suite décision de la HALDE:
DECISION DE LA HALDE: selon la Délibération n°2008 – 38
du 3 mars 2008
Nationalité/ Emploi/ Emploi secteur public/Recommandations :
Le réclamant, ancien mineur de fond employé par les Houillères du Bassin du Nord Pas de Calais s’est vu refuser la possibilité de racheter ses prestations de logement et de chauffage en raison de sa nationalité extracommunautaire. Dans le cadre de la procédure
contradictoire, le mis en cause a reconnu que le fait de soumettre le rachat des prestations à une condition de nationalité était discriminatoire au regard du droit communautaire et européen. En conséquence, la haute autorité lui adresse plusieurs recommandations en vue de faire cesser cette pratique discriminatoire et de procéder à l’indemnisation des préjudices qui en ont résulté.
Décide :La haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité a été saisie, le 11 janvier 2007, par Maître A. d’une réclamation relative au refus implicite opposé par l’Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM) à la demande de rachat de prestations de logement et de chauffage présentée, le 14 mars 2005, par M. Idhid Y, ancien employé des « Houillères du Bassin du Nord Pas de Calais » (HBNCPC).
Le réclamant est soutenu par l’Association des Mineurs, anciens Mineurs Marocains et reconvertis du Nord-Pas-de-Calais (AMMN).
M. Y, de nationalité marocaine, a été embauché, le 8 mars 1975, en tant que mineur de fond par les HBNPC, et est actuellement en invalidité. Il perçoit en application du décret n°46-1433 du 14 juin 1946 portant statut des mineurs, les prestations de chauffage et de logement qui sont versées sous forme d’indemnités. Ces prestations sont dues, sans condition de nationalité, à l’ensemble du personnel qu’il soit actif ou retraité.
Mais l’ANGDM a refusé d’accorder au réclamant l’accès au rachat des prestations de logement et de chauffage en se fondant sur le seul critère de nationalité.
Le rachat des prestations de logement et de chauffage mis en place par Charbonnages de France (ci-après CdF), constitue une aide à l’accession à la propriété des mineurs. Le rachat des prestations de logement prend la forme du versement d’un capital au mineur calculé sur la valeur de l’indemnité annuelle de logement de l’intéressé assorti d’un coefficient de capitalisation établi en fonction de l’âge de l’intéressé au moment du rachat.
CdF peut octroyer à ses agents un prêt qui leur permet d’anticiper le rachat de l’indemnité de logement. Ce prêt vise « à faciliter l’acquisition d’un logement en vue de la retraite ».
Les conditions et les modalités d’application de ce rachat sont énoncées dans une circulaire n°88/092 édictée le 9 février 1988 par CdF. Celle-ci précise que pour prétendre au bénéfice du rachat, « le demandeur doit avoir acquis à titre définitif le droit à la prestation [de logement ou de chauffage] au moment de son départ, qu’il s’agisse d’un départ en retraite normale ou en retraite anticipée».
CdF, depuis plus de dix ans et l’ANGDM, en 2005, se sont opposés aux demandes de rachat des prestations de logement et de chauffage au motif que le rachat n’est accordé qu’« aux agents français ou étrangers ressortissants de la CEE » et sous réserve, pour les prestations de logement, de ne pas avoir atteint, au moment de la demande, l’âge limite de 65 ans.
Il est constant que les prestations de logement et de chauffage constituent un élément de rémunération des agents en activité (CE, 9 juillet 1982, Mme BRUN et autres).
La CJCE a indiqué que la circonstance que certaines prestations soient versées après la cessation de la relation d’emploi n’exclut pas qu’elles soient qualifiées de rémunération,
au sens de l’article 141, paragraphe 2 du Traité instituant la Communauté européenne, qui précise que l’on entend par rémunération « (…
le salaire ou traitement ordinaire de baseou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier » (CJCE, 28 septembre 1994, Beune, C-7/93).
En l’espèce, les prestations de logement constituent des avantages statutaires mis à la charge de l’employeur, au profit du personnel actif. Ces avantages restent dus, par
l’employeur, aux agents retraités, en raison de l’emploi qu’ils ont occupé, et peuvent donc être assimilés à une rémunération au sens de l’article 141 du Traité CE.
Par ailleurs, ces prestations constituent une créance au profit des anciens mineurs devant être regardée comme un « bien » au sens de l’article 1er du protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l’homme qui stipule que « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux
du droit international ».
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Enfin, le principe d’égalité de traitement entre les travailleurs marocains et les travailleurs communautaires, est garanti par l’article 64 de l’accord Euro-méditerranéen CE - Maroc
du 26 février 1996, en vigueur depuis le 1er mars 2000, qui prévoit que «chaque Etat membre accorde aux travailleurs de nationalité marocaine occupés sur son territoire un
régime caractérisé par l’absence de toute discrimination fondé sur la nationalité par rapport à ses propres ressortissants, en ce qui concerne les conditions de travail, de rémunération et de licenciement ». Cet accord s’est substitué à l’accord de coopération entre la CEE et le Royaume du Maroc, qui avait été approuvé par le règlement (CEE) n°2211/78 du Conseil du 26 septembre 1978, lequel prohibait déjà à l’article 40, 1er
alinéa, toute discrimination fondée sur la nationalité dans le domaine de la rémunération.
De même, la haute autorité estime qu’elle se doit de rappeler que les travailleurs de nationalité algérienne bénéficient également d’une égalité de traitement en matière de rémunération garantie par l’article 38 de l’accord de coopération entre la CEE et la République algérienne démocratique et populaire signé le 26 avril 1976 et approuvé par le règlement communautaire n°2210/78 du 26 septembre 1978. En effet, l’ANGDM ayant évoqué l’absence d’un accord bilatéral entre la France et le Maroc et entre la France et l’Algérie pour justifier le rachat des prestations de logement et de chauffage, cet élément laisse présumer que les mineurs, de nationalité algérienne, sont également exclus à raison de leur nationalité du bénéfice du rachat des prestations de logement et de chauffage.
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En second lieu, elle estime que si l’ANGDM invoque le caractère territorial des prestations en faisant valoir que les mineurs étrangers sont susceptibles de repartir dans leur pays d’origine ce qui entrainerait la suspension du versement des prestations, cette circonstance ne peut justifier un refus de rachat des prestations à raison de la nationalité des réclamants, puisque ces derniers disposaient, au moment de leur demande de rachat -
et disposent encore à l’heure actuelle - d’une résidence stable et régulière sur le territoire français....
Toutefois, le Collège estime nécessaire, conformément à l’article 11 de la loi du 30 décembre 2004 portant création de la haute autorité, de recommander à l’ANGDM un certain nombre de mesures pour faire cesser ses pratiques discriminatoires, notamment,
- procéder, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la délibération, au réexamen de la demande de rachat des indemnités de logement et de chauffage présentée par le réclamant,
- indemniser les préjudices résultant de la décision refusant le rachat de l’indemnité de logement pour des motifs discriminatoires, et le cas échéant, du préjudice résultant du
refus d’accorder un prêt anticipant ce rachat et en rendre compte à la haute autorité dans un délai de deux mois.
Au delà du réexamen de la demande du réclamant, le Collège recommande également à l’ANGDM de réexaminer, au besoin avec l’aide des associations de travailleurs marocains et algériens, les dossiers des agents retraités dont elles ont pu avoir connaissance et qui auraient fait l’objet d’une décision de refus discriminatoire.
Enfin, le Collège décide de porter cette délibération à la connaissance du ministre de l’économie, des finances et de l’emploi, en charge de la tutelle de l’ANGDM.
Le Président
Louis SCHWEITZER