mercredi 26 novembre 2008 - 06h:39
Robert Fisk - The Independent
Les « terroristes » étaient dans le collimateur des Soviétiques, maintenant ils sont dans le collimateur des Américains.
Je suis sur le toit du vieux Central Hotel - ascenseur décoré en style pharaonique, jus de pomme imbuvable, thé vert sublime et gardes tadjikes armés à la porte d’entrée - j’ai vue sur le soir de Kaboul d’un rouge fumé.
Le fort de Bala Hissar luit dans le crépuscule ; portails massifs, grand donjon où l’armée britannique aurait dû déménager ses hommes en 1841. Elle a préféré y loger le roi et se construire un humble cantonnement dans la plaine sans défense, ce qui a entraîné une « catastrophe majeure ».
Comme des oiseaux automatiques, les cerfs-volants volent au-dessus des toits. Oui, les enfants font voler leurs cerfs-volants à Kaboul, mais sans Hollywood. La nuit, le bruit sourd des Sikorsky étasuniens et le chuchotement des F-18 volant à haute altitude envahissent ma chambre. Les États-Unis d’Amérique règlent les comptes de George Bush avec les “terroristes » qui essaient de renverser le gouvernement corrompu de Hamid Karzaï.
Retournons près de 29 ans en arrière : je suis sur le balcon de l’Hôtel intercontinental, de l’autre côté de cette ville formidable, froide, brumeuse. Personnel impeccable, bière polonaise glacée au bar, police secrète dans le hall d’entrée. Troupes russes parquées dans la cour avant. Le Fort Hissar brille à travers la fumée. Les cerfs-volants - il semble que la couleur favorite soit le vert - volent au-delà des arbres. La nuit, le bruit sourd des hélicoptères Hind et le chuchotement des MIGs volant à haute altitude envahissent ma chambre. L’Union soviétique règle les comptes de Léonid Brejnev avec les terroristes qui essayent de renverser le gouvernement corrompu de Barbrak Karmal.
À 30 km au nord, à cette époque, un général soviétique nous a parlé de la victoire imminente sur les « terroristes » des montagnes, « vestiges » impérialistes - expression utilisée immanquablement par la radio communiste de Kaboul - qui étaient soutenus par l’Amérique, l’Arabie Saoudite et le Pakistan.
Accélérons jusqu’en 2001 - il y a seulement sept ans - et un général étasunien nous a parlé de la victoire imminente sur les « terroristes » des montagnes, les talibans pratiquement conquis qui étaient soutenus par l’Arabie Saoudite et le Pakistan. Le Russe pontifiait à la grande base aérienne soviétique de Bagram. Le général étasunien pontifiait à la grande base aérienne étasunienne de Bagram.
Ce n’est pas du déjà vu. Ceci est un double déjà-vu. Et il empire.
Il y a près de 29 ans, les “moudjahidines » afghans ont commencé une campagne pour mettre fin à la mixité dans les écoles décrétée par les gouvernements communistes successifs dans les montagnes éloignées. Des écoles ont été incendiées. À l’extérieur de Jalalabad, j’ai trouvé un proviseur et son épouse directrice brûlés vifs. Aujourd’hui, les talibans afghans font campagne pour mettre fin à la mixité dans les écoles - et en fait à l’éducation même des jeunes femmes - dans les grands déserts de Kandahar et de Helmand. Des écoles ont été incendiées. Des professeurs ont été exécutés.
Alors que le nombre de victimes augmentait dans les rangs soviétiques, les officiers se vantaient des prouesses croissantes de l’armée nationale afghane (ANA). Bien qu’elle fût infiltrée par les « moudjahidines », elle recevait de Moscou de nouveaux tanks et de nouveaux bataillons étaient entraînés pour affronter les guérilleros à l’extérieur de la capitale.
Accélérons jusqu’à aujourd’hui. Alors que le nombre de victimes augmente chez les Etasuniens et les Britanniques, leurs officiers se vantent des prouesses croissantes de l’ANA. Bien que celle-ci soit infiltrée par les talibans, les États-Unis et les autres états de l’OTAN lui fournissent de l’équipement et forment de nouveaux bataillons pour affronter les guérilleros à l’extérieur de la capitale. En janvier 1980, je pouvais prendre le bus de Kaboul à Kandahar. Sept ans plus tard, la route détruite était hantée par les combattants « moudjahidines » et des bandits. On ne pouvait se rendre à Kandahar en sécurité que par avion.
Immédiatement après l’arrivée des États-Unis en 2001, je pouvais prendre le bus de Kaboul à Kandahar. A présent, sept ans plus tard, la route - reconstruite sur les instructions expresses de Georges W. mais déjà fissurée et envahie par le sable - est hantée par les combattants talibans et les bandits et on ne peut se rendre à Kandahar en sécurité que par avion.
