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Sa particularité? Contrairement aux traitements précédents, efficaces dans un peu plus d'un cas sur deux avec des effets secondaires redoutables - dépressions, troubles de la personnalité, etc. -, il guérit 90 % des patients sans douleur.
Mais cette efficacité a un prix tellement élevé que le Sovaldi, autorisé en France depuis octobre 2013, menace dès cette année de faire déraper à lui seul les comptes de l'Assurance-maladie.
Le traitement, qui dure en général trois mois, coûte 56.000 euros.
Soit près de 670 euros le comprimé, pas loin du prix du tout nouvel iPhone 6. Pire, le Sovaldi doit être pris avec une autre molécule coûtant 35.000 euros.
Soit une facture totale qui tutoie les 100.000 euros. Bref, ce traitement, intégralement remboursé par la Sécu, revient trois à cinq fois plus cher que les produits utilisés auparavant.
Résultat, à la fin août, la Sécu avait déjà réglé à Gilead une facture de près de 440 millions d'euros.
200.000 patients à traiter en France
Ces prix ne sont pas inédits dans le monde de la santé. Mais les médicaments aussi chers concernaient jusqu'à présent des maladies orphelines, qui touchent très peu de patients.
Ainsi, le Kalydeco de Vertex, qui arrivera en France fin novembre, coûtera 19.500 euros. Mais il soigne la mucoviscidose, qui touche 6800 personnes en France.
Or, l'hépatite C affecte environ 200.000 personnes dans l'Hexagone, dont la moitié est dépistée. À ce tarif, soigner tout le monde coûterait des milliards.
Lucide, la Haute Autorité de santé préconise pour l'instant de ne traiter avec le Sovaldi que les patients les plus atteints, ceux qui souffrent de cirrhoses de niveau 3 et 4. Toutefois, même en ne soignant que 10.000 à 15.000 patients en 2014, la Sécurité sociale devra débourser près de 1 milliard d'euros, soit plus de 4 % du budget médicament en France. Avec un tel montant, le Sovaldi délogera dès cette année le Lucentis à la première place du classement des médicaments les plus coûteux pour la Sécu. Et il devrait peser encore plus lourd en 2015 à l'issue de sa montée en charge, quand le nombre de patients traités atteindra 25.000.
Pour autant, le prix actuel n'est pas encore définitif. Il fait l'objet d'âpres négociations au sein du très secret Comité économique des produits de santé (CEPS), instance où se négocient tous les prix des médicaments entre État et industriels. De ce bras de fer à plusieurs milliards dépend la facture finale, sachant qu'une fois l'accord conclu, le laboratoire devra rembourser la différence entre le tarif retenu et le prix actuellement payé par la Sécu. Pour les pouvoirs publics, la partie est complexe, car les prix français peuvent difficilement être très éloignés de ceux des autres pays. Or le Sovaldi est vendu 84.000 dollars (66.000 euros) aux États-Unis, 49.000 euros en Allemagne et 43.000 euros au Royaume-Uni. Mais nos voisins d'outre-Rhin réviseront le prix à la baisse au bout d'un an de commercialisation. De leur côté, les Britanniques n'ont prévu de soigner que 500 patients cette année!
Bien que très élevés, ces tarifs n'ont rien à voir avec le prix espéré au départ pour le Sovaldi. Pharmasset, qui a développé le traitement, avant d'être racheté par Gilead en 2011, comptait initialement commercialiser sa pilule miracle aux alentours de 19.000 euros en Europe.
Négociations à huis clos
Auprès du CEPS, Gilead avance une batterie d'arguments pour justifier le tarif de son médicament vedette. Au-delà de son efficacité et de son confort d'utilisation, le Sovaldi agit en trois mois seulement.
Son coût est faible, comparé à celui d'une transplantation de foie (une opération de 100.000 euros) pratiquée dans les cas extrêmes. A
utre argument: le Sovaldi guérit rapidement, ce qui permet aux patients de retrouver très vite une vie normale et de travailler.
Si l'Assurance-maladie amortissait son coût «sur vingt ou trente ans», le traitement reviendrait à «près de 2000 euros par an et le débat actuel n'aurait pas lieu», fait valoir Michel Joly, président de Gilead France.
