Kadhafi, quarante ans de polémique

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En ce 1er septembre, le Guide libyen entame sa cinquième décennie au pouvoir. Toujours en grande forme, il reste incontesté en interne et revigoré sur la scène internationale par la zizanie qu’il sème au Royaume-Uni, en Suisse et ailleurs.
http://www.courrierinternational.com/article/2009/09/01/kadhafi-quarante-ans-de-polemique

01.09.2009 | Angélique Mounier-Kuhn | Le Temps



Dans les rues de Tripoli, des affiches annoncent les célébrations du quarantième anniversaire de la prise de pouvoir de Kadhafi, 28 août 2009
Sur son site Internet, florilège de déclarations hardies, il a repeint toute la planète en vert. De la même nuance que celle du Livre vert, l’évangile selon Kadhafi publié dans les années 1970, qui jette en trois chapitres les bases de la “troisième théorie universelle” et annonce l’avènement de la “démocratie directe”, sa vision très personnelle d’un socialisme arabe. Le 1er septembre, le “Guide de la révolution” libyenne commémore le quarantième anniversaire de son arrivée au pouvoir. C’était en 1969. Jeune officier de 27 ans, avec une poignée de compagnons, il balayait le règne d’Idriss Ier et se propulsait colonel. Sans effusion de sang. La suite est une autre histoire… Celle notamment, dénoncée par l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch, d’une éradication sans relâche de l’opposition, en recourant systématiquement à l’emprisonnement, au meurtre si besoin.
A 67 ans, le doyen des chefs d’Etat africains a noyé de longue date sa beauté d’antan dans les boursouflures de son visage. Mais il aborde sa qurante et unième année de pouvoir en grande forme : sans le moindre compte à rendre à son peuple sur le plan intérieur, et ragaillardi sur la scène étrangère par la zizanie politique qu’il est parvenu à semer en France ou en Italie, et tout récemment en Grande-Bretagne et en Suisse.

Cyclothymique, extravagant dans le verbe comme dans le vêtement, mégalomane. Insaisissable. Qui est vraiment le colonel Kadhafi ? “Toute son existence a été dominée par une préoccupation”, explique François Burgat, auteur d’un Que sais-je ? sur la Libye. “Celle de laver l’affront de la présence coloniale en terre arabe. Admirateur fervent du leader égyptien Nasser, il a repris à son compte la portée nationaliste du nassérisme. Et il a bien sûr toujours jugé illégitime l’Etat hébreu, dans lequel il voit une réminiscence des occupations coloniales.” “Son obsession perpétuelle a été d’abord la réunification du monde arabe, fragmenté par la colonisation. Il y a renoncé à la suite de ses échecs successifs [toutes les formes d’associations qu’il a proposées à l’Egypte, à la Syrie ou à la Tunisie ont été rejetées] pour embrasser, dans les années 1990, le concept encore plus ambitieux de l’Union africaine (UA) qu’il souhaite quasi fédérale. Ses échecs ne l’ont jamais freiné”, ajoute Jean-François Daguzan, de la Fondation pour la recherche stratégique. Ni rogné ses rêves de grandeur : élu en février pour un an par ses pairs à la tête de l’organisation panafricaine, il s’était aussitôt autoproclamé “roi des rois traditionnels d’Afrique”.

Le “roi des rois” revient de loin. Dans les années 1980, la Libye apporte un soutien débridé au terrorisme : IRA, ETA, Brigades rouges ou OLP, rares sont les organisations qui rentrent les poches vides de leurs visites à Tripoli. Kadhafi s’impose en adversaire le plus malfaisant de l’Occident, et devient le “chien fou” que Ronald Reagan bombarde en 1986. Deux ans plus tard, un avion de la PanAm explose au-dessus de Lockerbie, en Ecosse, puis un vol de la compagnie française UTA s’abîme dans le désert nigérien. Tripoli est accusé, et le Conseil de sécurité de l’ONU impose des sanctions en 1992, dont l’embargo sur les installations pétrolières. Elles ne seront levées qu’en 2003, lorsqu’il apparaît que le colonel est redevenu fréquentable. Car, depuis quelques années, la Libye s’efforce de renouer les fils avec l’Occident. “Il n’est pas sûr que ce soit Kadhafi, mais le cercle de pouvoir autour de lui a pris conscience que jouer au grand perturbateur n’était pas forcément payant. L’Irak en a été la démonstration”, explique Jean-François Daguzan. Le ticket de réinsertion dans le concert des nations a un prix : l’indemnisation des victimes de Lockerbie et l’abandon du programme d’armes de destruction massive. La Libye remet les clés de ses installations nucléaires à l’Agence internationale de l’énergie atomique. Elle rend aussi service en activant ses réseaux régionaux pour obtenir la libération d’otages capturés par des islamistes.
 
