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Le prix des mots
Par Leila Slimani le 23/03/2017 à 11h58 (mise à jour le 23/03/2017 à 12h05)
© Copyright : Le360
Je vais publier un livre qui s’intitule «Sexe et mensonges». Vous ne pouvez pas imaginer à quel point cela me fait de la peine que notre région soit regardée comme hostile à la parole crue, à la création, à l’enquête quand elle porte sur des thèmes ayant trait justement aux «bonnes mœurs».
Tous les matins, je m’assois à mon bureau et j’écris. J’écris tout ce dont j’ai envie. J’essaie, autant que faire se peut, de ne jamais m’autocensurer, d’aller le plus loin possible, de ne craindre ni de déplaire, ni de dégoûter, ni de provoquer la colère. Bien sûr, ces dernières années, la violence à l’encontre d’artistes jugés trop libres, avait de quoi effrayer. Mais malgré tout, je me fais un devoir d’user de la liberté dont j’ai la chance de jouir. Et je n’oublie jamais que cette liberté est d’autant plus précieuse qu’elle est rare et que, sur d’autres rives, certains écrivains paient très cher leur passion de dire vrai. Nous ne devons jamais les oublier.
Anouar Rahmani est un jeune étudiant en droit. Il vit en Algérie et quand il n’étudie pas, il écrit des romans. C’est un jeune homme de son temps qui a compris que, quand on ne trouve pas d’éditeurs classiques, internet peut représenter un très bon moyen de faire connaître son travail. En août 2016, c’est donc sur la toile qu’il «publie» son roman en arabe, La ville des ombres blanches, un récit osé, tendu, déjanté.
Fin février, l’écrivain est convoqué par la police. En cause? Un passage de son roman dans lequel un enfant discute avec un clochard qui se fait appeler «Dieu». C’est ce qui vaut à l’auteur d’être accusé d’«offense au Prophète» et de «dénigrement du dogme ou des préceptes de l’islam». Anouar Rahmani est, depuis, l’objet d’une enquête en vertu de l’article 144 bis du Code pénal algérien. Il risque entre trois et cinq ans d’emprisonnement et 100.000 dinars d’amende (environ 850 euros).
Soutenu notamment par l’ONG Human Right Watch (HRW), le romancier a tenté de rappeler que son récit était totalement fictionnel et qu’à ce titre, il ne pouvait être accusé de porter «atteinte à l’entité divine et à la religion». Mais pour la police, le ton ironique du roman constitue, en soi, «une insulte à l’égard de l’islam». Ah, l’ironie! Cette vertu que les puissants et les faibles d’esprit ont tant de mal à supporter mais qui me semble, à moi, tellement nécessaire pour interroger notre monde et notre condition. En décidant d’appliquer le terrible article 144, la police algérienne foule aux pieds la plus élémentaire liberté d’expression, la création artistique, la liberté de conscience, des notions sans lesquelles ne peut se bâtir une société libre.
On ne peut être que désespéré par la répétition de ces situations sur la rive sud de la Méditerranée, où le puritanisme le plus noir, l’interprétation la plus bête et littérale, viennent étouffer l’esprit critique et la création. En 2015, le célèbre écrivain Rachid Boudjedra a revendiqué son athéisme à la télévision. «Je ne crois ni en Dieu, ni en Mohamed (comme Prophète)», lançait l'auteur de L'Escargot entêté. Certes, il n’a pas été inquiété par les services de sécurité, mais les autorités n’ont absolument pas réagi quand il a été l’objet d’insultes, de menaces de mort, de campagnes de dénigrement pendant des jours sur internet et dans les médias. Dans son roman 2084 (Gallimard), Boualem Sansal dessinait le profil sombre d’une Algérie sombrant dans la dictature théocratique et dans la folie. Un rêve, peut-être, prémonitoire.
Par Leila Slimani le 23/03/2017 à 11h58 (mise à jour le 23/03/2017 à 12h05)
© Copyright : Le360
Je vais publier un livre qui s’intitule «Sexe et mensonges». Vous ne pouvez pas imaginer à quel point cela me fait de la peine que notre région soit regardée comme hostile à la parole crue, à la création, à l’enquête quand elle porte sur des thèmes ayant trait justement aux «bonnes mœurs».
Tous les matins, je m’assois à mon bureau et j’écris. J’écris tout ce dont j’ai envie. J’essaie, autant que faire se peut, de ne jamais m’autocensurer, d’aller le plus loin possible, de ne craindre ni de déplaire, ni de dégoûter, ni de provoquer la colère. Bien sûr, ces dernières années, la violence à l’encontre d’artistes jugés trop libres, avait de quoi effrayer. Mais malgré tout, je me fais un devoir d’user de la liberté dont j’ai la chance de jouir. Et je n’oublie jamais que cette liberté est d’autant plus précieuse qu’elle est rare et que, sur d’autres rives, certains écrivains paient très cher leur passion de dire vrai. Nous ne devons jamais les oublier.
Anouar Rahmani est un jeune étudiant en droit. Il vit en Algérie et quand il n’étudie pas, il écrit des romans. C’est un jeune homme de son temps qui a compris que, quand on ne trouve pas d’éditeurs classiques, internet peut représenter un très bon moyen de faire connaître son travail. En août 2016, c’est donc sur la toile qu’il «publie» son roman en arabe, La ville des ombres blanches, un récit osé, tendu, déjanté.
Fin février, l’écrivain est convoqué par la police. En cause? Un passage de son roman dans lequel un enfant discute avec un clochard qui se fait appeler «Dieu». C’est ce qui vaut à l’auteur d’être accusé d’«offense au Prophète» et de «dénigrement du dogme ou des préceptes de l’islam». Anouar Rahmani est, depuis, l’objet d’une enquête en vertu de l’article 144 bis du Code pénal algérien. Il risque entre trois et cinq ans d’emprisonnement et 100.000 dinars d’amende (environ 850 euros).
Soutenu notamment par l’ONG Human Right Watch (HRW), le romancier a tenté de rappeler que son récit était totalement fictionnel et qu’à ce titre, il ne pouvait être accusé de porter «atteinte à l’entité divine et à la religion». Mais pour la police, le ton ironique du roman constitue, en soi, «une insulte à l’égard de l’islam». Ah, l’ironie! Cette vertu que les puissants et les faibles d’esprit ont tant de mal à supporter mais qui me semble, à moi, tellement nécessaire pour interroger notre monde et notre condition. En décidant d’appliquer le terrible article 144, la police algérienne foule aux pieds la plus élémentaire liberté d’expression, la création artistique, la liberté de conscience, des notions sans lesquelles ne peut se bâtir une société libre.
On ne peut être que désespéré par la répétition de ces situations sur la rive sud de la Méditerranée, où le puritanisme le plus noir, l’interprétation la plus bête et littérale, viennent étouffer l’esprit critique et la création. En 2015, le célèbre écrivain Rachid Boudjedra a revendiqué son athéisme à la télévision. «Je ne crois ni en Dieu, ni en Mohamed (comme Prophète)», lançait l'auteur de L'Escargot entêté. Certes, il n’a pas été inquiété par les services de sécurité, mais les autorités n’ont absolument pas réagi quand il a été l’objet d’insultes, de menaces de mort, de campagnes de dénigrement pendant des jours sur internet et dans les médias. Dans son roman 2084 (Gallimard), Boualem Sansal dessinait le profil sombre d’une Algérie sombrant dans la dictature théocratique et dans la folie. Un rêve, peut-être, prémonitoire.