«Le Sovaldi produira des économies largement après 2017, rétorque Frédéric Van Roekeghem, le directeur général de l'Assurance-maladie.
Or, les engagements budgétaires de la France auprès de Bruxelles sont triennaux, non pas décennaux!» Du côté de la Sécurité sociale, on estime d'ailleurs que le Sovaldi serait très largement rentable pour Gilead aux alentours de 20.000 euros le traitement. Une étude qui circule sous le manteau établit même que le laboratoire américain rentabiliserait son investissement en France dès 8300 euros. Sept fois moins cher que le prix pratiqué aujourd'hui.
Pendant que se poursuivent les négociations à huis clos, le député socialiste - et médecin - Gérard Bapt mène l'offensive. Il s'étonne dans une lettre au directeur général de l'ANSM, l'Agence nationale de sécurité du médicament, d'un prix «inaccessible pour l'Assurance-maladie». Et demande pourquoi le traitement concurrent du laboratoire Abbvie, «d'efficience comparable», en attente d'homologation, n'a pas obtenu, comme cela s'est fait pour le Sovaldi, une autorisation temporaire d'utilisation.
Un prix fixé par l'État?
«Un labo ne peut pas capter à lui seul tout seul les capacités financières d'un pays en faveur de l'innovation thérapeutique, plaide Frédéric Van Roekeghem. Si la négociation avec Gilead n'avance pas, il faut envisager un autre système de fixation du prix.» Une menace à peine voilée quand on sait que les laboratoires pharmaceutiques tiennent beaucoup au système actuel de négociation avec le CEPS. Gérard Bapt suggère pour sa part de lancer pour le Sovaldi une procédure de «licence obligatoire». Cette arme ultime consiste pour les pouvoirs publics à autoriser un tiers à fabriquer le produit breveté sans le consentement du titulaire du brevet. «Le CEPS pourrait aussi fixer le prix de façon unilatérale», suggère de son côté Khalil Elouardighi, de l'association de lutte contre le sida Coalition Plus.
Le gouvernement ne semble pas envisager aujourd'hui d'en venir à ces mesures extrêmes. Une autre piste serait à l'étude: la réactivation d'une taxe permettant à l'Etat de prélever une partie du chiffre d'affaires français des laboratoires, lorsque ceux-ci dépassent le plafond maximal de dépenses autorisées. Pour ne pas pénaliser les labos qui pratiquent des tarifs raisonnables, celle-ci pourrait être dans un premier temps réservée aux médicamens traitant l'hépatite C, afin de faire entrer le Sovaldi dans le champ d'application de cette disposition sans pour autant le viser spécifiquement.
La France a également lancé un mouvement inédit dans l'Union européenne. En juillet, elle a convaincu quatorze pays de réfléchir ensemble sur ce problème de coût d'un médicament qui fait exploser les compteurs. La partie est toutefois loin d'être gagnée. «Nous allons négocier pays par pays, mais en échangeant nos informations», avait alors indiqué Marisol Touraine, ministre de la Santé.
Désigner des patients prioritaires
Cette affaire pose en tout cas une question nouvelle et embarrassante au ministère de la Santé et à l'Assurance-maladie: quel budget faut-il accorder à ce traitement et combien de personnes veut-on soigner chaque année? «C'est la première fois en France que l'on doit définir des priorités et autoriser en amont toute prise en charge des patients parce que le prix est incompatible avec les objectifs financiers fixés par le Parlement», se désole Frédéric Van Roekeghem. Dans les cabinets médicaux, la situation est parfois vécue de façon dramatique par les praticiens. «Chaque jour, je dois dire à mes patients: j'ai un médicament qui peut vous guérir, sans effets secondaires, mais je ne peux le prescrire parce qu'il est trop cher, témoigne le professeur en hépatologie au CHU de Bordeaux Victor de Ledinghen. C'est la première fois en France qu'un médicament qui guérit ne peut pas être prescrit.»
Le suspense autour du prix final du Sovaldi est à son comble. Il en va de l'équilibre du budget de l'Assurance-maladie, mais surtout de la vitesse à laquelle on pourra se débarrasser de cette maladie. Gilead propose de le faire en quinze ans. Mais avec un prix plus faible, cela pourrait aller beaucoup plus vite.
FAUT IL EN RIRE OU EN PLEURER
mam