Chez lui, Kadhafi continue de régner en maître. “Il est impossible de rationaliser le système politique libyen. Le terme Jamahiriya lui-même [le nom officiel de la Libye, institué par la Constitution de 1977] repose sur la traduction du mot “république” par un jeu de mots signifiant que le pouvoir appartient au peuple. C’est le populisme sauce Kadhafi”, explique Barah Mikaïl, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). François Burgat décrit un système de pouvoir “plastique”, qui voit “coexister en parallèle plusieurs légitimités politiques (tribale, militaire, institutionnelle), dont l’une peut à tout moment prendre le pas sur l’autre”. Le “Guide se définit comme au-dessus du système, quelles que puissent être les révolutions de palais”, poursuit Barah Mikaïl. “Pourquoi voulez-vous que l’on me critique ? Moi je ne dirige rien, je n’ai pas de compétence politique ou administrative. C’est le peuple qui gère les affaires”, assénait-il sur France 2 lors de son passage controversé à Paris fin 2007. Obnubilé par la grandeur de la Libye et la trace qu’il entend laisser dans l’Histoire, “il a du mal à accepter qu’on ne le prenne pas au sérieux. Mais la Libye n’est pas un poids lourd, comme l’Egypte, l’Algérie ou l’Arabie Saoudite, où ses frasques ne sont pas appréciées. Et Kadhafi n’est pas Nasser, Boumediene ou Hassan II”, relève Akram Belkaïd. Selon ce journaliste spécialiste du Maghreb, cet ostracisme encourage Kadhafi au désordre et à la menace. Qu’importe la normalisation de ses relations avec l’Occident, il cultive l’ambiguïté et les exemples de transgressions aux balcons des capitales occidentales sont légion, comme autant de gages nationalistes donnés à son peuple. Au point de faire, sous nos latitudes, gloser sur sa santé mentale, comme lorsqu’il appelait en juillet à “démanteler” la Suisse. “Il est d’une extraordinaire mobilité intellectuelle”, rectifie pourtant le sociologue suisse Jean Ziegler, invité aux fastueuses célébrations du 1er septembre à Tripoli, pour la sixième fois au moins. “En tant que Berbère, il a un sens aigu de la famille et du clan. Le côté affectif est très fort chez lui”, poursuit l’auteur de La Haine de l’Occident. Fou ? “Non, estime Jean-François Daguzan. Mais il a des idées fixes.” François Burgat discerne une forme d’“autisme intellectuel” engendré par sa conviction d’être l’auteur d’une pensée politique originale (le Livre vert) et sa lutte permanente pour la survie. “Il s’est maintenu au pouvoir depuis quarante ans, dans un environnement hostile [il a réchappé à une bonne dizaine de tentatives d’attentats] et donc des conditions évidentes de stress.” Mais, dans les querelles qui l’ont opposé dernièrement aux capitales d’Europe, à la Suisse aujourd’hui, “ce n’est pas la personnalité de Kadhafi qui est déterminante, mais nos propres faiblesses. La Libye n’a pas changé”, martèle Luis Martinez, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERI). “C’est l’Europe qui est devenue beaucoup plus cynique que les discours politiques ne le laissent entendre aux opinions publiques.” “Reliftée” par le boom pétrolier et gazier, la Libye sait très bien jouer de cette dichotomie, ajoute le spécialiste. “Car il y a eu maldonne sur la conversion libyenne de 2003. On a voulu croire à une histoire hollywoodienne. La Libye n’a fait qu’un calcul rationnel. Indemniser les familles des victimes de Lockerbie lui coûtait moins cher que la persistance de l’embargo.” Faire miroiter l’accès à ses champs pétrolifères, rallier la lutte antiterroriste, “Kadhafi pensait qu’en faisant le premier pas pour rejoindre le giron international, il serait en position de force”, confirme Barah Mikaïl. La Suisse en fait aujourd’hui l’amère expérience.
 
Désolé, kamomille, mais 40 ans de polémique n'arrivent pas en faire une une sur bladi. C'est peut-être que Kadhafi n'a que l'importance qu'il se donne.
 
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