Chahyine
Proud to be a ZMAG
Le MONDE
17 janvier 2009
Depuis le début de l'offensive d'Israël, la bataille des images fait rage. Mardi 13 janvier, " Le Monde " a regardé deux grands journaux télévisés : l'un israélien, l'autre arabe. Une comparaison édifiante
Jérusalem, Gaza : la guerre des JT
JÉRUSALEM CORRESPONDANCE
Mardi 13 janvier, 20 heures sur la deuxième chaîne israélienne. La caméra plonge sur le plateau du journal télévisé le plus regardé du pays. Sur fond de déflagrations dans la ville de Gaza, Yonit Levi, présentatrice de 31 ans et atout chic et charme de la chaîne, annonce l'information du jour en Israël : " Un soldat grièvement blessé dans l'explosion d'une maison piégée. "
Aussitôt l'image bascule vers la zone frontière, pour une intervention en direct de Roni Daniel, le commentateur militaire de la rédaction. Massif, la soixantaine burinée, cet ancien colonel de réserve est un porte-parole bis, qui distribue à longueur d'interventions, bonnes et mauvaises notes aux militaires. Il résume les progrès de l'opération " Plomb durci " et reprend le communiqué de l'armée, qui évoque, images à l'appui, la découverte d'une batterie antiaérienne dans une mosquée. " Le chef d'état-major a encore du boulot à faire ", assène-t-il.
Retour en studio. Après un topo diplomatique d'Ehud Ya'ari, le spécialiste " des affaires arabes " de la chaîne, qui annonce " qu'on approche de la fin ", Yonit Levi lance un reportage sur la victime du jour, le lieutenant parachutiste Aharon Karov qui, deux semaines plus tôt, célébrait son mariage. Les images le montrent en compagnie de sa promise, sous la " huppa ", le dais nuptial.
Suivent deux interventions en direct, depuis Ashkelon et Sderot, les cibles des treize roquettes lancées ce jour-là par le Hamas. A Beersheba, un troisième correspondant annonce que pour des raisons de sécurité, toutes les écoles seront fermées, " à l'exception des classes de première et terminale ".
Vingt minutes après le début du journal, Yonit Levi donne la parole aux Palestiniens. Les images montrent des maisons détruites dans le camp de réfugiés de Jabaliya, au nord du territoire palestinien. " La population est déçue parce que le Hamas a refusé le cessez-le-feu ", dit le commentaire. " On nous a déjà expulsés de chez nous en 1948 et 1967, la situation est très dure ", raconte un homme occupé à fouiller dans une benne à ordures.
Le sujet s'attarde quelques secondes sur les funérailles d'un médecin tué dans les combats et privé de sépulture, car le cimetière du centre-ville est déjà plein. " A Gaza, il est difficile de vivre et difficile de mourir ", conclut le commentaire.
Après cette parenthèse palestinienne, le journal retourne pour quarante minutes à l'actualité vue d'Israël. Un reportage auprès de réservistes déployés sur le site de l'ancienne colonie de Netzarim ; un sujet sur les obus au phosphore blanc, cette arme que l'armée est accusée d'utiliser contre les civils ; une enquête sur les crèches fortifiées de Sderot qui faute de raccordement au réseau électrique n'ont pas pu encore ouvrir ; un reportage sur le gérant d'une salle de banquet d'Ashdod, dépité par la fuite des clients ; un entretien avec la mère d'un soldat mort par accident dans le tir d'un tank israélien - " Je voudrais rencontrer les soldats qui ont tué mon fils. Je voudrais les serrer contre moi pour qu'ils cessent de se sentir coupables. " Entre-temps, Roni Daniel livre une nouvelle fois son analyse. " Chaque jour de guerre supplémentaire est un bonus pour Israël car cela accentue la pression sur le Hamas ", dit-il.
Il est 22 heures, changement de chaîne. Et changement radical d'ambiance. La grande édition du soir débute sur Al-Jazira, la télévision d'information qatarie, porte-voix des masses arabes. " Cinquante nouveaux martyrs à Gaza ", annonce le présentateur tunisien, Mohamed Kreishan, devant l'image d'une femme au voile souillé de sang.
Sa collègue en plateau, la Libanaise Jumana Nammour, lance dans la foulée une vidéo fournie par le Hamas, où l'on voit un soldat israélien s'effondrer, touché, semble-t-il, par un tireur d'élite palestinien. " Nous n'avons pas pu authentifier ce film ", prévient la présentatrice.
Un compte rendu des événements de la journée s'ensuit, où le ministre de la défense israélien, Ehoud Barak, est cité, affirmant que " - les - troupes - israéliennes - sont dans la plupart des quartiers de Gaza ".
