Salut, ton témoignage date un peu mais je viens juste de m'inscrire (salut à tous et toutes d'ailleurs en passant!) d'où le décalage...
Je ne suis pas tout à fait dans le même cas que toi mais je comprends ton sentiment, je m'explique. Je suis le fruit d'un couple algéro-tunisien. Mes parents se sont (trop?) longtemps demandé quel dialecte privilégier à la maison car à l'époque, des pédiatres leur avaient conseillé de limiter l'apprentissage de la langue maternelle à une ou deux au max. Naïvement mes parents se sont dit que le français nous servirait plus dans l'immédiat pour nous débrouiller ici. Pour le reste ils ont pensé qu'en discutant entre eux et dans le cercle familial dans leurs dialectes respectifs (il y a quand même évidemment une base commune entre l'algérien et le tunisien) nous nous en imprégnerions suffisamment durant l'enfance pour nous débrouiller plus tard avec nos pairs et au bled. Résultat des courses, notre arabe est très approximatif, même si nous le comprennons à peu près, lorsque nous maîtrisons parfaitement le français (nous avons toujours été en tête de classe et avons tous fait des études de 3eme cycle), parfois mieux que les nationaux de souche, ce qui n'a pas manqué de nous poser des problèmes lol Plus que de la honte au sens moral du terme, je crois que c'est un malaise que l'on ressent, au pays comme ici au sein de la communauté quand on est confronté à des personnes s'adressant spontanément à nous en arabe, du fait de notre nom, apparence ou du lieu dans lequel on se trouve. Ce malaise n'a aucune raison d'être une honte car je n'ai pas choisi cette situation vis-à-vis de ma langue maternelle. Je la vis plutôt comme une blessure, une cicatrice mal suturée de mon immigration, un particularisme supplémentaire. Nombreuses ont été les réponses précédentes qui ont simplement conseillé d'apprendre la langue pour combler cette béance. C'est ici que l'incompréhension se crée: Par définition, on n'apprend pas sa langue maternelle, on la possède, point barre. C'est justement le fait d'apprendre une langue par un biais autre que parental qui la rend étrangère. Bien sûr à tout âge cette appréhension est possible, cependant elle ne sera pas spontanée, naturelle, et affective car le lien d'héritage culturel est défait. C'est ça qui fait mal. Je n'en veux pas à mes parents car ils se sont fait abusé par ce médecin mais aujourd'hui cela me pèse, comme lalala30 le disait, surtout lorsque tout le reste de nos attributs est arabe et que notre identité est parfois encore plus marquée orientale ou méditérranéenne que les arabophones de naissance. Vu de l'extèrieur les gens de la communauté sont prompts au jugement et au rejet, ce qui ne facilite pas les choses. Tu es souvent perçu comme un désintégré, la plupart du temps on ne cherche pas à comprendre ta spécificité, ta trajectoire, on t'exclue et ensuite on catalogue, tu es ci, tu es ça, mais sûrement pas un arabe, comme si la communauté maghrébine de france avait le monopole de l'arabité, de ce qu'est un algérien, un tunisien, ou un marocain.
La langue est un vecteur, une clé d'entrée vers une culture, et j'aurai vraiment souhaité recevoir ce trésor de mes parents, tout aurait été plus simple pour moi, surtout dans les rapports familiaux au bled, pour avoir des discussions plus poussées que les simples formalités, avec les anciens notamment. Mais ça n'est pas le cas, je ne peux pas faire comme si j'avais cette composante identitaire en moi, c'est un vide, il faut juste savoir quoi en faire, comment le vivre.