Pendant les années 80, les Soviétiques et l’ANA tenaient les villes mais ont perdu la quasi-totalité du pays. Aujourd’hui, les États-Unis et leurs alliés et l’ANA tiennent la plupart des villes, mais ont perdu la moitié sud du pays. Les Soviétiques ont envoyé secrètement 9000 soldats en renfort pour les 115 000 soldats des forces d’occupation afin de lutter contre les « moudjahidines ». Aujourd’hui, les Etasuniens envoient ouvertement 7000 soldats en renfort pour grossir les forces d’occupation de 55 000 hommes afin de combattre les talibans.
En 1980, je me faufilais jusqu’à Chicken Street pour acheter de vieux livres dans des magasins remplis de poussière, des réimpressions pakistanaises bon marché et illégales des mémoires d’officiers de l’empire britannique sous le regard anxieux de mon chauffeur qui craignait que je ne sois pris pour un Russe. La semaine dernière, je me suis faufilé jusqu’au magasin de livres Shar, rempli avec les mêmes volumes illicites, sous le regard anxieux de mon chauffeur qui craignait que l’on ne prenne pour un Américain (ou, en fait, pour un Britannique). Je trouve le livre de Stephan Tanner sur l’Afghanistan intitulé : Histoire militaire depuis Alexandre le Grand jusqu’à la chute des talibans ; par les rues de Kaboul, enfumées par les feux de bois, le chauffeur me ramène à mon hôtel où je vais lire dans ma chambre mal éclairée.
En 1840, Tanner écrit que la ligne d’approvisionnement britannique depuis la ville pakistanaise de Karachi jusqu’au Khyber Pass et de Jalalabad à Kaboul était menacée par des combattants afghans « les officiers britanniques sur cette ligne d’approvisionnement cruciale passant par Peshawar... étaient insultés et attaqués ». Je fouille dans mon sac pour trouver une récente coupure de presse du journal Le Monde. J’y vois la principale route d’approvisionnement de l’OTAN depuis la ville pakistanaise de Karachi, passant par le Khyber Pass et de Jalalabad à Kaboul et la carte marque les endroits de chaque attaque des talibans contre les convois amenant du carburant et des aliments aux alliés étasuniens en Afghanistan.
Je fouille ensuite dans les livres pakistanais réimprimés que j’ai trouvés et je découvre le général Roberts de Kandahar qui dit aux Britanniques en 1880 « nous n’avons rien à craindre de l’Afghanistan et la meilleure chose à faire est de le laisser tranquille autant que possible... Je suis sûr d’avoir raison quand je dis que moins les Afghans nous voient et moins nous leur déplairons ».
Robert Fisk - The Independent
Les « terroristes » étaient dans le collimateur des Soviétiques, maintenant ils sont dans le collimateur des Américains.
Je suis sur le toit du vieux Central Hotel - ascenseur décoré en style pharaonique, jus de pomme imbuvable, thé vert sublime et gardes tadjikes armés à la porte d’entrée - j’ai vue sur le soir de Kaboul d’un rouge fumé.
Le fort de Bala Hissar luit dans le crépuscule ; portails massifs, grand donjon où l’armée britannique aurait dû déménager ses hommes en 1841. Elle a préféré y loger le roi et se construire un humble cantonnement dans la plaine sans défense, ce qui a entraîné une « catastrophe majeure ».
Comme des oiseaux automatiques, les cerfs-volants volent au-dessus des toits. Oui, les enfants font voler leurs cerfs-volants à Kaboul, mais sans Hollywood. La nuit, le bruit sourd des Sikorsky étasuniens et le chuchotement des F-18 volant à haute altitude envahissent ma chambre. Les États-Unis d’Amérique règlent les comptes de George Bush avec les “terroristes » qui essaient de renverser le gouvernement corrompu de Hamid Karzaï.
Retournons près de 29 ans en arrière : je suis sur le balcon de l’Hôtel intercontinental, de l’autre côté de cette ville formidable, froide, brumeuse. Personnel impeccable, bière polonaise glacée au bar, police secrète dans le hall d’entrée. Troupes russes parquées dans la cour avant. Le Fort Hissar brille à travers la fumée. Les cerfs-volants - il semble que la couleur favorite soit le vert - volent au-delà des arbres. La nuit, le bruit sourd des hélicoptères Hind et le chuchotement des MIGs volant à haute altitude envahissent ma chambre. L’Union soviétique règle les comptes de Léonid Brejnev avec les terroristes qui essayent de renverser le gouvernement corrompu de Barbrak Karmal.
À 30 km au nord, à cette époque, un général soviétique nous a parlé de la victoire imminente sur les « terroristes » des montagnes, « vestiges » impérialistes - expression utilisée immanquablement par la radio communiste de Kaboul - qui étaient soutenus par l’Amérique, l’Arabie Saoudite et le Pakistan.
Accélérons jusqu’en 2001 - il y a seulement sept ans - et un général étasunien nous a parlé de la victoire imminente sur les « terroristes » des montagnes, les talibans pratiquement conquis qui étaient soutenus par l’Arabie Saoudite et le Pakistan. Le Russe pontifiait à la grande base aérienne soviétique de Bagram. Le général étasunien pontifiait à la grande base aérienne étasunienne de Bagram.
