 28 septembre 2015 dans le village de Bisara, dominé par la haute caste des Rajput (5), est significatif. Les personnes interpellées, celles qui ont mené la foule vers la maison, appartiennent au BJP ou — pour le fils du chef du village, notamment — aux milices du Sangh Parivar.
Des centaines de chrétiens ont été menacés l’an dernier en Inde. Plusieurs musulmans soupçonnés d’avoir mangé de la vache ont été battus à mort.
par Naïké Desquesnes
Au nom du combat pour la protection de la vache, une série d’assassinats de musulmans a été perpétrée fin 2015. Le 28 septembre, dans un village du nord du pays, en Uttar Pradesh, 200 personnes ont lynché à mort un homme d’une cinquantaine d’années et grièvement blessé son fils sous prétexte que la famille avait mangé de la viande de bœuf. Le 9 octobre, au Jammu-et-Cachemire, une bombe artisanale a été lancée contre un camion transportant des vaches. Le jeune conducteur, musulman, a succombé à ses brûlures. Cinq jours plus tard, dans l’Etat voisin de l’Himachal Pradesh, un musulman de 20 ans suspecté de trafic de bovins a été battu à mort par plusieurs individus. Le 2 novembre, un autre a été tué par une foule d’hindous qui l’accusaient d’avoir volé une vache.
...
C’est un religieux arrivé quelques semaines plus tôt, comme les prédicateurs nomades d’antan, qui a lancé la rumeur dans un prêche : au temple, il a accusé la famille Akhlak d’avoir tué un veau (il s’agissait en réalité d’une chèvre). En guise de « lettre boule de neige », la photographie d’une carcasse a circulé sur les téléphones portables.
Dans le nord de l’Inde, les brigades spéciales se multiplient. Leurs miliciens s’affublent de bandanas orange, la couleur du Sangh Parivar, pour patrouiller et bloquer les camions de bétail qui leur paraissent suspects, avant de s’attaquer au conducteur lorsqu’il est musulman. Comme à l’origine du mouvement, les vaches rescapées sont ensuite parquées dans des enclos tenus par des sociétés de protection de l’animal. « Souvent, les vaches volées sont revendues au marché noir à des bouchers par les fameux sauveurs, précise la politologue Charlotte Thomas (6). C’est là toute l’hypocrisie de ce mouvement. »
...
Heureusement, certains Indiens construisent des solidarités. Un « festival du bœuf » non confessionnel se tient chaque année à l’université Osmania d’Hyderabad, dans le centre du pays. « Avec une double revendication, analyse Bruckert : défendre une société séculariste et affirmer la respectabilité d’une pratique. » Pour la première fois, l’édition de décembre 2015 a entraîné l’arrestation d’une trentaine d’étudiants — sur la centaine qui avait dégusté la fameuse viande — pour « consommation de bœuf en public ».
Aujourd’hui, les ressorts symboliques et les modes d’action d’un mouvement né sous la colonisation se réactivent. A cet égard, le lynchage du 28 septembre 2015 dans le village de Bisara, dominé par la haute caste des Rajput (5), est significatif. Les personnes interpellées, celles qui ont mené la foule vers la maison, appartiennent au BJP ou — pour le fils du chef du village, notamment — aux milices du Sangh Parivar.
Des centaines de chrétiens ont été menacés l’an dernier en Inde. Plusieurs musulmans soupçonnés d’avoir mangé de la vache ont été battus à mort.
par Naïké Desquesnes
Au nom du combat pour la protection de la vache, une série d’assassinats de musulmans a été perpétrée fin 2015. Le 28 septembre, dans un village du nord du pays, en Uttar Pradesh, 200 personnes ont lynché à mort un homme d’une cinquantaine d’années et grièvement blessé son fils sous prétexte que la famille avait mangé de la viande de bœuf. Le 9 octobre, au Jammu-et-Cachemire, une bombe artisanale a été lancée contre un camion transportant des vaches. Le jeune conducteur, musulman, a succombé à ses brûlures. Cinq jours plus tard, dans l’Etat voisin de l’Himachal Pradesh, un musulman de 20 ans suspecté de trafic de bovins a été battu à mort par plusieurs individus. Le 2 novembre, un autre a été tué par une foule d’hindous qui l’accusaient d’avoir volé une vache.
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C’est un religieux arrivé quelques semaines plus tôt, comme les prédicateurs nomades d’antan, qui a lancé la rumeur dans un prêche : au temple, il a accusé la famille Akhlak d’avoir tué un veau (il s’agissait en réalité d’une chèvre). En guise de « lettre boule de neige », la photographie d’une carcasse a circulé sur les téléphones portables.
Dans le nord de l’Inde, les brigades spéciales se multiplient. Leurs miliciens s’affublent de bandanas orange, la couleur du Sangh Parivar, pour patrouiller et bloquer les camions de bétail qui leur paraissent suspects, avant de s’attaquer au conducteur lorsqu’il est musulman. Comme à l’origine du mouvement, les vaches rescapées sont ensuite parquées dans des enclos tenus par des sociétés de protection de l’animal. « Souvent, les vaches volées sont revendues au marché noir à des bouchers par les fameux sauveurs, précise la politologue Charlotte Thomas (6). C’est là toute l’hypocrisie de ce mouvement. »
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Heureusement, certains Indiens construisent des solidarités. Un « festival du bœuf » non confessionnel se tient chaque année à l’université Osmania d’Hyderabad, dans le centre du pays. « Avec une double revendication, analyse Bruckert : défendre une société séculariste et affirmer la respectabilité d’une pratique. » Pour la première fois, l’édition de décembre 2015 a entraîné l’arrestation d’une trentaine d’étudiants — sur la centaine qui avait dégusté la fameuse viande — pour « consommation de bœuf en public ».