Puis les deux principaux correspondants de la chaîne, Samir Abu Shamaleh à Gaza et Elias Karar à Ashkelon, interviennent en duplex. Le premier évoque " la plus grande bataille terrestre entre la résistance et les forces d'occupation depuis le début de la guerre ", avant de résumer les communiqués publiés par les différents groupes armés palestiniens. Le second parle de " la plus calme journée de la guerre en Israël, avec seulement douze roquettes ", puis cite les chiffres officiels de l'armée israélienne, qui recense " neuf soldats tués depuis le début de l'offensive, dont quatre par accident ".
Entre chaque sujet, les mêmes images reviennent en boucle, accompagnées d'une musique dramatisante : la femme au voile ensanglanté, la fillette momifiée par les bandages, l'homme avec le visage en bouillie. Sur le plateau, un expert militaire affirme qu'" au nord, la résistance a obligé les blindés à faire machine arrière ". " Pourtant, glisse un présentateur, le journal israélien Yédiot Aharonot affirme que les soldats se sentent en sécurité. " " Oui, répond l'expert, il faut bien l'admettre, car ils progressent dans leurs tanks. "
Le journal se poursuit avec une série de reportages sur l'hécatombe causée par l'attaque israélienne. Dans le quartier de Zeïtoun, un père de famille raconte comment, selon lui, deux de ses filles ont été abattues par des tireurs d'élite. " Celle de 2 ans a pris douze balles ", affirme-t-il. Samar, la survivante âgée de 4 ans, dit d'une voix fluette qu'une balle lui est rentrée dans le dos et qu'elle est désormais paralysée. " Comment faire la paix dans le futur avec un Etat qui commet des actes pareils ", déclare le journaliste en conclusion du reportage.
Au milieu de cet étalage de souffrances, une minute est accordée à l'Autorité palestinienne. Son président, Mahmoud Abbas, appelle le Hamas à adopter le plan de l'Egypte " qui fait tout pour arrêter les attaques ". Les intervenants qui lui succèdent critiquent tous cette initiative. A l'image d'Azmi Bishara, un ancien membre de la Knesset (le Parlement israélien), exilé au Qatar du fait des poursuites pour espionnage et blanchiment d'argent lancées à son encontre par la justice israélienne. " L'Egypte sert les intérêts d'Israël en imposant au Hamas de renoncer à la résistance ", déclare-t-il.
La dernière demi-heure du journal est consacrée à un tour du monde des manifestations de solidarité avec Gaza. Amman, Damas, Khartoum, Oslo, Sydney et Ramallah. Une goutte de réconfort dans un océan de dévastation.
Benjamin Barthe
17 janvier 2009
Depuis le début de l'offensive d'Israël, la bataille des images fait rage. Mardi 13 janvier, " Le Monde " a regardé deux grands journaux télévisés : l'un israélien, l'autre arabe. Une comparaison édifiante
Jérusalem, Gaza : la guerre des JT
JÉRUSALEM CORRESPONDANCE
Mardi 13 janvier, 20 heures sur la deuxième chaîne israélienne. La caméra plonge sur le plateau du journal télévisé le plus regardé du pays. Sur fond de déflagrations dans la ville de Gaza, Yonit Levi, présentatrice de 31 ans et atout chic et charme de la chaîne, annonce l'information du jour en Israël : " Un soldat grièvement blessé dans l'explosion d'une maison piégée. "
Aussitôt l'image bascule vers la zone frontière, pour une intervention en direct de Roni Daniel, le commentateur militaire de la rédaction. Massif, la soixantaine burinée, cet ancien colonel de réserve est un porte-parole bis, qui distribue à longueur d'interventions, bonnes et mauvaises notes aux militaires. Il résume les progrès de l'opération " Plomb durci " et reprend le communiqué de l'armée, qui évoque, images à l'appui, la découverte d'une batterie antiaérienne dans une mosquée. " Le chef d'état-major a encore du boulot à faire ", assène-t-il.
Retour en studio. Après un topo diplomatique d'Ehud Ya'ari, le spécialiste " des affaires arabes " de la chaîne, qui annonce " qu'on approche de la fin ", Yonit Levi lance un reportage sur la victime du jour, le lieutenant parachutiste Aharon Karov qui, deux semaines plus tôt, célébrait son mariage. Les images le montrent en compagnie de sa promise, sous la " huppa ", le dais nuptial.
Suivent deux interventions en direct, depuis Ashkelon et Sderot, les cibles des treize roquettes lancées ce jour-là par le Hamas. A Beersheba, un troisième correspondant annonce que pour des raisons de sécurité, toutes les écoles seront fermées, " à l'exception des classes de première et terminale ".
Vingt minutes après le début du journal, Yonit Levi donne la parole aux Palestiniens. Les images montrent des maisons détruites dans le camp de réfugiés de Jabaliya, au nord du territoire palestinien. " La population est déçue parce que le Hamas a refusé le cessez-le-feu ", dit le commentaire. " On nous a déjà expulsés de chez nous en 1948 et 1967, la situation est très dure ", raconte un homme occupé à fouiller dans une benne à ordures.