Ce n’est pas du déjà vu. Ceci est un double déjà-vu. Et il empire.
Il y a près de 29 ans, les “moudjahidines » afghans ont commencé une campagne pour mettre fin à la mixité dans les écoles décrétée par les gouvernements communistes successifs dans les montagnes éloignées. Des écoles ont été incendiées. À l’extérieur de Jalalabad, j’ai trouvé un proviseur et son épouse directrice brûlés vifs. Aujourd’hui, les talibans afghans font campagne pour mettre fin à la mixité dans les écoles - et en fait à l’éducation même des jeunes femmes - dans les grands déserts de Kandahar et de Helmand. Des écoles ont été incendiées. Des professeurs ont été exécutés.
Alors que le nombre de victimes augmentait dans les rangs soviétiques, les officiers se vantaient des prouesses croissantes de l’armée nationale afghane (ANA). Bien qu’elle fût infiltrée par les « moudjahidines », elle recevait de Moscou de nouveaux tanks et de nouveaux bataillons étaient entraînés pour affronter les guérilleros à l’extérieur de la capitale.
Accélérons jusqu’à aujourd’hui. Alors que le nombre de victimes augmente chez les Etasuniens et les Britanniques, leurs officiers se vantent des prouesses croissantes de l’ANA. Bien que celle-ci soit infiltrée par les talibans, les États-Unis et les autres états de l’OTAN lui fournissent de l’équipement et forment de nouveaux bataillons pour affronter les guérilleros à l’extérieur de la capitale. En janvier 1980, je pouvais prendre le bus de Kaboul à Kandahar. Sept ans plus tard, la route détruite était hantée par les combattants « moudjahidines » et des bandits. On ne pouvait se rendre à Kandahar en sécurité que par avion.
Immédiatement après l’arrivée des États-Unis en 2001, je pouvais prendre le bus de Kaboul à Kandahar. A présent, sept ans plus tard, la route - reconstruite sur les instructions expresses de Georges W. mais déjà fissurée et envahie par le sable - est hantée par les combattants talibans et les bandits et on ne peut se rendre à Kandahar en sécurité que par avion.
Pendant les années 80, les Soviétiques et l’ANA tenaient les villes mais ont perdu la quasi-totalité du pays. Aujourd’hui, les États-Unis et leurs alliés et l’ANA tiennent la plupart des villes, mais ont perdu la moitié sud du pays. Les Soviétiques ont envoyé secrètement 9000 soldats en renfort pour les 115 000 soldats des forces d’occupation afin de lutter contre les « moudjahidines ». Aujourd’hui, les Etasuniens envoient ouvertement 7000 soldats en renfort pour grossir les forces d’occupation de 55 000 hommes afin de combattre les talibans.
En 1980, je me faufilais jusqu’à Chicken Street pour acheter de vieux livres dans des magasins remplis de poussière, des réimpressions pakistanaises bon marché et illégales des mémoires d’officiers de l’empire britannique sous le regard anxieux de mon chauffeur qui craignait que je ne sois pris pour un Russe. La semaine dernière, je me suis faufilé jusqu’au magasin de livres Shar, rempli avec les mêmes volumes illicites, sous le regard anxieux de mon chauffeur qui craignait que l’on ne prenne pour un Américain (ou, en fait, pour un Britannique). Je trouve le livre de Stephan Tanner sur l’Afghanistan intitulé : Histoire militaire depuis Alexandre le Grand jusqu’à la chute des talibans ; par les rues de Kaboul, enfumées par les feux de bois, le chauffeur me ramène à mon hôtel où je vais lire dans ma chambre mal éclairée.
En 1840, Tanner écrit que la ligne d’approvisionnement britannique depuis la ville pakistanaise de Karachi jusqu’au Khyber Pass et de Jalalabad à Kaboul était menacée par des combattants afghans « les officiers britanniques sur cette ligne d’approvisionnement cruciale passant par Peshawar... étaient insultés et attaqués ». Je fouille dans mon sac pour trouver une récente coupure de presse du journal Le Monde. J’y vois la principale route d’approvisionnement de l’OTAN depuis la ville pakistanaise de Karachi, passant par le Khyber Pass et de Jalalabad à Kaboul et la carte marque les endroits de chaque attaque des talibans contre les convois amenant du carburant et des aliments aux alliés étasuniens en Afghanistan.
Je fouille ensuite dans les livres pakistanais réimprimés que j’ai trouvés et je découvre le général Roberts de Kandahar qui dit aux Britanniques en 1880 « nous n’avons rien à craindre de l’Afghanistan et la meilleure chose à faire est de le laisser tranquille autant que possible... Je suis sûr d’avoir raison quand je dis que moins les Afghans nous voient et moins nous leur déplairons ».