Je fais souvent ce cauchemar si réel et convaincant

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Mims

Date limite de consommation : 26/01/2033
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Un extrait d'un texte d'Agnés Maillard que j'apprécie particuliérement, et qui résonne en moi bien plus comme une évidence en ce mois de privation diurne, quand les besoins élémentaires ne sont pas comblés, et quand la spiritualité nous rappelle combien le bonheur véritable réside dans l'infiniement peu .

Extrait de Le monolecte d'Agnès Maillard


Plus tu regardes la télé, plus ta vie te semble merdique et plus tu dépenses les thunes que tu n'as pas à l'hyper du coin pour compenser?
Ben c'est normal, c'est fait pour cela.
Parce que cela fait depuis toujours que l'on te répète que tu as le droit au bonheur, que c'est normal, que c'est pratiquement le sens de la vie. Et comme le bonheur que l'on te montre est un rêve petit bourgeois d'acumulation matérielle, ben, tu acceptes des tas de choses rien que pour gagner de quoi te payer quelques miettes de ce bonheur universel.
Sauf, bien sûr, que tout cela n'est qu'une vaste arnaque, un jeu d'ombre où c'est toi le pigeon.
Parce que plus tu achètes pour te sentir moins vide, et plus tu dilues ta substance. Il y a toujours l'éphémère jouissance de l'acquisition, le coït commercial où tu t'appropries un objet et surtout les qualités magiques dont la pub l'a paré. Et puis, rien. L'insatisfaction. Parce qu'il y a mieux, ailleurs. Parce que tu as beau courir, il te manquera toujours quelque chose pour atteindre la vie de tes rêves (enfin des rêves que d'autres ont pensé pour toi). Parce qu'elle n'est pas réelle.
Parce que dans la vraie vie, le tartre s'accroche quand même aux chiottes, d'autant plus que tu y vas régulièrement. Que quand tu manges des trucs indus, tu n'es ni beau, ni en pleine santé et que tu as des tripes qui font la gueule. Que ta bagnole, c'est un gouffre financier, que ta maison, c'est du préfa pourri que tu vas payer pendant 25 ans en te chiant dessus à l'idée de te faire lourder de ton boulot de ***** et que ta télé 16/9 continue à te narguer avec son bonheur factice.

Le pré est vide
Le bonheur n'est pas en solde. Ce n'est pas une affaire de boutiquiers. Ni même un rêve collectif. Il ne sert à rien de lui courir derrière. Le bonheur n'est pas dans le pré, ni ailleurs. Ce n'est pas le premier prix d'une course effrénée. Ni le salaire de la peur et de la renonciation. C'est ce que je disais en préambule : parler de recherche du bonheur est une arnaque en soi.
 
Parce que le bonheur est un état d'esprit. Rien d'autre.
Je pense qu'il y a plein de gens qui sont tellement tendus dans leur recherche folle du bonheur qu'ils sont totalement infoutus de le ressentir quand il leur tombe sur le coin de la gueule. Il n'y a pas de fanfare céleste et de petits angelots qui brament dans des torrents de lumière. Non, rien. Ce sont juste des moments, des instants, plus ou moins longs, plus ou moins nombreux. N'importe où, n'importe quand. Un bon moment avec des gens qu'on l'aime. Quelque chose de beau ou de touchant. Des moments où l'on se sent terriblement vivant et où l'on a conscience de l'extrême fragilité de cette vie et du privilège immense qu'il y a à la vivre.

On peut vivre des moments de bonheur intense dans les pires moments de l'existence. Peut-être parce que l'on sent qu'ils peuvent être les derniers. Dans un thé au sahara, il y a, vers la fin, une citation de Paul Bowles, un petit texte où il parle du côté très éphémère de l'existence : combien de printemps dans toute une vie humaine? Combien nous reste-t-il encore de floraisons à vivre? 50? 30? 10? Aucune? Peut-être était-ce la dernière fois que je voyais fleurir les roses de mon jardin. C'est pour cela que c'est beau. Touchant. C'est pour cela que nous avons cette aptitude au bonheur. Parce que chaque instant peut être le dernier. Parce que nécessairement, tout cela va s'arrêter.

Ce n'est pas morbide. Ni triste. C'est probablement ce qui donne toute sa saveur à la vie. Ce qui fait que nous nous levons chaque matin et que nous continuons le plus souvent, coûte que coûte, malgré tout. C'est parce que le temps joue contre nous qu'il est précieux. Et c'est en prenant conscience de cela que j'ai découvert ma propre aptitude au bonheur :

Profiter des bons moments, tant qu'ils sont là!
Et comme dirait l'autre pubard, cela n'a pas de prix!
 
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