Le sujet s'attarde quelques secondes sur les funérailles d'un médecin tué dans les combats et privé de sépulture, car le cimetière du centre-ville est déjà plein. " A Gaza, il est difficile de vivre et difficile de mourir ", conclut le commentaire.
Après cette parenthèse palestinienne, le journal retourne pour quarante minutes à l'actualité vue d'Israël. Un reportage auprès de réservistes déployés sur le site de l'ancienne colonie de Netzarim ; un sujet sur les obus au phosphore blanc, cette arme que l'armée est accusée d'utiliser contre les civils ; une enquête sur les crèches fortifiées de Sderot qui faute de raccordement au réseau électrique n'ont pas pu encore ouvrir ; un reportage sur le gérant d'une salle de banquet d'Ashdod, dépité par la fuite des clients ; un entretien avec la mère d'un soldat mort par accident dans le tir d'un tank israélien - " Je voudrais rencontrer les soldats qui ont tué mon fils. Je voudrais les serrer contre moi pour qu'ils cessent de se sentir coupables. " Entre-temps, Roni Daniel livre une nouvelle fois son analyse. " Chaque jour de guerre supplémentaire est un bonus pour Israël car cela accentue la pression sur le Hamas ", dit-il.
Il est 22 heures, changement de chaîne. Et changement radical d'ambiance. La grande édition du soir débute sur Al-Jazira, la télévision d'information qatarie, porte-voix des masses arabes. " Cinquante nouveaux martyrs à Gaza ", annonce le présentateur tunisien, Mohamed Kreishan, devant l'image d'une femme au voile souillé de sang.
Sa collègue en plateau, la Libanaise Jumana Nammour, lance dans la foulée une vidéo fournie par le Hamas, où l'on voit un soldat israélien s'effondrer, touché, semble-t-il, par un tireur d'élite palestinien. " Nous n'avons pas pu authentifier ce film ", prévient la présentatrice.
Un compte rendu des événements de la journée s'ensuit, où le ministre de la défense israélien, Ehoud Barak, est cité, affirmant que " - les - troupes - israéliennes - sont dans la plupart des quartiers de Gaza ".
Puis les deux principaux correspondants de la chaîne, Samir Abu Shamaleh à Gaza et Elias Karar à Ashkelon, interviennent en duplex. Le premier évoque " la plus grande bataille terrestre entre la résistance et les forces d'occupation depuis le début de la guerre ", avant de résumer les communiqués publiés par les différents groupes armés palestiniens. Le second parle de " la plus calme journée de la guerre en Israël, avec seulement douze roquettes ", puis cite les chiffres officiels de l'armée israélienne, qui recense " neuf soldats tués depuis le début de l'offensive, dont quatre par accident ".
Entre chaque sujet, les mêmes images reviennent en boucle, accompagnées d'une musique dramatisante : la femme au voile ensanglanté, la fillette momifiée par les bandages, l'homme avec le visage en bouillie. Sur le plateau, un expert militaire affirme qu'" au nord, la résistance a obligé les blindés à faire machine arrière ". " Pourtant, glisse un présentateur, le journal israélien Yédiot Aharonot affirme que les soldats se sentent en sécurité. " " Oui, répond l'expert, il faut bien l'admettre, car ils progressent dans leurs tanks. "
Le journal se poursuit avec une série de reportages sur l'hécatombe causée par l'attaque israélienne. Dans le quartier de Zeïtoun, un père de famille raconte comment, selon lui, deux de ses filles ont été abattues par des tireurs d'élite. " Celle de 2 ans a pris douze balles ", affirme-t-il. Samar, la survivante âgée de 4 ans, dit d'une voix fluette qu'une balle lui est rentrée dans le dos et qu'elle est désormais paralysée. " Comment faire la paix dans le futur avec un Etat qui commet des actes pareils ", déclare le journaliste en conclusion du reportage.
Au milieu de cet étalage de souffrances, une minute est accordée à l'Autorité palestinienne. Son président, Mahmoud Abbas, appelle le Hamas à adopter le plan de l'Egypte " qui fait tout pour arrêter les attaques ". Les intervenants qui lui succèdent critiquent tous cette initiative. A l'image d'Azmi Bishara, un ancien membre de la Knesset (le Parlement israélien), exilé au Qatar du fait des poursuites pour espionnage et blanchiment d'argent lancées à son encontre par la justice israélienne. " L'Egypte sert les intérêts d'Israël en imposant au Hamas de renoncer à la résistance ", déclare-t-il.
La dernière demi-heure du journal est consacrée à un tour du monde des manifestations de solidarité avec Gaza. Amman, Damas, Khartoum, Oslo, Sydney et Ramallah. Une goutte de réconfort dans un océan de dévastation.
Benjamin Barthe